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Les philosophes peuvent-ils parler la langue du vulgaire ?

Publié le 17/02/2004

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Mais c'est là où l'impossibilité de ces subterfuges est flagrante. Bergson emploie, dans une langue limpide, un vocabulaire qui lui est propre en infléchissant les mots jusqu'à leur faire dire ce qu'il lui plaît à dire : le mot d'expérience, les termes d'intuition, de liberté ou de durée, si simples qu'ils apparaissent de prime abord, revêtent une signification beaucoup plus complexe que l'on ne pourrait le croire d'emblée. Ce n'est pas la langue du vulgaire qu'emploient Malebranche, Voltaire et Ravaisson, mais un jargon qui, sous l'apparence d'une identité remarquable avec la langue populaire, prend un sens extrêmement particulier. Il nous faut donc reconnaître l'utilité indispensable d'une terminologie spéciale propre à chaque philosophe, et seule capable de donner aux termes leur valeur propre. 2. Si même les philosophes pouvaient parler la langue de tout le monde, il faudrait nécessairement les en empêcher : car enfin, cette langue particulière qu'ils emploient, c'est le style de l'écrivain, la marque de fabrique, la couleur du peintre, le coup de ciseau du sculpteur ; c'est à la fois ce qui fait leur force (puisque là réside leur originalité la plus marquée, extérieurement du moins), et leur nouveauté la plus remarquable (puisque c'est grâce à elle qu'il faudra, pour les comprendre, une terminologie et une exégèse exclusives). Il y a plus : la langue d'un philosophe, c'est ce qui en fait la grandeur : il y a une dimension esthétique des systèmes philosophiques dont la qualité essentielle réside dans l'âpre beauté d'un vocabulaire essentiellement abstrait. 3. Poincaré voyait dans l'élégance le critère de la meilleure solution d'un problème mathématique ; ne pourrait-on reprendre le même signe pour discriminer une bonne d'une mauvaise langue philosophique ? Ne pourrait-on pas dire que seules sont admissibles les terminologies où l'élégance se joint à la précision ?

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