Le problème de la nature humaine ?
Publié le 07/02/2004
Extrait du document
«
de montrer un objet désiré et de faire signe qu'on le lui apporte, il émet des sons.
De ce décalage naît la pensée.
Lapensée est le produit de l'action différée, médiatisée par l'outil et par la parole.
Langage, pensée, outil s'engendrentdonc mutuellement et se renforcent sur la base du travail.
3.
L'homme est un être de cultureSi l'homme a une origine animale, il n'en diffère pas moins qualitativement des animaux.
Quiconque étudie lephénomène humain est frappé par l'ampleur extraordinaire des progrès psychiques de l'humanité au cours desquarante ou cinquante derniers millénaires.
Ces progrès s'expliquent par l'apparition chez l'homme de trois faitsabsolument nouveaux dans l'histoire de l'évolution des espèces :— la découverte et l'utilisation d'outils;— la réalisation par la collectivité d'un patrimoine social accumulé et transmis de génération en génération;— l'acquisition du langage et la genèse de la pensée.
a) L'outilL'outil est un intermédiaire entre l'homme et la nature, il est un prolongement du corps anatomique.
A la différencedes animaux, les hommes ne sont plus tributaires de leur propre capacité organique.
Leur possibilité d'action sur lanature se trouve ainsi considérablement agrandie.
Sans doute, l'usage d'outils est-il propre à des animaux.
Ainsi, parexemple, les singes peuvent contre leurs ennemis, se servir de pierres ou prendre tout ce qu'ils peuvent trouver quia une force percutante.
Mais ces outils ne sont pas fabriqués, ils ne sont pas mis en réserve ou préparés.
Ils sontfournis par la Nature et utilisés dans l'urgence du moment.
Certains hominidés sont aussi capables de fabriquer desoutils, d'emmancher deux bambous, par exemple.
Mais ces outils ne sont pas perfectionnés.
On peut affirmer quel'outil qui existe à l'état rudimentaire chez les animaux devient un caractère distinctif de l'espèce humaine.
b) Le patrimoine socialChez les animaux, écrit le psychologue soviétique Léontiev, « les progrès se fixent sous forme de modification deleur organisation biologique même, dans le développement de leur cerveau ».
Chez l'homme, les progrès de l'espècene se fixent pas dans un « patrimoine biologique » transmis héréditairement, mais — et c'est là une différenceessentielle avec les animaux — dans un « patrimoine social » accumulé.
L'essentiel aujourd'hui pour les hommes,c'est le patrimoine constitué par l'accumulation des outils, des instruments de production, du savoir transmis degénération en génération par voie orale, puis par écriture, par ordinateur, par les bibliothèques, par les institutionsscolaires...
Teilhard de Chardin écrit : «Des institutions aussi conventionnelles que nos bibliothèques et nos muséesou des forces aussi extrinsèques à nos corps que l'éducation ne sont pas si loin qu'on pourrait le croire de constituerà l'humanité une mémoire et une hérédité.
»Ce glissement d'un plan à un autre représente un événement fondamental dans l'histoire de l'évolution de l'espècehumaine.
A des fonctions d'acquisitions et de transmissions individuelles de type organiques, telles que l'hérédité etl'instinct, se substituent des procédés collectifs d'ordre social.
c) Le langage et la penséeNous en arrivons au dernier point le plus caractéristique : celui de «l'homo loquax» (l'homme qui parle) et de «l'homosapiens» (l'homme qui pense).Le langage est un instrument de communication spécifique à l'homme.
Sans doute, existe-t-il chez les animaux desmodes de communication.
Ainsi dans Vie et moeurs des abeilles, Karl Von Frisch montre que les abeilles disposentd'un « système de signes différenciés » leur permettant d'indiquer la distance et la direction d'un gisement de pollen.Les éclaireuses se livrent pour cela à deux sortes de danse.
L'une se fait en cercle et annonce que l'emplacementde la nourriture doit être cherché à une faible distance dans un rayon de cent mètres environ de la ruche.
L'autre,que l'abeille accomplit en frétillant et en décrivant des huit, indique que le point est situé à une distance supérieure,au-delà de cent mètres et jusqu'à six kilomètres.
Il y a donc bien, chez les abeilles, une correspondance «conventionnelle » entre le « comportement » et les « données» (direction,distance) qu'il traduit, donc une certaine « capacité de formuler et d'interpréter un signe qui renvoie à une certaineréalité.
» D'autres animaux, comme les singes, ont recours à des mimiques, à des gestes ou à des cris.
Mais lacommunication, chez les animaux, reste sur le plan des connaissances perceptibles ou des impressions affectives.Ce qu'il y a de caractéristique dans le langage humain, c'est qu'il parvient à représenter des symboles et à exprimerdes idées.
Ainsi, chez l'homme, ce ne sont pas les changements biologiques qui jouent le rôle capital mais ce sontles progrès de l'outil, du patrimoine social, de la pensée.
Et quelques millénaires d'histoire sociale ont permis àl'homme de réaliser plus de progrès que les centaines de millions d'années d'évolution biologique des animaux.
4.
L'enfant de l'homme n'a pas de nature
A la naissance, dit Lucien Maison, tous les enfants naissent « psychiquement prématurés ».
Le cerveau ne contientpas telle ou telle aptitude mais seulement l'aptitude à former des aptitudes.
En outre, de tous les êtres vivants,l'homme est, à la naissance, le plus démuni d'instincts.
Le processus essentiel dans le développement de l'enfant,c'est donc, comme l'affirme Léontiev, « l'assimilation » ou « appropriation » de l'expérience accumulée par l'humanitéau cours de l'histoire de la société ».
Ainsi l'enfant doit «s'hominiser », c'est-à-dire qu'il doit apprendre à marcher, àparler ; il doit assimiler le « patrimoine social » pour accéder à l'humanité.
Il n'y a donc pas de nature ou d'essencehumaine «inhérente à l'individu isolé ».Un enfant isolé dès la naissance ne peut pas s'hominiser.
Dans Les enfants sauvages, Lucien Maison relate le cas dedeux enfants humains élevés avec des loups : Amala et Kamala.
Ces deux petites filles ont été capturées par unpasteur, en Inde, le 17 octobre 1920, alors qu'elles sortaient du terrier d'un loup.
Ces enfants marchaient à quatrepattes, hurlaient la nuit, lapaient, craignaient la lumière, étaient insensibles au froid et au chaud, avaient une acuité.
»
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