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Peut-on ne pas être soi-même ?

Publié le 08/02/2004

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Lorsque Rimbaud écrit : « Je est un autre «, il constate que le prétendu moi est (au moins) double : je suis moi-même et autre que moi-même. S'agit-il là d'une affirmation simplement « poétique «, sans réalité dans la vie de chacun, ou faut-il au contraire admettre qu'elle constitue un véritable constat, concernant chacun d'entre nous ? Peut-on, et de façon très normale sinon ordinaire, ne pas être soi-même ? Faut-il même aller jusqu'à considérer qu'il y a là beaucoup plus qu'une possibilité : une nécessité véritable pour l'être humain ?  

[I. Les formes sociales de l'aliénation]

« Ne pas être soi-même « : cette expression, par sa forme négative, semble d'abord désigner ce que l'on nomme souvent « aliénation «. En n'étant pas moi-même, je me trouve sous la domination d'un autre, ou d'autre chose, je deviens autre que ce que je « devrais « authentiquement être. Mais le concept d'aliénation est complexe, il présente des significations différentes selon les contextes dans lesquels on l'utilise.

• « Ne pas être soi-même «, c'est être aliéné. Quelles sont les différentes versions de l'aliénation (psychique, sociale...) ?

• Ne pas oublier que, dans l'histoire de la philosophie, l'aliénation n'est pas toujours perçue comme négative : Hegel la conçoit comme nécessaire au développement de l'esprit.

• « Ne pas être soi-même « = être autre que soi. Cela suppose une définition préalable, au moins implicite, de ce que doit être le sujet, dans son être propre. Une telle définition est-elle contestable ?

• « Peut-on « invite à s'interroger sur la possibilité et l'impossibilité : est-il impossible de ne pas être soi-même ? est-il possible (exceptionnellement, ou nécessairement — et dans ce second cas, peut-on ? = doit-on ?) de ne pas être soi-même ?

« [III.

La nécessité de la médiation par l'autre] Concevoir un soi-même imperméable à toute influence, ou incapable de la moindre sortie « hors de soi », c'est définirl'individu par un isolement absolu qui semble en fait impossible, sinon mortel.

Le modèle d'un sujet enfermé dans «son » monde totalement clos, privé de toute relation avec ce qui serait autre que lui, nous est donné par l'autiste.Être soi-même, cela signifie dès lors être impénétrable, coupé des autres, et assez incompréhensible.Le sujet est au contraire en permanente évolution : il ne saurait en conséquence être défini une fois pour toutes.

Sil'on assimile le « soi-même » avec ce que la psychologie repère comme constituant la « personnalité », on doit noterque cette dernière n'est jamais une donnée initiale pour la personne, et qu'elle s'élabore au contraire tout au long del'existence, selon les expériences acquises et les relations vécues dans les milieux rencontrés.

On affirme d'ailleurs,en anthropologie (Abraham Kardiner), que cette personnalité ne peut se construire qu'en prenant appui sur unensemble de valeurs premières qui sont transmises à chacun par son groupe (c'est la « personnalité de base »).Ainsi, c'est dès le début de son parcours biographique que la personne n'est pas elle-même, puisqu'elle a besoin d'unenvironnement social pour fonder sa propre cohérence.La durée étant ainsi l'axe constitutif du « soi-même », c'est le concept de projet qui devient central pour rendrecompte de son évolution.

Ce projet, par définition, est une sortie hors de ce que je suis maintenant, qui me prépareà devenir ce que je veux ou peux devenir ensuite.

Ne pas être soi-même est ainsi, non pas une simple possibilité,mais une nécessité de la vie quotidienne : ma conscience n'est pas en moi comme dans un royaume fermé surl'extérieur ; au contraire, elle est sans cesse visée vers (cet objet, ce but, cette personne, cette conduite) et, entant que telle, elle me met inlassablement en rapport avec ce qui n'est pas « moi ».

En termes sartriens, le pour-soiest incapable de subsister tel quel, de se figer sur un être acquis.

Tout acte, tout comportement, toute conduitesuppose la présence ou l'intervention de l'autre (objet ou être humain), soit comme aide, soit comme obstacle.

Etc'est précisément cet autre qui permet à ma liberté de s'exercer réellement et qui m'autorise ainsi à devenir enfonction des buts que je privilégie. « Par le je pense, contrairement à la philosophie deDescartes, contrairement à la philosophie de Kant, nous nousatteignons nous-mêmes en face de l'autre, et l'autre estaussi certain pour nous que nous-mêmes.

Ainsi l'homme quis'atteint directement par le cogito découvre aussi tous lesautres et il les découvre comme la condition de sonexistence.

Il se rend compte qu'il ne peut rien être (au sensoù on dit qu'on est spirituel ou qu'on est méchant, ou qu'onest jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel.Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que jepasse par l'autre.

L'autre est indispensable à mon existence,aussi bien d'ailleurs qu'à la connaissance que j'ai de moi.Dans ces conditions, la découverte de mon intimité medécouvre en même temps l'autre, comme une liberté poséeen face de moi, qui ne pense et qui ne veut que pour oucontre moi.

Ainsi, découvrons-nous tout de suite un mondeque nous appellerons l'intersubjectivité et c'est dans cemonde que l'homme décide ce qu'il est et ce que sont lesautres.En outre, s'il est impossible de trouver en chaque homme uneessence universelle qui serait la nature humaine, il existepourtant une universalité humaine de condition.

Ce n'est pas par hasard que les personnes d'aujourd'hui parlent plus volontiers de la condition de l'hommeque de sa nature.

Par condition ils entendent avec plus ou moins de clarté l'ensemble des limitesa priori qui esquissent sa situation fondamentale dans l'univers.

Les situations historiquesvarient : l'homme peut naître esclave dans une société païenne ou seigneur féodal ou prolétaire.Ce qui ne varie pas, c'est la nécessité pour lui d'être dans le monde, d'y être au travail, d'y êtreau milieu des autres et d'y être mortel.

(...) En conséquence, tout projet, quelque individuel qu'ilsoit a une valeur universelle.

» SARTRE . Le sujet n'est que relativement à autrui Dans la tradition du « je pense » (Descartes), ce qui est atteint est une subjectivité « rigoureusementindividuelle ».

Avec le cogito existentialiste, on ne se découvre « pas seulement soi-même, mais aussi lesautres ».

En nous atteignant, nous nous atteignons « en face » de l'autre.

D'un autre qui semble avoirété déjà là, puisque nous le trouvons par le mouvement même où nous nous trouvons.

Et, en découvrantcet autre qui est en face de nous, nous découvrons en même temps tous les autres, comme si tous lesautres eux aussi étaient déjà là.

Enfin, remarque ultime, cet autre n'est pas le simple alter ego du sujetqui se découvre dans le cogito.

Il est ce qui conditionne le sujet.

Le sujet n'est plus, comme dans lesphilosophies traditionnelles, un absolu ; il n'est que relativement par rapport à autrui .. »

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