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Le privilège de l'homme est-il de pouvoir dépasser le présent ?

Publié le 14/03/2004

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 Le privilège de l'homme est-il de pouvoir dépasser le présent ? Dépasser le présent, c'est là le fait d'un être rationnel C'est parce que nous avons le privilège de pouvoir dépasser le moment qui passe que l'on nous tient pour responsables des conséquences de nos actions. C'est encore pour la même raison que nous sommes à même de tirer des leçons du passé - de notre histoire individuelle, mais aussi de l'histoire des temps révolus. Pas de pensée politique, pas d'utopie a fortiori, pour un être qui ne disposerait pas de ce pouvoir de s'arracher à l'immédiat. Ce qui est déraisonnable dans l'oubli du moment présent Toutefois, à force de nous projeter en avant de nous-mêmes, «nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre», comme l'écrivait Pascal dans ses Pensées. «Nous ne tenons jamais au temps présent, dit également Pascal. Nous anticipons l'avenir comme trop lent à venir, comme pour hâter son cours» (ibid.). Les «insensés», selon les sages antiques, sont, en effet, ceux-là même qui, ne sachant jouir du présent, «ne songent qu'aux biens futurs qu'ils attendent» (Cicéron, Des fins, I, 60). Aussi se consument-ils d'anxiété et de crainte.

« à l'origine, par un simple fil.

Les textes sont souvent écrits à la hâte, repris, complétés, surchargés, raturés ;certains mots parfois, trop abrégés, sont illisibles.

A cela s'ajoutent des textes rédigés « sur des feuilles volantes »et séparés d'un simple trait.

Quel ordre donner à tout cela dans une publication définitive, d'autant que sans cessede nouvelles « Pensées », trouvées ici ou là, sont ajoutées ? Les éditions successives n'en finissent pas de donnerchacune leur interprétation, « les mêmes pensées formant un autre corps de discours par une disposition différente» comme l'indiqua, de manière prémonitoire, Pascal lui-même.D'où la table de concordance que l'on trouve maintenant dans chaque édition et qui permet de naviguer aisément del'une à l'autre de ces neufs cents et quelques pensées : ainsi cette pensée, classé 172 dans l'édition deBrunschvicg, est le numéro 45 dans l'édition Tourneur & Anzieu.

Quant au texte il s'insère dans le passage suivant :« Que chacun examine ses pensées, il les trouvera toutes occupées au passé et à l'avenir.

Nous ne pensonspresque point au présent ; et si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre la lumière pour disposer de l'avenir.Le présent n'est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin.

Ainsi nousne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable quenous ne le soyons jamais.

»Pascal, selon l'habitude de son temps, s'est sans cesse nourri de la pensée de ses devanciers.

C'est un lecteurinfatigable, et Montaigne est l'un de ses auteurs favoris, dont il reprend souvent le texte sceptique pour l'utiliser auxfins de l'apologétique chrétienne.

C'est ici le cas.

Pascal s'est souvenu expressément d'un passage de l'édition de1588 des « Essais » : « Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes toujours au-delà.

La crainte, le désir,l'espérance nous élancent toujours vers l'avenir, et nous dérobent le sentiment et la considération de ce qui est,pour nous amuser de ce qui sera, voire quand nous ne serons plus.

» (Livre 1, chapitre 3).Ceci est d'ailleurs un thème cher aux moralistes de l'Antiquité, que Montaigne ne se fait pas faute de citer, à la suitede ce passage : l'épître 98 du philosophe latin Sénèque (« Malheureux l'esprit tourmenté de l'avenir ») et Epicure («Epicure dispense son sage de la prévoyance et de la sollicitude de l'avenir »).Cette thématique, qui dénonce l'impossibilité où est l'homme de se fixer au présent, est aussi celle des écrivains dela période classique.

On trouve ainsi une expression assez semblable chez le moraliste La Bruyère : « La vie estcourte et ennuyeuse ; elle se passe toute à désirer.

On remet à l'avenir son repos et ses joies, à cet âge souventoù les meilleurs ont disparu, la santé et la jeunesse.

Ce temps arrive, qui nous surprend encore dans les désirs : onen est là, quand la fièvre nous saisit et nous éteint » (« De l'homme »).Cependant ce qui, chez l'un ou l'autre, est notation strictement psychologique, prend chez Pascal une autredimension, beaucoup plus philosophique.

Car c'est d'une conception de l'homme, et de son rapport à Dieu, qu‘ils'agit.

Pascal est très explicite sur ce point : l'homme, en s'intéressant à son passé ou à son avenir, cherche enréalité à échapper au présent qui est pourtant le seul temps qui soit véritablement à nous.

Ici, il n'y a pas seulementle témoignage d'une « pensée » écrite à la hâte, mais l'expression réfléchie d'une lettre rédigée en décembre 1656par Pascal à l'intention de Mlle de Rouanez, au moment où elle souhaite entrer en religion : « Le passé ne doit pasnous embarrasser, puisque nous n'avons qu'à avoir regret de nos fautes ; mais l'avenir nous doit encore moinstoucher, puisqu'il n'est point du tout à notre égard, et que nous n'y arriverons peut-être jamais.

Le présent est leseul temps qui est véritablement à nous, et dont nous devons user selon Dieu.

»Et pourtant Pascal le sait bien (Pensée 139), tout nous montre le contraire.

Les hommes ne cessent de s'agiter, dese jeter dans le monde, d'aimer le jeu, la conversation des femmes, de courir les emplois.

En un mot, ils necherchent qu'une chose : le DIVERTISSEMENT.

Frénésie de l'action qui ne vise, en sortant sans cesse de soi, qu'às'oublier soi-même.

Aussi, si l'on en cherche plus finement les raisons , on les trouve dans la nature même del'homme.

Ce dernier n'a pas tort et a le juste pressentiment de son malheur.

Il y a un « malheur naturel de notrecondition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près.

» De làvient, continue Pascal, « que les hommes aiment tant le bruit et le remuement ; de là vient que la prison est unsupplice si horrible ; de là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible ».Pascal nous invite à accepter, sans effroi, notre humaine condition, qui est de n'être rien, certes, face à l'infinité deDieu mais d'être quelque chose avec son secours, en trouvant auprès de lui l'éternelle consolation dont nous avonsbesoin.

Telle est l'articulation centrale de la réflexion Pascalienne (Pensée 60) : MISERE DE L'HOMME SANS DIEU(parce que la nature est corrompue) ; FELICITE DE L'HOMME AVEC DIEU (parce qu'il y a un réparateur).

Dans sasituation de misère, loin de Dieu, l'homme s'étourdit de son passé et plus encore de son avenir supposé, mais nepeut, en réalité, jamais d'être heureux.

Dans la situation de félicité, au moment où il a retrouvé Dieu, l'homme peutparvenir au bonheur, à condition de se détourner du monde et de ses divertissements impuissants.

Aussi Pascal,contre l'éparpillement de soi, plaide-t-il en faveur de la méditation.

Il faut se « ramasser en soi-même » pour seconsacrer à ce Dieu « que nous connaissons sans savoir qui il est » (Pensée 233).Ainsi une vie heureuse serait définie par l'accord de l'homme avec Dieu.

Belle définition, sans doute.

Dieu est biencaché ou lointain.

Le transcendant a disparu de notre horizon, nous laissant en ce vide que décrit si bien Pascal.Inutile d'inventer de nouveaux dieux.

Tentons plus simplement de trouver une vie heureuse dans l'accord, sinonavec le monde, du moins avec nous-mêmes. Les «insensés», selon les sages antiques, sont, en effet, ceux-là même qui, ne sachant jouir du présent, «nesongent qu'aux biens futurs qu'ils attendent» (Cicéron, Des fins, I, 60).

Aussi se consument-ils d'anxiété et decrainte. Grandeur et misère de l'ImaginaireSeul, parmi les êtres vivants, l'homme se connaît mortel, et c'est là un privilège qu'on a pu nommer maladie(Rousseau).Prima quae vitam dedit, hora capsit : «la première heure qui t'a donné la vie, elle te l'a retirée», disait Sénèque(Lettres à Lucilius).

Telle est la leçon essentielle que paraît nous imposer notre conscience de l'instant qui passe.. »

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