Devoir de Philosophie

Peut-on penser la différence ?

Publié le 03/03/2004

Extrait du document

Le problème que pose la pensée de la différence tient à la manière même que nous avons de penser. En effet, tout processus rationnel, qui vise à penser un objet, consiste à le ramener aux catégories du connu ; en d’autres termes, penser la différence revient à la transposer dans les termes de l’identité, car si ce qui est différent nous est inconnu, le même nous est connu. Or, par une telle réduction de la différence au même, nous perdons ce qui fonde le caractère différentiel de la différence, sa qualité propre de différence. Mais, si nous renonçons à une telle réduction, nous nous condamnons à ne pas penser la différence, au motif de sa radicale hétérogénéité. Comment dès lors appréhender la différence ? Nous allons voir avec Platon, Hegel et Derrida dans quelle mesure la différence se laisse penser et en quoi l’affirmation de son pure caractère différentiel risque de la laisser échapper.

« II – Hegel et l'identité de l'identité et de la différence La solution que suggère le platonisme à l'impasse à laquelle nous conduit le caractère différentiel du sensible permet de ressaisir, par letruchement des Idées, l'identité essentielle qui fonde l'unité sous-jacente à laréalité que nous percevons.

Cependant, cet arraisonnement de la différencesemble, au-delà des bénéfices que l'on en retire, aggraver la situation.

Eneffet, la théorie des Idées n'opère qu'au prix de l'instauration d'une nouvelledifférence, celle qui règne entre le monde intelligible et le monde sensible.L'écart entre les choses, d'une part, et les Formes intelligibles, d'autre part, apour conséquence de couper le monde en deux, laissant pendante la questionde savoir comment la communication entre les deux s'établit.

Ainsi, commentl'Idée de Beau transmet-elle quelque chose de sa beauté aux choses belles ?Cette réflexion, Aristote fut le premier à la formuler, mais elle trouve sa pleineexpression chez Hegel, qui tente de penser de manière dynamique le rapportdes Idées au sensible.

En effet, selon Hegel, la pure identité – celle, par exemple, de l'Idéeà elle-même – ne vaut que pour autant qu'elle parvient à se différencier,c'est-à-dire si elle entreprend de faire l'épreuve négative de l'altérité.

Plusprécisément, Hegel conçoit l'identité et la différence comme desdéterminations abstraites, c'est-à-dire séparées l'une de l'autre, qui sont lefruit du travail de l'entendement ; or, le but de la raison n'est pas d'affirmer le primat de l'identité sur la différence, mais de rendre leur rapport concret en faisant passer l'une dans l'autre.

Lesétapes d'un tel processus se résument ainsi : position de l'identité abstraite, position de la différence abstraite,position de l'identité de l'identité et de la différence.

Afin de comprendre cela, prenons un exemple précis, celui dansle travail.

Dans le travail, l'esprit (de l'homme) ne reste plus auprès de lui-même, dans la forme de l'identitéabstraite, mais il s'incarne dans le produit du travail lui-même.

Il s'objective, il devient « objet ».

Or, ce processusd'objectivation nous permet de dépasser le rapport abstrait qui existe entre un esprit qui se sent séparé et différentdu monde qui l'entoure, pour permettre à ce même esprit de se reconnaître dans l'altérité, dans le monde qu'il a misen forme, qu'il a travaillé.

De manière générale, l'histoire représente, pour Hegel, un tel processus d'objectivation de l'Esprit, dontl'esprit humain n'est qu'une parcelle.

Alors que les Idées platoniciennes étaient éternelles et immuables, du fait deleur identité abstraite, l'Idée hégélienne est soumise à l'ordre du devenir.

L'essence, pour être véritablementessence, doit « passer » dans l'apparence ou, pour le dire en termes platoniciens, l'Idée, pour être Idée, doit« passer » dans le sensible.

Le travail de la raison consiste donc pour Hegel à saper la confiance spontanée quel'esprit nourrit à l'endroit des Idées du monde intelligible, afin de restaurer l'unité dialectique du réel.

La dialectique,pour le dire en une formule, correspond à la négation de la négation, autrement dit à la négation de toutes lesréalités figées, ordonnées aux principes logiques d'identité et de non-contradiction.

Dès lors, pour qu'une choseexiste en sa vérité (en son concept, dit Hegel), elle doit développer ses possibilités et subir l'épreuve de ladifférenciation.

C'est dans cette mesure que l'on peut dire avec Hegel que ce qui est réel est rationnel (Préface auxPrincipes de la philosophie du droit ), faisant en sorte que le développement du sensible, son progrès dialectique soumis à l'ordre de la différence, ne doit pas être dépassé un réel autre (les Idées), mais qu'il exprime lui-même,dans l'unité des différences, le réel lui-même en son adéquation avec la rationalité.

III – Derrida et la différ ance Ce que nous avons déterminé, en suivant successivement Platon et Hegel, c'est la manière dont la raisonrend compte de la différence.

Nous avons vu comment la théorie des Idées surmontait le caractère différentiel dusensible, puis comment la dialectique parvenait à résorber la nouvelle différence surgie dans l'écart entre intelligibleet sensible.

Or, il ressort de l'entreprise hégélienne que la différence n'est pas véritablement pensée pour elle-même,mais ramenée sous la catégorie de l'identité, comme le dénote la totalisation dialectique « identité de l'identité et dela différence ».

En somme, la différence n'est comprise que si elle s'intègre comme un moment de l'identité, c'est-à-dire si elle se rattache à un processus de déploiement rationnel.

C'est précisément contre cette idée que se dresseDerrida, à la suite de Heidegger, notamment en mettant l'accent sur le processus de différentiation des étants.C'est pourquoi, au lieu de parler de « différence », rapport entre deux termes que l'on pourrait saisir et exprimer enl'identifiant, Derrida parle de « différance » (avec un « a »).

Pour bien comprendre ce qu'il en est, tournons d'abordvers Heidegger.

Pour celui-ci, la pensée métaphysique (dont font partie Hegel et Platon) se signale par l'oubli de l'Être.

Or,par Être, il ne faut pas entendre, par exemple, les Idées platoniciennes qui se tiennent derrière le sensible, bien aucontraire ! En fait, la métaphysique se soumet traditionnellement au principe de raison, selon lequel rien n'est sansraison.

Elle cherche ainsi la raison de tel phénomène particulier, puis, de proche en proche, remonte à une causepremière, qu'il s'agisse de Dieu ou des Idées platoniciennes, voire, avec Hegel, l'Esprit et son incarnation dans lesvolontés humaines.

Mais, par-là, la métaphysique ne fait que désigner des étants – des réalités singulières – qu'ellepromeut arbitrairement au rang de principes ; c'est en cela qu'elle manque l'Être de l'étant.

Sur ce point, Derridaestime que Heidegger n'a pas été assez loin, puisqu'il nous laisse croire qu'il y aurait l'étant d'un côté (la réalitésensible), de l'autre, l'Être et, entre les deux, leur différence.

Toutefois, pour bien montrer qu'il n'en est rien, Derridadécide d'orthographier la « différence ontologique » (entre l'Être et l'étant) « différance ».

Cette différance n'estrien d'autre que ce qui rend possible la présentation de l'étant ; elle est l'élément différentiel qui travaille touteidentité, toute réalité réputée identique à elle-même.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles