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Pouvons-nous penser autrui autrement qu'a partir de nous-mêmes ?

Publié le 27/02/2005

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Mais les pensées et les sentiments d'autrui me sont inconnus. Ainsi Descartes soutenait-il que s'il regardait la vue du haut de sa fenêtre, il ne voyait que des chapeaux et des manteaux : il ne pouvait être certain qu'ils fussent portés par des hommes et non par des spectres. Pareillement puis-je être sûr que mon voisin n'est pas un robot? «Que vois-je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuvent couvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ?» Descartes, Méditations métaphysiques (1641), II. * Le doute méthodique qui mène Descartes à remettre en cause l'existence même du monde extérieur permet de bien comprendre la distance qui me sépare d'autrui. Qu'est-ce qui me prouve, en effet, que je ne suis pas le seul être doué d'une véritable subjectivité, et que les autres ne sont pas tous des automates, ou même des rêves? * Si radicale et paranoïaque qu'une telle hypothèse puisse sembler, c'est bien souvent comme un automate - ou comme un objet, et non comme un sujet digne de ce nom - que je traite autrui lorsque je l'instrumentalise à mes propres fins ou que je le considère comme d'une dignité inférieure à la mienne. Pourtant, je peux savoir indirectement qu'autrui est un alter ego. Puisque je suis doué de sens externes, je perçois les effets sur mon corps de mes sentiments et de mes pensées.

• Article « autrui « du Littré :  « Autrui de alter-huic, cet autre, à un cas régime : voilà pourquoi autrui est toujours au régime, et pourquoi autrui est moins généra) que les autres. «  • Lévinas : « Autrui, en tant qu'autrui, n'est pas seulement un alter ego (un autre moi-même). Il est ce que moi je ne suis pas. « L'autre ne serait-il pas absolument autre qu'en étant un ego c'est-à-dire, d'une certaine façon, le même que moi ?  • Reconnaître le semblable dans la différence ne serait-ce pas la condition de toute éthique et de tout « respect « de « la personne «?  La reconnaissance de l'essence de l'étant (quelqu'un étant comme autre, comme autre soi), la reconnaissance « d'autrui « ne conditionnerait-elle pas le respect de l'autre comme ce qu'il est : autre.  Sans cette « reconnaissance «, sans ce « laisser-être « d'un autrui comme existant hors de moi dans l'essence de ce qu'il est (est d'abord dans son altérité), une éthique est-elle possible ?  • « L'autre « et le moi de l'enfant. La psychologie de l'enfant nous indique qu'il n'y a pas d'abord opposition entre le moi et autrui. L'enfant part d'un syncrétisme ou, si l'on veut d'un confusionnisme. C'est précisément le rapport avec autrui qui l'amènera à un changement de perspective.  • L'évolution de là personnalité de l'enfant s'accomplit à tous les stades, en fonction d'autrui :  — opposition à autrui,  — se donner en spectacle à autrui,  — jouer le rôle de l'autre, puis de l'autre généralisé (Cf. l'ethnologie G.-H. Mead),  — la crise dite d'originalité juvénile.  • Se demander si ce qui est donné en second lieu, ce ne serait pas le moi; si la connaissance du moi (et l'évolution de la connaissance du moi) ne serait pas dépendante et en tout cas seconde par rapport à la connaissance d'autrui (et l'évolution  de la connaissance d'autrui).  • S'interroger sur ce qui amène l'adulte à penser que le « moi « est premier. L'adulte peut-il penser autrui autrement qu'à partir de lui-même?

« «Que vois-je de cette fenêtre, sinon des chapeaux et des manteaux, qui peuventcouvrir des spectres ou des hommes feints qui ne se remuent que par ressorts ?»Descartes , Méditations métaphysiques (1641), II. • Le doute méthodique qui mène Descartes à remettre en cause l'existence même du monde extérieur permet de bien comprendre la distance qui me sépare d'autrui.

Qu'est-ce qui me prouve, en effet, que je ne suis pas le seul être doué d'une véritablesubjectivité, et que les autres ne sont pas tous des automates, ou même des rêves?• Si radicale et paranoïaque qu'une telle hypothèse puisse sembler, c'est bien souventcomme un automate - ou comme un objet, et non comme un sujet digne de ce nom -que je traite autrui lorsque je l'instrumentalise à mes propres fins ou que je le considèrecomme d'une dignité inférieure à la mienne. Pourtant, je peux savoir indirectement qu'autrui est un alter ego.

Puisque je suis douéde sens externes, je perçois les effets sur mon corps de mes sentiments et de mes pensées.

Par exemple, quand je suis en colère, je me vois rougir, quand je suis en vélo et que je veux tourner àdroite, ce que je sais par introspection, je me vois tendre le bras...

Ainsi, quand je constate par mes sens de telsphénomènes sur le corps et dans le comportement d'autrui, je peux en conclure à partir de ce que je connais demoi-même qu'autrui a tel sentiment ou telle pensée, en conséquence qu'autrui est un être pensant.

De laconnaissance intuitive de mes états mentaux, j'infère donc la connaissance des états mentaux d'autrui.

Je neconnais pas autrui immédiatement, mais par un raisonnement, que l'on appelle une analogie.

Il semble que je peuxconnaître autrui par la ressemblance entre ce que je perçois de mon corps et ce que je perçois de son corps : c'està partir de moi-même que je pense autrui.

Avons-nous pourtant vraiment besoin d'un raisonnement pour connaîtreautrui ? D'abord, tout raisonnement suppose une certaine durée : il faut passer des énoncés du début, les prémisses, àl'énoncé final, la conclusion.

Dans le cas présent, le raisonnement a la forme suivante : quand j'ai telle pensée, jefais telle chose; or, autrui fait telle chose (ce sont les deux prémisses); donc autrui a telle pensée (c'est laconclusion).

Une telle médiation semble s'opposer à l'immédiateté avec laquelle je reconnais en autrui un êtresemblable à moi, c'est-à-dire un être pensant.

Pourtant, une telle objection, quoique non négligeable, est de peu depoids : en effet, il est possible qu'une telle manière de raisonner soit si habituelle qu'elle en soit devenueinstantanée. Ensuite, une telle manière de connaître autrui ne pourrait jamais m'assurer avec certitude de l'existence d'autrui.

Eneffet, l'existence d'un lien entre mes pensées et certains comportements observables ne me garantit en aucun casl'existence d'un tel lien pour les comportements des autres corps : qu'est-ce qui peut me garantir qu'uncomportement dépend nécessairement d'états mentaux semblables aux miens? Un sceptique peut donc légitimementnier qu'il y ait une relation nécessaire entre les comportements et les états mentaux.

Et s'il peut le nier, alorsl'existence d'autrui ne peut jamais être connue avec certitude. L'argument par analogie commet en définitive une pétition de principe: il présuppose qu'il y a un lien nécessaireentre pensées et comportements pour les corps que je perçois en train d'accomplir différents mouvements.

Ilprésuppose donc que ces corps sont des êtres pensants comme moi, et non des robots, pour lesquels un tel lien enrevanche n'existe pas.

Grâce à cette supposition, il déduit leur pensée par analogie, alors que la question estjustement de savoir si je puis être certain que ces corps sont bien ceux d'êtres pensants. Doit-on donner raison au sceptique : suis-je incapable de savoir avec certitude qu'autrui existe, si je ne peux leconnaître à partir de moi-même ? Mais le sceptique comme le partisan de l'argument par analogie présupposentpeut-être tous deux que l'esprit doit être connu par inférence à partir du comportement.La possibilité de connaître autrui avec certitude dépend de la possibilité de le connaître autrement que par uneanalogie à partir de nous-mêmes.

Aux yeux du sceptique comme du partisan de l'analogie, l'esprit est dissimulé etinaccessible aux sens.

Il est différent du corps et est la cause du comportement.

La seule manière de le connaîtreconsiste à remonter de ce comportement jusqu'à l'esprit, C'est-à-dire à déduire le second du premier.

Ils seséparent sur la possibilité d'une telle déduction pour le second, elle est possible à partir de la connaissance de moi-même, pour le premier, elle est impossible.

Mais l'esprit est-il une chose à déduire du comportement ? Si tel n'estpas le cas, il pourrait être connu immédiatement, et non pas déduit. Que peut être l'esprit d'autrui ? Quand nous expliquons le comportement d'autrui au moyen de ses désirs et de sescroyances, comme dans le cas du cycliste, nous ne faisons pas référence à des causes du comportement, maisnous lui donnons un sens en mentionnant des raisons.

En effet, une cause doit pouvoir être décrite indépendammentde son effet.

Or, la description du désir et de la croyance qui expliquent un comportement mentionnenécessairement ce comportement: le fait de tendre le bras à droite est expliqué par la croyance du cycliste selonlaquelle en tendant le bras à droite, on indique aux automobilistes son désir de tourner à droite.

Or, si les croyanceset les désirs ne sont pas les causes, mais les raisons du comportement, l'esprit n'est pas la cause du comportement. »

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