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Peut-on en toute rigueur parler des "miracles" de la technique ?

Publié le 08/03/2004

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technique

L'idée selon laquelle la technique (il vaudrait mieux dire : les techniques) réaliserait des miracles est aujourd'hui bien banale; c'est un lieu commun journalistique, qui tend d'ailleurs depuis quelque temps à s'effacer devant la dénonciation des méfaits du progrès technique (pollution, nuisances).  La banalité certaine de cette idée n'enlève toutefois rien à sa force dans l'opinion courante, prompte à s'étonner - de cet "étonnement imbécile" dont parlait Spinoza - devant une découverte de l'intelligence humaine, ou tout simplement devant l'application d'une loi naturelle. Il suffit souvent d'un peu d'ignorance ou de crédulité pour voir un miracle là où il n'y a en fait que connaissance et travail.  Mais le problème est plus profond : puisque le mot "miracle" est incontestablement chargé d'un sens religieux, ne doit-on pas dire que nous avons face aux diverses techniques une attitude proprement religieuse, avec toutes les conséquences que cela implique (nouveaux dieux, prêtres, prières, etc.) ? Le cas de la médecine serait certainement intéressant, et vraisemblablement pas unique.  Quoi qu'il en soit, il faut commencer par examiner en quel sens on peut habituellement dire que la technique réalise des miracles.

La technique a accompli en quelques dizaines années de véritables miracles. La technique réalise tous nos rêves les plus fous et assure l'accrissement des richesses.

MAIS...

La technique n'est qu'une activité humaine et nullement divine. De plus, certes, la technique nous permet de mieux vivre et de vivre plus longtemps, mais, elle est aussi source d'aliénation.

technique

« Que la lumière soit à la simple pression sur un commutateur, qu'une petite boîte me fasse entendre une voix quiparle à Berlin ou à New York, qu'un comprimé fasse s'évanouir mon mal de tête en un quart d'heure : voilà bien deseffets qui tiennent du miracle (ne parlait-on pas à une certaine époque de la "fée électricité").

Au chapitre VI duTraité Théologico-Politique, consacré au problème du miracle..

Spinoza montre qu'on appelle en fait miracle tout ce qui contrevient à l'ordre naturel tel que nous le connaissons.

Pour l'opinioncommune (Spinoza dit "le vulgaire").

il y a miracle chaque fois qu'un effetdépasse ses facultés de compréhension.

Est miraculeux ce que nous necomprenons pas. C'est bien en ce sens qu'il faut parler des miracles de la « fée électricité.

Lejaillissement de la lumière à la pression du commutateur n'a rien de miraculeuxpour le physicien, ni même le plus souvent pour l'électricien : de même leposte de radio.

L'apaisement de la douleur par le médicament analgésiquetient à des lois physiologiques assez bien connues, mais dont nous nousétonnons facilement, ignorants que nous sommes des phénomènes corporelsqui déterminent des états ressentis dans l'âme.

Sous les réalisations les plusétonnantes de la technique moderne ne se cache aucun miracle.

maisseulement une connaissance objective des lois qui régissent l'ordre naturel.Certes, l'effet obtenu par la technique ne se produirait pas spontanément(naturellement) ; mais sa réalisation ne va à aucun moment contre l'ordre dela nature.

Alain insistait sur cet apparent paradoxe : c'est par les mêmes loisque l'océan nous engloutit et se prête à la navigation. C'est donc tout à fait abusivement qu'on peut parler de "miracles" à propos dela technique.

Mais cette illusion a des racines bien plus profondes encore, qui touchent au fond de notre attitudevis-à-vis de la technique ; et cette attitude présente tous les caractères de la croyance religieuse.Alain définissait le miracle: "un changement obtenu sans travail" .

C'est bien là ce que nous attendons en secret dela technique : qu'elle nous délivre du travail.

Cette attente est bien légitime, et les réalisations présentes de latechnique la justifient.

Car lorsque j'appuie sur le commutateur, l'effet visible est démesuré par rapport à l'effort quej'ai fourni ; une illusion me fait croire alors que cet effet a été obtenu sans travail, immédiatement (c'est la fée!).C'est, explique Alain, que je ne vois pas tout le travail qu'a exigé la production de la lumière ; je ne vois pas lesmachines qui tournent, les centrales électriques qui produisent, les hommes qui veillent pour faire fonctionner cesmachines.

Voilà par où notre foi en la technique devient religieuse : nous croyons à des puissances, comme lesanciens philosophes croyaient en des qualités occultes cachées au sein des corps.

Or, dit Alain, une machine nerend jamais que l'énergie qu'on lui a fournie, et cette énergie ne peut venir que du travail humain, seule source derichesse.

Aristote disait déjà que le jour où les navettes tourneront toutes seules, on pourra se passer d'esclaves.Le malheur est que les navettes ne tournent point toutes seules; seule une formidable illusion peut nous cacher, aumoment où nous profitons d'un résultat de la technique.

la quantité de travail social (manuel et intellectuel) que cerésultat a exigé. Mais nous n'avons pas assez insisté sur l'autre aspect du miracle : c'est toujours un événement heureux.

Voilà uneautre illusion, qui ne date pas d'aujourd'hui, mais précisément du XVIIIe siècle : l'idée selon laquelle les progrèstechniques sont une promesse de bonheur.

On objectera, comme il a été dit en introduction, que cette idée estaujourd'hui battue en brèche par une méfiance à l'égard du progrès technique ; mais ce renversement (certainementprovisoire) ne change rien à l'affaire, nous le verrons plus loin.Presque unanimes, les philosophes des Lumières sont persuadés que le progrès technique est porteur du bonheur del'humanité.

"Les sciences et les arts", enfin libérés de la tutelle de la religion, vont pouvoir porter leurs fruits ; il n'estque d'attendre quelque temps - le temps que les savants du monde entier se soient mis au travail en commun - etl'on verra l'homme réaliser le mot d'ordre cartésien : devenir comme maître et possesseur de la nature et cueillir lesfruits de la connaissance sur les branches de l'arbre de la science, dont parle Descartes dans la préface desPrincipes.Dans ce choeur optimiste, une seule voix discordante s'élève, celle de Rousseau.

Dans le Discours sur les scienceset les arts, Rousseau tente de montrer à ses contemporains que les sciences et les techniques ne sont pas, enelles-mêmes, un facteur de bonheur.

La technique n'est porteuse d'aucune vertu interne; bien au contraire, ellepeut amener corruption et malheur.

Quel est le message de Rousseau? La technique est, au mieux, "neutre" ; toutdépend de l'usage qui en est fait; la question essentielle est en particulier de savoir si les hommes qui l'utilisent ontconservé intact un sens moral suffisamment fort pour en contrôler les débordements toujours menaçants.On trouve chez Marx une idée très semblable : ce n'est pas la technique, par elle-même, qui réalise quoi que cesoit.

Les pages célèbres du Manifeste sur l'explosion technique qui bouleverse le monde depuis la Renaissancemettent au contraire en évidence le rôle prépondérant d'une classe : la bourgeoisie, et de la lutte qu'elle mènecontre l'ordre féodal.. »

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