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A quels problèmes renvoie l'opposition entre mentalité primitive et mentalité rationnelle ?

Publié le 07/01/2005

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introduction C'est à l'ethnologie de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle que l'on doit l'idée qu'il existerait une « mentalité primitive « propre à l'homme des prétendues « sociétés inférieures«. Cette idée, qui a connu un immense succès, a été notamment développée par le philosophe français Lévy-Bruhl (1857-1939) qui s'est efforcé de montrer que la «mentalité primitive« s'opposait à la «mentalité rationnelle« caractérisant l'homme des «sociétés évoluées«. Cette opposition pose donc essentiellement le problème de l'universalité des structures logiques de l'esprit et de ses modes de fonctionnement. 1) le prélogisme de la mentalité primitive a) Selon L. Lévy-Bruhl «la mentalité des primitifs peut être dite prélogique à aussi juste titre que mystique. Ce sont là deux aspects d'une même propriété fondamentale, plutôt que deux caractères distincts. Cette mentalité, si l'on considère plus spécialement le contenu des représentations, sera dite mystique, - et prélogique, si l'on en regarde plutôt les liaisons. Prélogique ne doit pas non plus faire entendre que cette mentalité constitue une sorte de stade antérieur, dans le temps, à l'apparition de la pensée logique. A-t-il jamais existé des groupes d'êtres humains ou préhumains dont les représentations collectives n'aient pas encore obéi aux lois logiques ? Nous l'ignorons: en tous cas, c'est fort peu vraisemblable.

MENTALITÉ. n.f. Représentations et habitudes d'une personne ou d'un groupe. Lévy-Bruhl a parlé de la «mentalité primitive«. 

« 2) une fausse antinomie a) L'autocritique de Lévy-Bruhl • Dire que la mentalité primitive enfreint le principe de contradiction est en fait erroné, comme l'a reconnu Lévy-Bruhl lui-même vers la fin de sa vie : « Soit le fait des Trumai.

Selon les Bororo, les Trumai passent les nuits au fonddu fleuve.

Impossible, dit K.

von den Steinen; des hommes ne peuvent pas dormir au fond de l'eau.

Ce ne sont pasdes poissons.

Ce raisonnement ne convainc nullement les Bororo.

Il nous paraît irréfutable.

Les Trumai sont deshommes.

Des hommes immergés pendant quelques minutes sont asphyxiés et meurent.

Donc ou les Trumai sont deshommes et alors il est faux qu'ils passent les nuits dans l'eau ou, si le fait est exact, ce ne sont pas des hommes.

Ilfaut choisir.

Or il n'est pas douteux que ce sont des hommes.

Donc ils ne vivent pas dans l'eau.

La conséquence estnécessaire.

Si les Bororo ne la tirent pas, et si, quand on la leur met sous les yeux, ils y restent indifférents, nefaut-il pas en conclure que leur esprit n'a pas les mêmes exigences logiques que le nôtre ? -Conclusion qui sembles'imposer, et cependant hâtive.

l'Ile prend pour accordé que dans l'esprit des Bororo existe la même représentationde l'ordre naturel toujours semblable à lui-même que dans le nôtre; que, par exemple, les êtres de la nature y ontune définition fixe et stable, et que, par exemple, si on admet à la fois cette définition et quelque chose qui estexclu par elle on se contredit» (Carnets, p.

11). • Ainsi ce serait parce que la pensée des primitifs «n'est pas conceptuelle » (id.) qu'ils peuvent admettre despropositions qui nous paraissent contradictoires, mais qui ne le sont pas pour eux.

« II n'y a donc pas decontradiction à relever ici dans la pensée des Bororo.

Il n'y en aurait que s'ils avaient notre concept de l'homme oùse trouve compris qu'il respire par des poumons et par conséquent s'asphyxie dans l'eau» (id., p.

12).

Et Lévy-Bruhlconclut: « Nous ne disons donc pas qu'en cette occasion leur esprit a de moindres exigences logiques que le nôtre,mais simplement qu'il ne pense pas par concepts et qu'il a d'autres habitudes mentales» (id., p.

13); «lacontradiction est naturellement rejetée par leur esprit comme par le nôtre » (id.,p.15). • Dans ces conditions, reconnaît Lévy-Bruhl, de même que la mentalité primitive n'ignore pas le principe de non-contradiction, elle n'ignore pas non plus celui de la causalité.

«La mentalité primitive fonde aussi ses techniques surcet ordre régulier qui commande les phénomènes de la nature, et en ce sens, elle fait à tout instant des inductions,que l'expérience confirme en fait.

Mais elle admet en même temps que des exceptions se produisent, et elle n'auraitjamais l'idée d'en nier la réalité au nom d'un déterminisme inviolable» (id., pp.

13-14). b) L'analyse de Cl.

Lévi-Strauss • Finalement donc, selon Lévy-Bruhl, la mentalité primitive ne serait nullement une mentalité prélogique.

Elle secaractériserait seulement par deux traits: une non-conceptualisation et un abandon occasionnel mais fréquent desrapports de causalité au profit des rapportsmystiques de participation. • A cela on objectera que les « primitifs » n'ignorent nullement les concepts, qu'ils pensent bien par concepts,simplement qu'ils conceptualisent le monde d'une manière différente de la nôtre, mais parfaitement cohérente etrationnelle.

Comme l'a montré Cl.

Lévi-Strauss, les «primitifs » s'approchent des lois de la nature par les voies del'information en prenant le monde comme un système signifiant, comme un message ou un discours où chaque choseest un «signe», un élément du message général: «L'idée que l'univers des primitifs (ou prétendus tels) consisteprincipalement en messages n'est pas nouvelle.

Mais, jusqu'à une époque récente, on attribuait une valeur négativeà ce qu'on avait tort de prendre pour un caractère distinctif, comme si cette différence entre l'univers des primitifset le nôtre contenait l'explication de leur infériorité mentale et technologique, alors qu'elle les met plutôt de plain-pied avec les modernes théoriciens de la documentation.

Il fallait que la science physique découvrît qu'un universsémantique possède tous les caractères d'un objet absolu, pour que l'on reconnût que la manière dont les primitifsconceptualisent leur monde est, non seulement cohérente, mais celle même qui s'impose en présence d'un objetdont la structure élémentaire offre l'image d'une complexité discontinue.

»Du même couple trouvait surmontée lafausse antinomie entre mentalité logique et mentalité prélogique.

La pensée sauvage est logique, dans le même senset de la même façon que la nôtre, mais comme l'est seulement la nôtre quand elle s'applique à la connaissance d'ununivers auquel elle reconnaît simultanément des propriétés physiques et des propriétés sémantiques.

Ce malentenduune fois dissipé, il n'en reste pas moins vrai que, contrairement à l'opinion de Lévy-Bruhl, cette pensée procède parles voies de l'entendement, non de l'affectivité; à l'aide de distinctions et d'oppositions, non par confusion etparticipation » (La Pensée sauvage, 1962, pp.

354-55). conclusion La «mentalité primitive» n'est pas une mentalité prélogique ou prérationnelle, qui serait en soi et structurellementirrationnelle.

Simplement la «pensée sauvage» (qui demeure toujours présente en nous alors que nous nousconsidérons comme des êtres rationnels) aborde le monde d'une autre manière que la «pensée rationnelle»: l'uneaborde sous l'angle de ses propriétés concrètes et sensibles, l'autre sous celui de ses propriétés abstraites etformelles; tandis que l'une voit dans le monde un message qu'il convient de lire ou d'écouter, l'autre ne saisit qu'unmonde muet qu'elle somme de parler.. »

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