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Est-il vrai que l'enfer est pavé de bonnes intentions ?

Publié le 28/01/2004

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Notre bonne conscience ne cache-t-elle pas quelque préjugé issu de l'éducation ? Ne masque-t-elle pas un besoin de domination habile à se vêtir - pour les autres et pour soi-même de probité candide ? La Rochefoucauld, bien avant les modernes psychanalystes, nous a appris à nous méfier de nos intentions.La morale de l'intention pure n'est pas plus satisfaisante qu'une morale qui jugerait seulement au résultat. La morale de l'intention est une morale d'enfant. L'enfant n'est guère capable de réflexion. il ne peut pas prévoir les conséquences de ses actes. L'essentiel est qu'il soit sage, obéissant, qu'il fasse preuve de bon vouloir et ne fasse pas le mal « exprès ». On lui pardonnera des bévues car, après tout, ses actes ont peu de portée. Une morale « pour adultes avertis » doit être plus exigeante.
Pour Hume, la morale repose sur un consentement unanime. La frontière entre le bien et le mal ne peut être dessinée par la raison. C'est le sentiment qu'ils suscitent en nous qui nous permet de les distinguer. Mais, tout sentiment est subjectif. C'est à la raison, qui a une portée universelle, de contrôler les passions, de déterminer ce qui est bien et mal par rapport au désir des hommes.

« condition nécessaire de la valeur morale d'un acte.

Elle n'est pas une condition suffisante.

Il ne nous semble paspossible, à notre époque, d'accepter le principe d'une morale mystique qui se soucierait exclusivement de la puretédes consciences et serait indifférente à la matière même des oeuvres.

En fait, nous sentons bien que nous avons ledevoir d'augmenter la quantité de bien dans le monde, de travailler au bonheur humain, d'aider le prochain às'épanouir pleinement.

Nous ne pouvons nous contenter d'une morale formelle, car il faut agir concrètement, il fautincarner les valeurs dans le monde.

Hegel a bien montré que le culte kantien de la bonne intention, de la « belle âme» qui « vit dans l'angoisse de souiller la splendeur de son intériorité » dissimule un secret égoïsme.

Se contenterd'agir avec de « bonnes intentions » sans se soucier de la valeur objective du résultat, n'est-ce pas s'assurer unesécurité intérieure à bon compte ? L'intention risque alors d'être un refuge, un alibi comme dans la morale de l'enfantqui s'évite des reproches en assurant qu'il n'a pas fait le mal « exprès ».

Pascal avait sévèrement critiqué, dans saseptième Provinciale, les directeurs de conscience qui assuraient qu'il suffit de valoriser l'intention pour justifierl'acte (par exemple, vous pouvez refuser l'aumône au mendiant du carrefour à condition que ce soit dans l'intentionde l'inciter au travail et non dans l'intention de le faire mourir de faim).

Sans doute, Kant serait-il le premier àcondamner l'hypocrisie de ces moralistes, qui, disait Pascal, « contentent le monde en permettant les actions etsatisfont l'Évangile en purifiant les intentions ».

Mais, à côté de ces hypocrisies grossières, n'est-il pas deshypocrisies plus subtiles que la morale de la pure intention a du mal à éviter ? Notre bonne conscience ne cache-t-elle pas quelque préjugé issu de l'éducation ? Ne masque-t-elle pas un besoin de domination habile à se vêtir — pourles autres et pour soi-même de probité candide ? La Rochefoucauld, bien avant les modernes psychanalystes, nousa appris à nous méfier de nos intentions.La morale de l'intention pure n'est pas plus satisfaisante qu'une morale qui jugerait seulement au résultat.

La moralede l'intention est une morale d'enfant.

L'enfant n'est guère capable de réflexion.

il ne peut pas prévoir lesconséquences de ses actes.

L'essentiel est qu'il soit sage, obéissant, qu'il fasse preuve de bon vouloir et ne fassepas le mal « exprès ».

On lui pardonnera des bévues car, après tout, ses actes ont peu de portée.

Une morale «pour adultes avertis » doit être plus exigeante.

L'attitude opposée, cependant, qui néglige l'intention et ne voit quele résultat n'est pas meilleure.

Dans Humanisme et Terreur, Merleau-Ponty soutient que pendant l'occupationallemande de la France (1940-1944) les « collaborateurs » des Allemands ont eu tort et les « résistants » ont euraison parce que l'Allemagne a été finalement battue.

Est-ce à dire que le courage des résistants eût étémoralement sans valeur en cas d'échec ? Merleau-Ponty eût-il condamné les héroïques républicains de la guerred'Espagne parce qu'ils furent vaincus ? Il serait trop simple et trop contraire à la conscience morale universelle deconfondre à la manière hégélienne le « cours des événements » avec la « vertu » et « l'histoire du monde » avecson « jugement dernier ». Au vrai, une morale réellement humaniste s'efforcera de tenir les deux bouts de la chaîne et de prendre enconsidération, tout à la fois, l'intention et le résultat.

La dialectique de l'intention et de l'acte est riche et complexe.Il y a d'une part une plénitude, une complexité de l'acte par rapport à l'intention, car mes actes me dépassent, ilsont, à côté des conséquences que j'en espère, une foule d'autres résultats que je n'avais prévus.

Mais, d'autrepart, l'intention est plus riche que l'acte, plus mystérieuse.

Il m'est si difficile de connaître tous les motifs, simplesou compliqués, honorables ou inavouables qui me conduisent à poser tel acte très simple.

Au fond, je me senstoujours dépassé à la fois par mes actes dont je ne devine pas toutes les conséquences et par mes intentions dontje ne sais jamais ce qu'elles peuvent dissimuler à mes propres yeux.

La conclusion c'est que la conscience del'honnête homme n'est pas, ne peut pas être une conscience tranquille.

Mesurons, tout d'abord, la différence quiexiste, pour reprendre des termes thomistes, entre l'intention de l'agent (finis operantis) et l'intentionalité de l'acte(finis operis).

L'idéal c'est que notre conscience soit assez lucide pour posséder la signification réelle de l'oeuvre quenous allons accomplir, l'idéal c'est que l'intention de l'agent (le but que nous nous proposons) soit assez éclairéepour être adéquate à l'intentionnalité de l'oeuvre (c'est-à-dire à sa signification réelle).En termes plus simples, il ne suffit pas d'avoir bonne conscience, encore faut-il nous efforcer de savoir exactementce que nous faisons.

Il ne suffit pas d'avoir de bonnes intentions, encore faut-il agir avec une conscience informée.C'est le moraliste Rauh qui insiste sur la nécessité de « l'expérience morale », c'est-à-dire de l'entreprised'information et de documentation destinée à « éclairer » la conscience.

«La qualité des âmes», dit Brunschvicg,«ne dispense pas de la qualité des idées n.

On accordera qu'un imbécile bien intentionné n'est pas un agent moral àciter en modèle.

Certes, en matière de moralité la conscience reste le juge suprême.

Encore faut-il qu'elle nes'enferme pas en soi-même pour savourer paisiblement sa bonne foi, mais qu'elle s'ouvre à tous les problèmes et àtous les risques du monde afin que sa moralité ne soit pas seulement un rêve, mais une oeuvre.. »

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