Devoir de Philosophie

Peut-on convaincre autrui qu'une oeuvre d'art est belle ?

Publié le 04/02/2004

Extrait du document

À quoi on doit ajouter que la définition de cette dernière est historiquement variable, et qu'à en retenir des critères datés, on court évidemment le risque de se rendre incapable d'accepter des oeuvres en « illustrant « des versions postérieures.[II. L'oeuvre comme objet de discussion]Pour convaincre, je ne puis ainsi prendre appui sur des arguments relevant d'un savoir partagé parce que l'oeuvre d'art, dans sa spécificité, reste étrangère à l'universalité qu'implique la connaissance. Hegel remarque à ce propos que l'oeuvre, dans sa représentation, conserve sa particularité, alors que la connaissance consiste, par définition, à viser l'universel à travers le particulier. Comment alors comprendre la beauté d'une oeuvre ?Kant propose, dans sa Critique de la faculté de juger, une définition de la beauté : est beau « ce qui plait universellement sans concept «. Comprenons que la beauté suggère l'universalité bien qu'elle ne soit pas relative à la présence d'un concept, alors que c'est ce dernier qui, ordinairement, nous donne l'universel. Et ajoutons que l'universalité du jugement esthétique semble de droit plutôt que de fait ; sinon, mon jugement coïnciderait nécessairement avec celui de mon voisin, et je n'aurais évidemment pas besoin d'essayer de le convaincre. On devrait ainsi penser que la beauté que je perçois s'établit dans l'oeuvre grâce à un fonctionnement qui évoque la conceptualisation, mais qui n'en est pas une.Le jugement esthétique, selon Kant, est de type réfléchissant, ce qui le distingue du jugement de connaissance (qui est pour sa part de type déterminant, ou d'application).

• Le sentiment du beau, subjectif, ne dépend-il pas de la culture dans laquelle je vis, de mon milieu ? Le beau n'est-il beau que dans ma culture ? • Mais si je peux encore aujourd'hui m'émouvoir à la vue d'œuvres qui ont des centaines d'années, c'est que le beau échappe au temps, et qu'il n'est pas définissable par la sociologie. Peut-on prouver le beau ? • Le beau ne peut pas se prouver mais il peut s'éprouver.

« [III.

L'oeuvre sans beauté] Convaincre autrui, c'est, de ce point de vue, l'amener à ressentir à son tour ce que l'oeuvre nous apporte.

Et labeauté réside aussi dans l'invitation qu'elle nous fait de discuter de sa présence.

Si du vrai démontré ou prouvé, ilest impossible de débattre, le beau se manifeste par son affleurement dans l'organisation de matériaux instaurantdes façons d'exister étrangères à celle des objets utilitaires : un tel affleurement peut passer inaperçu.

Il s'agit alorsd'amener l'autre à y être attentif.Encore faut-il cependant qu'il ait lieu, ou que l'oeuvre d'art s'adresse bien à la sensibilité.

C'est précisément ce quise trouve contesté dans certaines versions de l'art contemporain — notamment dans l'« art conceptuel » qui, depuisles années soixante, privilégie les jeux de langage ou les projets strictement définis sur la réalisation des oeuvres, enconsidérant que toute matérialisation dégrade le concept initial.

Ainsi, un Laurence Weiner ne propose en fait de «sculptures » que des phrases, à inscrire ou non, sur le support qu'on voudra, par le marchand ou le propriétaire deson oeuvre.Plus généralement, c'est la beauté elle-même qui semble contestée, depuis la naissance de l'art « moderne »(symboliquement datée de 1863, soit la première exposition du Déjeuner sur l'herbe de Manet, majoritairement perçucomme sans beauté) : lorsque Baudelaire affirme que la beauté est « toujours bizarre », ou lorsque Rimbaud la placesur ses genoux pour 1'« injurier », ou encore lorsque Lautréamont la compare à « la rencontre fortuite, sur une tablede dissection, d'une machine à coudre et d'un parapluie » — inaugurant ce que sera la beauté « explosante-fixe »des surréalistes —, on est très éloigné de la cohérence interne soulignée par Kant.

Depuis cent quarante ans, lescritères du « beau » ont évolué beaucoup plus rapidement qu'au cours des siècles antérieurs, et la conception de ceque peut être une oeuvre d'art s'est considérablement élargie, en accueillant d'une part des oeuvres d'autrescultures, et en multipliant d'autre part des expériences ne relevant, selon Harold Rosenberg, que d'une paradoxale «tradition de la nouveauté ».

Le musée d'aujourd'hui peut en conséquence juxtaposer une statuette d'Océanie, unefresque romane, une peinture de Giotto, un maque africain, une réplique de la Fountain (urinoir inversé, et signé R.Mutt) de Duchamp, une toile cubiste de Braque, quelques dessins classiques, une composition de Poussin, desporcelaines chinoises, etc.

Une telle diversité rend impossible une définition du beau, au point qu'un esthéticiencomme Mikel Dufrenne pouvait considérer, dès les années cinquante, que la notion de beauté était devenue nonseulement inutile, mais de surcroît dangereuse, dans la mesure où elle empêcherait d'apprécier les démarchesartistiques nouvelles. [Conclusion] Que la beauté soit supposée nécessaire à l'oeuvre d'art ou non, il n'en reste pas moins que les jugements suscitéspar une oeuvre peuvent diverger.

Que l'oeuvre continue — c'est encore majoritairement le cas — à viser lasensibilité, ou qu'elle prétende offrir un intérêt plus immédiatement intellectuel, elle ne fait toujours pas partie dudomaine de la connaissance.

Sauf lorsqu'elle nous révèle — et en priorité par ses aspects les plus déroutants — quece que nous prenions pour notre propre connaissance de l'art est insuffisant, et qu'il nous faut renoncer à sonpropos à tout « savoir » figé, trop étroitement défini.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles