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Peut-on soutenir que rien dans le monde ne s'est accompli sans passion ?

Publié le 24/12/2005

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            En fait Hegel retourne contre les détracteurs de la passion leurs propres arguments : que la passion soit coextensive d'une focalisation exclusive n'est pas un défaut, l'aveuglement né de la passion permet en fait que le sujet demeure insensible à ce qui se déroule ailleurs. La passion permet de privilégier une tâche indépendamment de la diversité d'une réalité qui, par ailleurs, continue de se dérouler, de changer.   "Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion..." HEGEL La passion a souvent été méprisée comme une chose qui est plus ou moins mauvaise. Le romantisme allemand et, en particulier, Hegel restituent à la passion toute sa grandeur. Dans une Introduction fameuse (« La Raison dans l'histoire ») à ses « Leçons sur la philosophie de l'histoire » - publiées après sa mort à partir de manuscrits de l'auteur et de notes prises par ses auditeurs -, on peut lire (trad. Kostas Papaioannou, coll. 10118): « Rien ne s'est fait sans être soutenu par l'intérêt de ceux qui y ont participé. Cet intérêt nous l'appelons passion lorsque, écartant tous les autres intérêts ou buts, l'individualité tout entière se projette sur un objectif avec toutes les fibres intérieures de son vouloir et concentre dans ce but ses forces et tous ses besoins. En ce sens, nous devons dire que rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion.

La passion est un moteur des plus efficaces pour ce qui est de pousser l’homme à agir. Le passionné est tout entier à ce qu’il fait, rien ne saurait le distraire ; la passion est absorbante, elle confère au sujet une grande capacité de concentration et celui-ci, en retour, ne regarde pas à la quantité d’effort qu’il doit fournir. Cependant la passion n’est pas sans risques, elle porte en elle l’ombre de l’obnubilation, de l’errance : le sujet passionné sait-il encore changer sa visée, renoncer à une voie qui s’annonce vaine, est-il capable de s’adapter ? En effet, il ne faut pas présupposer que les œuvres de l’humanité se sont accomplies sans difficultés, accomplir une idée, un projet, ce n’est pas tant se donner les moyens de le réaliser à tout prix que de savoir l’adapter aux résistances du réel.

« fois plus fort et plus clair.

Il se dresse contre lui-même, consume la forme qu'il s'était donnée, pour s'élever à uneforme nouvelle, plus élevée.

De même que le Fils de Dieu fut jeté « dans le temps, soumis au jugement, mourantdans la douleur de la négativité », pour ressusciter comme « Esprit éternel, mais vivant et présent dans le monde »,de même l'Absolu doit se vouer à la finitude et à l'éphémère pour se réaliser dans sa vérité et dans sa certitude. Dès lors, ce n'est pas en vain que les individus et les peuples sont sacrifiés.

On comprend aussi que les passionssont, sans le savoir, au service de ce qui les dépasse, de la fin dernière de l'histoire: la réalisation de l'Esprit ou deDieu.

Chaque homme, dans la vie, cherche à atteindre ses propres buts, cache sous des grands mots des actionségoïstes et tâche de tirer son épingle du jeu.

Et la passion, ce n'est jamais que l'activité humaine commandée pardes intérêts égoïstes et dans laquelle l'homme met toute l'énergie de son vouloir et de son caractère, en sacrifiant àses fins particulières et actuelles toutes les autres fins qu'il pourrait se donner: « Pour moi, l'activité humaine en général dérive d'intérêts particuliers, de fins spéciales ou, si l'on veut, d'intentionségoïstes, en ce sens que l'homme met toute l'énergie de sa volonté et de son caractère au service de ses buts enleur sacrifiant tout ce qui pourrait être un autre but, ou plutôt en leur sacrifiant tout le reste.

» Mais si les passions sont orientées vers des fins particulières, elles ne sont pas, pour autant, opposées à l'universel.Le tumulte des intérêts contradictoires, des passions se résout en une loi nécessaire et universelle.

L'individu quimet son intelligence et son vouloir au service de ses passions sert, en fait et malgré lui, autrui, en contribuant àl'œuvre universelle.

Telle est la ruse de la Raison: les individus font ce que la Raison veut, sans cesser de suivreleurs impulsions, leurs passions singulières, de même que grâce à la ruse de l'homme, la nature fait ce qu'il veut sanscesser d'obéir à ses propres lois. L'universel est donc présent dans les volontés individuelles et s'accomplit par elles et particulièrement par lamédiation des grands hommes de l'histoire.

Ainsi, par exemple, Jules César ne croyait agir que pour son ambitionpersonnelle en combattant les maîtres des provinces de l'empire romain.

Or, sa victoire sur eux fut en même tempsune conquête de la totalité de l'empire: il devint ainsi, sans toucher à la forme de la constitution, le maître individuelde l'Etat.

Et le pouvoir unique à Rome « que lui conféra l'accomplissement de son but de prime abord négatif »ouvrait une phase nécessaire dans l'histoire de Rome et dans l'histoire du monde: « Les grands hommes de l'histoire sont ceux dont les fins particulières contiennent la substantialité que contre lavolonté de l'Esprit du monde.

» Les individus historiques sont donc les agents d'un but qui constitue une étape dans la marche progressive l'Esprituniversel.

Mais sans la passion, ils n'auraient ri pu produire.« Ce n'est pas le bonheur qu'ils ont choisi, mais la peine, le travail pour leur but.

[...

] En fait, ils ont été passionnés,c'est-à-dire ils ont passionnément pour leur but et lui ont consacré tout leur caractère, leur gd et leurtempérament.

[...] La passion est devenue l'énergie de leur moi; sans la passion ils n'auraient rien produire.

» Les grands hommes, les peuples avec leur esprit, 1eur constitution, leur art, leur religion, leur science ne maîtrisentpas le sens de ce qu'ils font.

Ils ne sont, que « les moyens, les instruments d'une chose plus élevée, plus vastequ'ils ignorent et accomplissent inconsciemment ».

Si « Rien de grand ne s'est accompli dans le monde sans passion», c'est bien parce que les passions sont énergie, incandescence du vouloir, tension vers un but, mais aussi etsurtout parce qu'elles ne sont que « les moyens du génie de l'univers pour accomplir sa fin ». II- La passion et le risque de l'errance. Or si la passion peut être conçue comme le moteur le plus à même de motiver l'action d'un homme il peuttout autant se retourner contre l'entreprise de celui-ci.

La passion est en effet l'absence de toute objectivité, lepassionné présuppose en fait qu'il est dans le vrai et parfois ne sait pas reconnaître les indices de l'échec.

Dès lors ilrisque de poursuivre une tâche vaine, précisément parce qu'en tant que passionné il est aveugle aux limites de sonentreprise.

L'écueil est donc le suivant : ne pas être capable de faire marche arrière, de se remettre en question, eten fin de compte de ne pas être capable d'avoir un rapport critique avec ce que l'on entreprend.

Les recherches, fin XIXe début XXe en immunologie, ont vu s'illustrer à la fois la fertilité et la dangerositéd'une attitude passionnée.

L'idée du vaccin (introduire dans l'organisme une souche de la maladie afin de luiapprendre à former des anti-corps adéquats) était décriée comme hasardeuse, pourtant dans l'urgence d'unesituation Pasteur a réussi à en démontrer l'efficacité.

De son côté Koch a isolé le bacille responsable de latuberculose, or une trop grande précipitation et un excès de confiance ont rendu ses premières expérimentationsdésastreuses et le remède s'est transformé en poison pour toute une série de malades.

Certes il est aisé de direqu'une plus grande tempérance eu permis d'éviter la mort de quelques hommes ; au moins il faut nous concéder laleçon suivante : une attitude par trop passionnée peut réussir d'emblée mais tout aussi bien échouer, afin de rendreefficace son traitement Koch a dû le mûrir et l'adapter.

La passion représente donc un risque d'enfermement de l'esprit, d'aveuglement aux signes annonciateurs del'échec.

Le passionné s'isole lui-même du monde, en ce sens on pourrait dire que la passion amoureuse plus qu'uncas particulier de la passion en constitue la figure paradigmatique : l'amoureux ne voit pas les défauts ni la banalitéde son objet d'élection.

La passion c'est le risque d'une fusion de l'homme avec sa visée, d'une confusion qui. »

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