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Un poète géographe: Apollonios de Rhodes

Publié le 06/03/2011

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   Apollonios de Rhodes, l'auteur des Argonautiques, est connu surtout comme peintre de l'amour : on lit dans son œuvre l'admirable histoire de Jason et de Médée, qui en remplit à peine le tiers, mais on néglige le reste.    Ce choix paraît trop exclusif. Il est vrai que, par la nouveauté du sujet, par la profondeur et la vérité de l'analyse psychologique, cet épisode est la meilleure partie du poème : une jeune fille timide et innocente transformée peu à peu en amoureuse criminelle, complice du meurtre de son frère, quel sujet émouvant et éternellement humain ! Mais il ne faut pas juger d'après cet épisode, ou par opposition avec lui, l'épopée dans son ensemble, et croire qu'à part cette brillante exception, elle est illisible, sans valeur, toute remplie de science indigeste et de pédanterie alexandrine. Elle nous apparaît plutôt comme un curieux mélange d'érudition et de poésie.

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« autre bras qui se jette dans l'Adriatique : cette idée surprenante, loin d'être une invention ou une erreurmonstrueuse du poète, correspond à la science incomplète de son temps et on la trouve chez Aristote, Théopompeet même Eratosthène.

Les Colques, commandés par Apsyrtos, frère de Médée, rejoignent les Argonautes à leurarrivée dans l'Adriatique, mais Apsyrtos, que sa sœur attire dans un guet-apens, est tué par Jason et les Colques,privés de leur chef, renoncent à la poursuite.

Les héros longent la côte orientale de l'Adriatique et arrivent en vuede l'Epire, quand la volonté de Zeus et une tempête les ramènent au fond de cette mer, à l'embouchure de l'Eridan,le Pô actuel.

Ils remontent ce fleuve, près duquel les Héliades, pleurant leur frère Phaéthon, versent des larmesd'ambre ; ils passent ensuite dans le Rhône qui communique avec lui, traversent les « lacs Celtes » de la Suisseactuelle, s'égarent dans un bras du Rhône qui coule vers le nord (nous l'appelons aujourd'hui le Rhin), puisreviennent en arrière et descendent le Rhône jusqu'à la Méditerranée, en traversant le pays des Celtes et desLigures.

Cette divagation extraordinaire est un mélange incohérent de données fabuleuses et de vagues notionsd'origine commerciale sur le centre de l'Europe, encore mal connu. En Méditerranée, après avoir fait escale aux îles Liguriennes ou Stoichades (nos îles d'Hyères et de Lérins), puis àl'île d'Elbe ou Aithalia, les Argonautes arrivent dans une région que décrit l'Odyssée.

Dans l'île Aiaié, Circé purifieJason et Médée du meurtre d'Apsyrtos.

Les Sirènes guettent les navigateurs dans l'île Anthémoessa, mais ilsrésistent à leurs séductions grâce à un chant d'Orphée.

Avec le secours des Néréides, ils passent sans dommageparmi les Roches Plauctes volcaniques, les îles d'Héphaistos et d'Eole, Charybde et Scylla ; ils aperçoivent ensuitel'île de Trinacrie et abordent à celle des Phéaciens, où ils sont reçus, comme Ulysse, par Alkinoos.

Toute cettepartie de l'itinéraire est faite de souvenirs de l'Odyssée, mais les localisations d'Apollonios sont plus précises quecelles d'Homère : la Trinacrie est certainement la Sicile et l'île des Phéaciens, Corcyre, dont le double port est décritexactement par le poète. De Corcyre, le voyage se poursuit le long de la côte adriatique, mais brusquement une tempête pousse lesArgonautes jusqu'au fond de la Syrte, d'où ils portent leur vaisseau douze jours et douze nuits sur leurs épaules, àtravers le désert, pour atteindre le lac Triton.

D'après les vagues indications du poète, il s'agit de la Grande Syrte,et le lac Triton doit être identifié avec la lagune de Benghazi, l'ancienne Bérénice, en Cyrénaïque.

L'auteur a mêlé defaçon curieuse les souvenirs de Pindare et d'Hérodote aux légendes locales de Cyrène qui placent près de Bérénicele lac Triton, la 'demeure d'Atlas et le jardin des Hespérides. La fin du voyage est intéressante surtout par les traditions locales, fondations de villes ou de cultes, que le poèterattache au passage de ses héros.

Les Argonautes abordent à Carpathos, puis en Crête, où Médée les débarrassepar ses incantations du géant Talos qui les empêchait de débarquer.

A Anaphé, ils élèvent un autel à ApollonÂiglétès ; avec une motte de terre jetée à la mer, ils font surgir l'île de Théra ou Callisté ; à Egine, ils font unedernière escale avant d'atteindre Pagases en longeant J'Attique et la Locride.

Ainsi se terminent à la fois cetimmense périple et le poème d'Apollonios. Ce simple aperçu du voyage de Jason nous montre la formation «d'un poème comme les Argonautiques, la méthodede travail de son auteur et la valeur de bes connaissances géographiques. Elève du savant Callimaque, puis bibliothécaire d'Alexandrie, il a consulté un très grand nombre d'ouvrages sur lanavigation des Argonautes, les régions qu'ils ont parcourues, les souvenirs qu'ils y ont laissés, des légendes qui serattachent à leur voyage.

Il a surtout lu et imité parmi les poètes, Homère, Hésiode, Pindare et son maîtreCallimaque ; parmi les prosateurs, Hérodote, Timée et Timagète d'abord, puis Phérécyde, Ephore, Xénophon et desauteurs peu connus de chroniques locales, sur Cyzique et Héraclée en particulier.

Dans ces lectures, il a fait uneample moisson de détails sur la géographie, la topographie et les habitants de presque tout le monde connu de sontemps ; il a recueilli des aitia, des traditions locales, des récits merveilleux et même des étymologies curieuses.

Larédaction des Argonautiques fut précédée par un long travail de documentation. Les matériaux ainsi recueillis, le poète les a déversés dans son épopée en les classant dans un ordre géographique,en les réunissant par un itinéraire très vaste afin d'en conserver le plus grand nombre possible.

Pour le retournotamment, il pourrait choisir entre les trois versions 'connues avant lui et faire revenir les Argonautes soit par lePhase, l'Océan, la Libye et la Méditerranée, suivant Hésiode, Hécatée de Milet, Pindare et Autimaque ; soit par lamême route qu'à l'aller, d'après Sophocle, Euripide et probablement Callimaque ; soit par le nord et l'ouest del'Europe, puis la Méditerranée, suivant Timée et Timagète.

Au lieu de choisir, il a réuni les trois versions dans unitinéraire complet, mais invraisemblable et peu homogène, où les tempêtes et les interventions divines révèlent demaladroites soudures. Comme son itinéraire, sa géographie manque d'unité, la science la plus solide y voisinant avec la fable : il place lessources du Danube au pays des mythiques Hyperboréens, et il décrit Cyzique, Héraclée et Corcyre avec uneexactitude que confirment les géographes et les archéologues modernes.

Par timidité, défaut de critique ou amourd'érudit soucieux de ne laisser perdre aucun document, il n'a pas su reconstituer le voyage des Argonautes d'aprèsune géographie archaïque ou fabuleuse, ni d'après la science de son temps. Enfin il n'a pas voyagé comme un Hérodote ; nulle part on ne trouve trace dans son poème d'une connaissancedirecte et personnelle des lieux qu'il décrit.

Sa curiosité est seulement livresque, son érudition est celle d'un rat debibliothèque, et le voyage des Argonautes fut pour lui un beau voyage en chambre.

Il n'a pas fait avancer la sciencede son temps, ni préparé la voie à Eratosthène, son successeur à la Bibliothèque d'Alexandrie.

Au point de vuescientifique, il faut donc juger sévèrement la géographie d'Apollonios.

Il est vrai que nous sommes devenus. »

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