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Quand la littérature s'engage, pour quelles raisons peut-on dire qu'elle est efficace ?

Publié le 23/10/2010

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Depuis que les civilisations ont pris possession de leur écriture, on peut considérer que la littérature est entrée en fonction dans les organisations sociales successives.

   Pour certains auteurs, la littérature poursuit un idéal esthétique, une quête artistique, mais pour d’autres, elle contribue également à s’engager auprès des lecteurs. La littérature engagée possède une force argumentative, mais on peut se demander de quelle manière les auteurs parviennent à diffuser une thèse et à rallier les lecteurs à une cause.

   A partir de là, on pourra considérer dans un premier temps que la littérature est efficace si les auteurs ont su diffuser leurs pensées politiques et défendre leurs idéaux malgré la censure. Un deuxième temps nous conduira à juger cet art efficace, du fait qu’il s’adresse aussi bien à la raison et à la logique du lecteur qu’à sa sensibilité et à ses émotions. Pour finir, on considèrera que la littérature est efficace car elle traite de tous les thèmes et est accessible à tous.

 

   Tout d’abord, la littérature engagée est efficace car elle joue le rôle de porte parole des gens et traverse la censure ; c’est le cas de certains apologues, pièces de théâtre et romans.

   Dans les apologues, en effet, certains auteurs se servent de l’ironie pour échapper à la censure. Il en est ainsi pour « Candide « de Voltaire. Ce conte philosophique, publié en 1759, met en scène Candide, héros principal, qui constatera à travers les épisodes dramatiques de sa vie que « tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes «. Dans ce conte, Voltaire caricature et attaque avec une ironie acerbe les traits et les institutions de son siècle qui, selon lui, s’opposent au progrès, tout particulièrement l’Eglise. Il critique également l’aristocratie et condamne la guerre et l’esclavage. La parodie est omniprésente. L’auteur se sert de genres à la mode pour exprimer le plus efficacement ses idées. Ce conte continue de marquer les esprits bien au-delà de ce qu’il paraît être : le témoignage d’une époque finissante. L’antiphrase, la satire, la parodie, la froideur et l’emploi systématique du décalage sont aujourd’hui encore d’une efficacité remarquable et contournent facilement la censure.

   En ce qui concerne le théâtre, des écrivains utilisent la mythologie pour faire passer des messages aux lecteurs. C’est le cas de Jean Anouilh, qui se sert du mythe d’Antigone. Enfants d’Œdipe et de Jocaste, les deux frères d’Antigone, Etéocle et Polynice, se sont entretués pour le trône de Thèbes. Créon, nouveau roi, décide que seul Etéocle aura droit à une sépulture décente et que quiconque osera enterrer le corps de Polynice sera puni de mort. Personne n’ose braver l’interdit, sauf Antigone. Anouilh s’inspire de Sophocle pour écrire Antigone en 1942 : « l’Antigone de Sophocle, lue et relue et que je connaissais par cœur depuis toujours, a été un choc soudain pour moi pendant la guerre, le jour des petites affiches rouges. Je l’ai réécrite à ma façon, avec la résonance de la tragédie que nous étions en train de vivre «. Dans cette pièce, il est clair qu’Antigone fait figure de la résistance française face au pouvoir établi et injuste du maréchal Pétain représenté par Créon. Antigone subit la censure hitlérienne en 1942, puis elle est autorisée à jouer en 1944.

   En ce qui concerne les romans, de nombreux auteurs utilisent des métaphores pour exprimer leurs idées. C’est particulièrement vrai pour Albert Camus dans « La Peste «. Ce roman met en scène un docteur, à Oran. Un jour d’avril, celui-ci découvre le cadavre d’un rat sur son palier. Quelques jours plus

  tard, plus de six mille rats sont ramassés dans la ville. Puis, soudainement, le nombre de cadavre diminue, la ville se croit sauvée. Dans ce romain, Camus critique le pouvoir en place, la presse, ainsi que la

 

  religion. « La Peste « appartient au cycle de la révolte et de la solidarité face à l’absurdité du mal. Camus laisse deviner ses idées anti-nazies et dénonce l’atrocité vécue par le peuple juif au cours de la Seconde Guerre mondiale. La maladie est une représentation allégorique du nazisme (surnommé alors peste brune). Les malades représentent la population juive et les victimes des nazis, tandis que le docteur et ses compagnons symbolisent la Résistance.

   Ainsi, la littérature engagée est-elle efficace par sa capacité à traverser la censure et nous pouvons constater que nombreux sont les auteurs qui se servent de la fiction. Celle-ci peut déjouer la censure par le recours à l’ironie, par les vertus de la transposition.

   Cependant, si de nombreuses œuvres se révèlent efficaces si les auteurs ont su contourner la censure, beaucoup d’écrivains produisent des ouvrages efficaces pour d’autres raisons. En effet, une multitude d’écrits font appel à la raison et à la logique du lecteur mais aussi à sa sensibilité et à ses émotions. C’est le cas de certaines nouvelles, apologues et romans.

   En ce qui concerne les nouvelles, des auteurs mettent en place des personnages dans lesquels le lecteur peut se reconnaître et qui le font réagir. Il en est ainsi pour « Boule de Suif « de Maupassant. L’histoire se déroule pendant la guerre de 1870. Fuyant Rouen envahit par les Prussiens, un groupe de dix personnes ont pris place dans une diligence. Parmi elles, une prostituée surnommée Boule de Suif. Elle se donnera à un officier prussien pour sauver les autres voyageurs qui pourtant la méprisent. Dans cette nouvelle, est critiquée la partie supérieure de la société pour sa lâcheté, son hypocrisie et son égoïsme. Au contraire, la partie la plus « basse «, une prostituée, se révèle être tout le contraire. Maupassant montre donc que les vraies valeurs sont inversées. L’auteur critique aussi le sort qui est fait aux femmes, la religion et les militants politiques. Le lecteur peut être influencé par un modèle ou un contre-modèle.

   Pour ce qui est des apologues, on observe des auteurs qui laissent réfléchir le lecteur pour saisir le message. C’est particulièrement vrai pour Jean De La Fontaine dans « La Cigale et la Fourmi « . Dans cette fable, on découvre l’histoire d’une fourmi ayant travaillé tout l’été afin de se préparer à la venue de l’hiver. Une cigale, quant à elle, s’est contentée de chanter. Elle compte sur la fourmi pour l’aider. Cette dernière refuse de lui prêter main forte. Dans cet apologue, le lecteur doit interpréter la morale, puisque celle-ci n’apparaît pas explicitement. L'interprétation classique de cette fable nous informe que la fourmi triomphe sur la cigale, puisqu'elle a, au cours de l'été, préparé de quoi se nourrir tout l'hiver. C'est la chute de la cigale, sa perte. Or, on peut y voir tout autre chose puisque La Fontaine n'en a pas tiré de leçon. Nous pouvons voir deux mondes s'affrontant, le monde réaliste de la fourmi et le monde lyrique, artistique de la cigale. La première vit dans la rigidité, dans le sérieux de la vie, dans la prévision et dans l'espoir d'un futur meilleur. La seconde, pour sa part, vit dans le monde de la célébration, du lyrisme et de l'art. A l'époque classique, chanter était synonyme d'oisiveté. L'opposition entre la fourmi et la cigale révèle alors bien les mœurs et pensées de l'époque de La Fontaine. C'est donc une allégorie du travail et de la paresse. Ce type de texte est d’autant plus efficace que le lecteur prend plaisir à décoder les intentions de l’auteur.

   Dans les romans, on remarque qu’il existe des histoires captivantes que l’on lit jusqu’au bout et qui, en même temps, font passer un message. C’est le cas de Luis Sepulveda dans « Le vieux qui lisait des romans d’amours «. Lorsque les habitants d’El Idilio découvrent dans une pirogue le cadavre d’un chasseur blanc assassiné, ils n’hésitent pas à accuser les Shuars de meurtre. Seul Antonio José Bolivar déchiffre dans l’étrange blessure la marque d’un félin. Le vieil homme quitte alors ses romans d’amours pour chasser le vrai coupable. Ce roman dénonce la civilisation blanche qui détruit la nature ; celle-ci se révèle plus forte et plus fragile que ce qu’elle croit. Luis Sepulveda montre que chaque civilisation a sa valeur qu’on ne peut comparer à une autre. Il fait comprendre au lecteur que la littérature est une alternative à un monde difficile à vivre. Ce roman est d’autant plus efficace qu’il permet d’intéresser le lecteur, en le divertissant, en piquant sa curiosité. Celui qui est intéressé est prêt à adhérer aux idées suggérées.

   Ainsi, la littérature engagée est-elle efficace par sa capacité à émouvoir et à faire réfléchir le lecteur. Celui-ci s’attache aux personnages et accepte plus facilement les critiques évoquées. Nous pouvons constater que tout cela est plus propre à persuader qu’à convaincre.

      Cependant, si de nombreuses œuvres se révèlent efficaces par leur aptitude à rendre actif le lecteur et à le toucher, moult d’auteurs élaborent des textes efficaces pour d’autres raisons. En effet, la littérature

 

  traite de tout les sujets et est accessible à tous. Il en est ainsi pour certains poèmes, romans et pièces de théâtre.

   Dans la poésie, on observe des auteurs qui s’inspirent de faits réels accessibles à tous dans le langage. Victor Hugo par exemple, décrit la mort tragique d’un enfant lors d’une insurrection républicaine qui a eu lieu à la suite du coup d’état des quatre déclenché par Napoléon III dans « Souvenir de la nuit du 4 «. Dans ce poème, Hugo dénonce le coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte et la force employée pour conquérir un pouvoir qu’il juge ainsi usurpé. En exil forcé, il ne décolère pas contre le pouvoir. Ses armes, à des kilomètres de la France, ne peuvent être que les mots et la poésie des « Châtiments « accuse et ridiculise l’empereur. Ce poème a pour but de conserver dans la mémoire de tous cet incident dramatique, de provoquer chez le lecteur un sentiment d’indignation et d’obtenir son adhésion à cette opposition. La simplicité des mots employés rend le poème compréhensible par une majorité de personnes.

   Pour ce qui est des romans, énormément de récits sont fait pour tous les goûts. C’est le cas de Zola dans « Germinal «. Ce roman met en scène un jeune homme, Etienne Lantier, qui s’est fait renvoyer de son travail pour avoir giflé son employeur. Chômeur, il part, en pleine crise industrielle, dans le Nord de la France, à la recherche d’un emploi. Il se fait embaucher aux mines de Montsou et connaît des conditions de travail effroyables. « Germinal « est un roman de la lutte des classes et de la révolte sociale, c’est un vibrant plaidoyer en faveur des déshérités et des exploités. Portée par un puissant souffle lyrique, cette œuvre épique et poignante exprime le rêve de Zola « d’un seul peuple fraternel faisant du monde une cité unique de paix, de vérité et de justice «. Grâce à sa véracité, il se veut être un document important sur les rebellions et l’arrivée du marxisme en France. Germinal est un mot républicain, il correspond au début du printemps et à la germination. Cette germination se traduit dans le roman par l’apparition d’un nouvelle classe ouvrière qui ne se contentera pas de souffrir, écrasée par les bourgeois comme l’ont fait les générations précédentes, mais qui se soulèvera et s’opposera à l’injustice. Ce roman a la capacité d’intéresser un large public.

   En ce qui concerne les pièces de théâtre, des écrivains réalisent des œuvres abordant plusieurs thèmes. Il en est ainsi pour Eugène Ionesco dans « Rhinocéros «. Cette pièce dépeint une épidémie imaginaire de « rhinocérite «, maladie qui effraie tous les habitants d'une ville et les transforme bientôt tous en rhinocéros. Dans cette œuvre, Ionesco dénonce tous les régimes totalitaires ainsi que le comportement de la foule qui suit sans rien dire, par peur. Il dénonce plus particulièrement l'attitude des Français aux premières heures de l'Occupation. Bérenger, dont le spectateur découvre la mutation tout le long de la pièce, est le seul à résister face à l'épidémie. Il représente la résistance qui se forme lors de la Seconde Guerre mondiale. Ionesco utilise, dans son œuvre, l'absurde et le comique, pour accentuer ces faits. Quand Ionesco écrit cette pièce, Ceauşescu est au pouvoir dans son pays, la Roumanie ; il souhaite aussi dénoncer ce qui se passe dans son pays. Cette pièce est d’autant plus efficace que les personnages ne sont pas humains. Cela facilite le « passage « à la critique : on admet aisément la critique d’un personnage différent de soi, mais une fois le récit fini, la transposition est imposée au lecteur.

   Ainsi, la littérature engagée est-elle efficace par sa capacité à être accessible à tous dans le langage et dans les goûts. Jeune public, tout public, ou public spécialisé ? Pour chaque public, une stratégie différente est utilisée pour convaincre.

 

   En conclusion, il est clair que la littérature engagée est efficace pour plusieurs raisons. Tout d’abord, elle est efficace si les auteurs sont parvenus à diffuser leurs idées malgré la censure. Elle joue alors le rôle de porte parole. Ensuite, elle se révèle utile par sa capacité à émouvoir et à faire réfléchir le lecteur. Celui-ci adhère plus facilement à une opinion lorsqu’il est intéressé. Enfin, cet art est efficace car il traite de tout les thèmes -comme la guerre, l’injustice, le racisme- et est accessible à tous, les jeunes, comme les plus âgés.

   La littérature engagée a un rôle fondamental dans la société. Cependant, la complexité des moyens mis en œuvre peut être un frein. On peut regretter qu’aujourd’hui, la littérature, prisonnière de sa complexité, ne soit plus le vecteur privilégié pour défendre une cause. Cinéma, chansons et bandes dessinées, d’un abord plus facile, ont désormais pris la relève.

 

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