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Le philosophe, le savant, l'artiste ?

Publié le 10/02/2004

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Pourtant, si l'on s'efforce d'approcher non seulement l'origine, mais encore les buts et les moyens qui fondent et développent ces attitudes, les choses ne sont pas aussi simples. Le philosophe, l'artiste et le savant ne sont pas seulement, comme on dit, des tempéraments, retenus, l'un par la méditation à fleur d'objet, le second par l'activité imageante, le troisième enfin appliqué à quelque manipulation avisée. Malgré ce qu'il peut y avoir de vrai dans ces indications, on ne saurait admettre aussi vite qu'une certaine inclination suffise à déterminer un type humain et, surtout, rende compte de l'énorme quantité d'ouvrages que les hommes conservent, dans lesquels ils se reconnaissent parce qu'ils y forment leur propre image et qui sont dûs justement à la fois aux philosophes, aux artistes et aux savants. Or ces ouvrages, à eux tous, portent la même marque, contribuent au même savoir, à la conscience du même pouvoir, à l'élaboration d'une même conception de cette humanité où l'on trouve encore - personne n'en doute - d'autres types d'activité, finissant toutes par concourir à une même affirmation de l'espèce.L'histoire nous apprend que la philosophie a donné naissance aux diverses sciences, pour autant qu'elle se proposait de se réaliser comme science de l'univers. Les physiologues de l'ancienne Grèce sont les ancêtres des savants actuels. Mais la philosophie n'est pas seule à revendiquer cette parenté. Elle-même fut longtemps mêlée à la religion, contribuant à scruter la poésie des mythes primitifs. Et l'artiste, qui ne se connaissait peut-être pas encore comme tel, produisait alors au-dehors les témoignages de « cet autre monde qui est l'homme » (pour parler comme Rabelais) en inventant les formes diverses d'un langage efficace, que le philosophe devait, comme le savant, prendre un jour pour objet d'étude. Pourtant c'est encore simultanément que philosophes, artistes et savants existent, c'est-à-dire coexistent, définissant leur domaine par l'originalité de leurs démarches, offrant à notre perspicacité des types d'humanité que l'on peut essayer de décrire et de comparer.

« langage.Pourtant il arrive qu'il veuille par là agir sur les choses mêmes et, d'abord, sur les institutions : n'a-t-on pas nomméphilosophes au xviii siècle ceux qui, en conséquence de connaissances, réflexions et raisonnements, tout occupés àdépouiller et — comme on dit aujourd'hui — à démystifier l'opinion commune, s'efforçaient de concevoir et d'instaurerun ordre plus viable, non pas peut-être directement conforme, mais plus favorable à une meilleure conception del'homme ? Il y a chez le philosophe ce mélange d'humilité et d'orgueil, tel qu'on pouvait le rencontrer dans lepersonnage de Socrate, comprenant, disait-il, pourquoi l'oracle l'avait désigné comme le plus savant des hommescar, alors que les autres croient savoir et ne savent rien, lui, au moins, connaît fermement qu'il ne sait rien.

Ainsi vale philosophe, tantôt en deçà, tantôt au-delà des préoccupations communes, remettant en cause ce que chacuntient pour assuré, mais non sans pouvoir sur autrui; car, si l'attitude critique peut paraître souvent vaine et sansobjet, les circonstances qui défont ce que d'autres circonstances avaient établi, rendent enfin tout hommeperméable, au moins une fois dans sa vie, à la valeur d'un doute fondamental qui lui dévoile le domainephilosophique.B) L'artiste, bien qu'on le dise parfois oisif et inutile, nous donne cependant à voir et à entendre : Il est, dit Souriau,un fabricateur d'objets; c'est par là qu'on le juge, bien qu'on ne saisisse pas toujours quel rapport il peut y avoirentre sa vie et les préoccupations ou les découvertes que ses oeuvres révèlent.

En effet si le philosophe est parfoisvictime de la malignité publique, l'artiste est, lui, victime d'une certaine littérature — désordre et génie — à laformation de laquelle il n'a peut-être pas été étranger à une époque donnée, alors qu'elle devait préparer la défianceou l'incompréhension de ceux parmi lesquels il doit vivre.

Comme le philosophe est pris parfois pour un rêveur, ondonne l'artiste comme un imaginatif : et pourtant qui se contenterait de rêver ou d'imaginer ne serait pour autant niphilosophe ni artiste.Certes il est vrai que l'artiste est proprement extravagant; il va au-delà du réel donné, formule par laquelle on peutdéfinir la fonction imageante.

Mais enfin il doit encore créer cet objet qui le justifie à ses propres yeux et lui permetd'être pris en considération par autrui.

Ainsi l'artiste est-il avant tout dévoué à ce qui n'est pas et qu'il doit faireêtre.

D'où le ton de sa vie et la recherche constante (à travers un métier, grâce à des règles auxquelles il obéit)d'une façon de faire susceptible de s'imposer aussi comme l'expression légitime portant l'évidence du sentiment et del'idée.

On peut penser de là qu'il y a une inquiétude propre à l'artiste, une insatisfaction qui, au-delà du savoir-faireassimilé, des procédés et des recettes, tente les hasards et les voies de l'inspiration, atteint parfois le style.

Aussile bonheur de l'artiste comme tel, c'est-à-dire celui qui le conduit à l'oeuvre réussie, peut-il se présenter dans lespires conditions de l'existence : et c'est ce qui ne manque pas de frapper le public.

Celui-ci, attaché à des formessouvent douteuses de bien-être ou de plaisir, admet non sans réticence que, comme le disait Juvénal, l'indignationpuisse faire les vers, ou que la muse puisse se présenter dans la douleur, au moment même d'une séparation, d'unerupture, d'un deuil privé ou collectif vivement ressenti.

D'ailleurs peut-être est-on encore plus étonné lorsqu'on voitsortir des mains d'un Manet, d'un Cézanne, dont la vie semble bourgeoise, indifférente et banale, des peintures dontla grandeur et la perfection ne doivent rien qu'à une expérience privilégiée, au travail et à un jugement attentif aucours .de l'exécution.

Certes l'artiste, comme le philosophe, est dans le monde et vit les difficultés communes.

Maissur la trame des peines et des joies qui l'apparentent aux autres, il tisse les droits d'une autre hiérarchie, non pascomme le philosophe en portant un jugement sur les valeurs elles-mêmes, mais au nom d'un souci majeur, créateurjustement de ces formes qui doivent transfigurer le monde usuel.

Il se sent appelé par son insatisfaction non pas àrefaire la nature, mais à lui donner un sens, en révélant ce que l'action de l'homme peut faire paraître de structuresimmédiatement significatives, en dehors, semble-t-il, de toute utilité.Pourtant rien de tout cela n'est donné, et voilà pourquoi il y a une passion de l'artiste, avec ses propres espoirs et désespoirs, incompréhensibles aux autres : c'est dire que la maîtrise de soi n'a de sens, pour cet homme, que dansl'action créatrice.

Celle-ci s'établit souvent sur un fond passionnel où le doute n'est pas philosophique précautiondans la démarche, mais anxiété véritable, surmontée par la joie du travail — et dont l'oeuvre témoigne.C) Le philosophe et l'artiste peuvent être moqués ou admirés; ils sont, en tant que personnages, enveloppés d'uneironie, tantôt affectueuse ,et tantôt mordante, qui correspond, après tout, assez bien aux activités dont ils seprévalent en des sociétés où l'on pratique le vieil aphorisme (primum vivere, deinde philosophari ».

Ils paraissent plusinoffensifs qu'ils ne sont peut-être en fait, et l'on pense qu'ils existent un peu en marge des autres pour donnerconsistance à ce halo d'impulsions où se révèlent, dans la rêverie, les désirs communs d'un « ailleurs » ou d'un "autrechose », dont on pourrait sans doute aussi...

si l'on avait le temps, s'occuper légitimement ! Le savant, lui, estentouré d'un respect inquiet, de la crainte sacrée dûs au sorcier, au thaumaturge, à celui dont au fond on espèrebeaucoup sans qu'on comprenne très bien, sans qu'on puisse prévoir autrement que par le désir d'une meilleureadaptation au réel, quelle est finalement la portée de ses activités ?On les escompte bénéfiques, ou du moins étonnantes dans leurs manifestations.

De même que l'artiste était victimedu préjugé romantique, le savant, lui, se voit crédité par une prévention inverse, datant de la même époque, oùs'est répandue l'idée d'une science libératrice de l'humanité.

Aussi quand on se représente le savant, c'est un êtremi-calculateur mi-expérimentateur que l'on évoque, et le lieu où on le place est généralement le laboratoire.

De cefait même, il prend de la réalité aux yeux du public tandis qu'il n'y a pas pour le philosophe, voire pour l'artiste, cetenvironnement constant pour donner corps, en les situant, à des activités, dès lors mal installées dans la viesociale.

C'est dans ce climat, désormais favorable, que le savant travaille : mais pourquoi et comment ? Autrementdit, lui-même qui est-il ?. »

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