En quel sens nos parole peuvent-elles dépasser nos pensées?
Publié le 01/02/2005
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Que reproche Hegel à l'ineffable ? Il lui reproche de n'offrir, en fait de pensée,qu'une matière de pensée sans la forme que seule la formulation par lelangage pourrait lui conférer.
L'ineffable en effet, c'est la pensée informe,c'est-à-dire une pensée usurpée, une pensée qui n'en est pas vraiment une.Pour mériter ce nom, pour être vraiment la pensée, celle-ci doit en passer parl'épreuve de l'explicitation.Il y a ici un malentendu possible contre lequel il faut mettre en garde lelecteur de Hegel : c'est le malentendu de l'énonciation.
Le problème de Hegeln'est pas de savoir s'il faut se taire ou parler, ni de savoir si les vérités sontou non bonnes à dire : l'enjeu de l'exigeante conception de Hegel est desavoir à partir de quoi, à partir de quel critère on peut réellement considérerqu'on a affaire à de la pensée, à partir de quel critère la pensée mérite le nomde pensée.
Ce critère, c'est la « forme objective » (le mot) qui rend mapensée publiable, identifiable même par moi seul (tant encore une fois il nes'agit pas ici de rapport à autrui).
Pourquoi faire un brouillon avant unedissertation ? Justement pour expliciter le flux d'abord confus de l'inspirationqui nous traverse à partir d'un sujet, pour incarner cette manière, cettepensée virtuelle en une réalité palpable & travaillable, réalité que les mots quenous écrivons lui donnent.Il s'agit là, pour la pensée, d'une véritable épreuve, de l'épreuve de ce queHegel appelait le « négatif » : pour devenir ce qu'elle est, la pensée doit enpasser par ce qui n'est pas elle : le langage.
Dans cette épreuve par laquelleelle devient ce qu'elle est, la pensée fait donc face à d'apparents périls qui peuvent nous faire prendre le langagepour un inconvénient.
Au premier rang de ces périls, celui qui apparemment menace ce que nous pourrions appeler lasubjectivité, notre singularité : ne risquons-nous pas, en incarnant notre intériorité dans une forme objective, d'enperdre irrémédiablement ce qui en elle nous appartient le plus ? Le mot peut, ainsi, être perçu comme commun etgalvaudable : nous savons bien que chacun peut transformer nos paroles comme il l'entend, que les « je t'aime »que nous prononçons ont été cent fois, mille fois, prononcés et entendus, que nos pensées dans nos parolesdeviennent anonymes comme une rumeur sourde.
Puisque « tout est dit depuis huit mille ans qu'il y a des hommes etqui pensent » (La Bruyère), le refus des mots ne serait-il pas le dernier refuge de l'intériorité ? Ce sont cesappréhensions que la pensée hégélienne entend conjurer avec la dernière énergie.Le présupposé qui est ici en jeu a quelque chose à voir avec la question de la propriété de la parole.Ce dialogue constant de la pensée avec le langage, cette lutte entre l'ineffable et les mots, bref ce passage, pourla pensée, du non-être à l'être prend donc évidemment, comme on l'a vu, un sens particulièrement aigu enlittérature et spécialement en poésie.
Si le passage par la parole marque la vraie naissance de la pensée, c'est qu'ilfaut concevoir le langage comme quelque chose de plus haut qu'un simple instrument.
Ce qui se conçoit bien nes'énonce clairement, pour paraphraser Boileau, que dans la mesure où l'énonciation claire est elle aussi à son tour lacondition de la bonne conception.
2 - La pensée, une parole intérieure
On ne voit pas ce que peut être une pensée sans langage puisque ce que l'on nomme « penser » consiste en unesorte de parole silencieuse que l'on s'adresse soi-même à soi-même, puisque la pensée ne se présente jamaisautrement que comme « un dialogue intérieur de l'âme avec elle-même » (Platon in « Cratyle »).La pensée n'est donc rien d'autre qu'un langage intérieur, s'exerçant avec des mots bien que ceux-ci ne soient pasextérieurement prononcés.De plus les idées générales sont impossibles sans le langage.
En effet, comme l'affirme Rousseau, « toute idée estpurement intellectuelle ».
Une idée ne peut être vraiment générale que si elle « s'abstrait » des conditions toujoursparticulières de l'imagination : « Pour peu que l'imagination s'en mêle, l'idée devient aussitôt particulière.
Essayez devous tracer l'image d'un arbre en général, jamais vs n'en viendrez à bout ; malgré vous il faudra le voir petit ougrand, rare ou touffu, clair ou foncé...
» (« Second Discours »).
L'image d'un arbre ne saurait donc véritablementdonner le concept de l'arbre.
Ce dernier ne peut être donné que par sa définition abstraite.
Il en va de même duconcept de triangle ou de tout autre concept.
Il faut énoncer des propositions, c'est-à-dire qu'il faut disposer dulangage pour avoir des idées générales.Si la parole est d'emblée dans la pensée, si comme le disent certains auteurs, la pensée n'est qu'une paroleintérieure, comment pourrait-elle se distinguer du langage et être dépassée par lui ?
B - LA PENSÉE DÉFORMÉE PAR LA PAROLE
1 - Les raisons de cette déformation
Mais même si la pensée est déjà langage, elle peut être déformée par son expression.
D'une part, pour des raisonssociales, notre pensée ne peut être exprimée dans toute sa radicalité et se voit imposer des modifications.
D'autrepart, notre pensée n'est pas totalement informée par les mots et comporte de nombreux éléments qui ne sont pasde nature linguistique.
2 - Les composants non linguistiques de la pensée
Les composants non linguistiques de la pensée, relevant de l'intuition, de l'expérience affective, des idées obscures.
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