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Peut-on à la fois être libre et passionné ?

Publié le 11/08/2004

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La liberté se définit non pas comme la capacité de faire ce que l’on veut, ce qui reviendrait au caprice, à la capacité de se déterminer soi-même de manière indépendante et autonome. La passion se définit comme une affection durable de la conscience, s’installe et se fait centre de tout, se subordonnant aux autres inclinations. L’événement essentiel de la passion c’est la rupture d’équilibre durable. Dès lors, il semble qu’il ait bien une opposition entre la liberté et la passion. L’opposition semble radicale. Pourtant toute passion n’est pas nécessairement le signe de la déperdition de la liberté. En effet, il semble possible d’avoir des passions raisonnables malgré l’oxymoron apparent que cela semble produire. La recherche ou la quête de la sagesse ; la philosophie est elle-même une passion, un désir de la sagesse et de la connaissance. Or comment ne pas voir en elle la libération de l’esprit. Il apparaît alors dialectiquement possible non seulement d’être libre et passionné mais surtout de comprendre positivement le concept de passion. 

« scindés en deux, selon le fondement de la morale que l'on retient.

Si ce fondement est la raison, en tant qu'instancecapable de discerner le bien et le mal, il nous renvoie au critère précédent.Mais s'il s'agit d'une morale religieuse, il s'articule soit autour du concept de « désir », soit autour de celui du «péché ».

Le « péché » exprime la rupture des relations avec Dieu, de la part d'un homme qui se voudrait « autonome» alors même qu'il n'est que créature.

Saint Augustin déterminera trois vices matriciels : la volonté de puissance, lajouissance, et la possession, issus du péché originel, et qui sont à la base de nombre de passions « immorales ».A ces différents griefs, Epicure ajoute une liste qui pourrait sans doute s'allonger indéfiniment : la passion constitueune menace envers les lois, les conventions sociales, la santé, la gestion économique, etc.Kant qualifiera la passion de « maladie de l'âme », Lucrèce de « plaie ».

Au-delà de la métaphore médicale, l'exposédes menaces que constituent les passions implique la nécessité de suggérer des remèdes.

Comme l'on peut s'yattendre, ceux-ci varieront selon le présupposé philosophique qui sous-tend tel ou tel réquisitoire : la thérapieproposée pour lutter contre les passions sera soit le détachement libérateur, soit la foi salvatrice, soit la sagessemodératrice, soit la philosophie rationnelle, source de connaissance et de purification. Mais beaucoup de moralistes, bien loin de faire l éloge des passions, tendent à les condamner : non pas qu'engénéral ils considèrent, à la manière d'Epicure, que l'état qui convient le mieux à l'âme soit une indifférence sereine ,mais parce qu'ils jugent que la passion introduit en nous un désordre, un déséquilibre.

Kant voyait dans la passionune véritable « maladie de l'âme ».

La passion développe à l'excès un sentiment et appauvrit tous les autres.

Elleapparaît ainsi comme une valorisation partielle du monde, un rétrécissement de notre « Umwelt » à la mesure d'unevaleur unique.

La passion nous limite à la fois dans l'espace et dans le temps ; dans l'espace puisqu'elle réduit notrechamp de conscience et le cercle de nos intérêts, dans le temps, car le passionné est prisonnier de l'instant présentou du passé, incapable, comme le dit Alquié, de « se penser avec vérité dans le futur ».

Le passionné ne sait pluss'adapter aux situations réelles, il refuse de suivre le cours du temps.

Son coeur ne bat plus au rythme du monde.Proust vieilli ne sait plus chercher dans le monde que les échos de son enfance disparue Le joueur, l'ivrogne nepensent pas à leur santé ; ils n'envisagent pas leur ruine prochaine, l'amoureux coupable ne songe pas audéshonneur, au scandale qui l'attendent.

Il y a une obnubilation passionnelle qui nous dissimule nos véritablesintérêts, nos exigences les plus profondes ; c'est pourquoi toute passion nous voue tôt au tard au malheur.

Tandisque l'homme volontaire agit en fonction de sa personnalité tout entière, sait hiérarchiser avec lucidité ses tendanceset tient compte de tous les instants du temps (ce qui lui donne le maximum de chances d'accomplir ses fins etd'être heureux), le passionné est l'homme d'un seul instinct et d'un seul instant, aveuglé par un caprice dont la forcemomentanée lui masque dangereusement tous ses autres besoins.

Alors que la volonté est caractérisée par laconscience lucide et la maîtrise de soi, le passionné est dépossédé de lui-même.

Il cesse d'agir, il est agi par descomplexes inconscients dont il est la victime.D'autre part, on a souvent souligné l'égoïsme foncier qui marque l'état de passion.

Non seulement parce que lapassion nous rend indifférences pour tout ce qui n'est pas elle (« on n'aime plus personne, dès qu'on aime » ditProust) mais parce que la passion révèle, à l'égard de son objet lui-même, un besoin tyrannique de possession.Tandis que le sentiment nous ouvre au monde et aux autres, nous révèle des valeurs, la passion tend à faire dumonde et d'autrui les instrument de notre égoïsme.

Le sentiment est « oblatif », la passion est « possessive ».

ainsil'amour-passion est voué à la jalousie parce qu'il veut réduire l'être aimé à une chose possédée, à un objet, maisqu'il se heurte à la liberté de l'Autre, à sa Transcendance.

Proust peut enfermer Albertine, la surveiller sans cesse ;mais il ne peut posséder que « l'enveloppe close d'un être qui par l'intérieur accédait à l'infini ».Ainsi, tandis que l'amour-sentiment est un amour de bienveillance qui fait, disait Leibniz, que nous nous réjouissonsdu bonheur d'autrui, l'amour-passion est un amour de concupiscence égoïste et possessif.

La concupiscence n'estpas nécessairement liée au désir charnel. • La raison est ainsi la condition et le moyen de la liberté.

Dans l'Anthropologie du point de vue pragmatique, Kantsouligne à cet égard les dangers spécifiques à la passion, par différence avec la simple émotion.

Alors que l'émotionpeut être comparée à un « coup de sang » violent mais éphémère, la passion est profonde et durable.

Elle creuse enl'âme un sillon toujours plus marqué.

Elle est perverse, non parce qu'elle s'oppose à la raison, mais parce qu'elle metla raison de son côté et en fait son alliée.

La liberté n'a alors plus aucune arme pour combattre la passion.

L'hommeest bel et bien aliéné ou hétéronome, soumis à la loi d'autrui au sens large.. »

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