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Un beau désordre est un effet de l'art

Publié le 10/03/2011

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Face à la richesse d'un tableau il est intéressent d'écouter ce dont les hommes pensent quand ils se trouvent dans un musée. Nombreux sont ceux qui tentent d'expliquer par eux-même telle ou telle oeuvre, et n'arrivant pas à donner une explication qui serait différente d'une réaction basique de la doxa, ils se contentent de dire que l'art ne peut pas être expliqué, car seul l'artiste est capable de comprendre son oeuvre, inexplicable. En effet il semble régner dans un tableau, dans un poème ou une oeuvre de musique classique une telle complexité que le désordre semble régner car les associations ne sont pas toujours compréhensibles directement et où les éléments ne semblent pas toujours être reliés entre eux, principalement dans l'art contemporain – à en juger par Le Sacre du Printemps de Stravinsky.

Boileau, qui dans son Art poétique qui écrit à propos de l'ode « un beau désordre est un effet de l'art », semble attribuer à une chose belle la notion de désordre ce qui est paradoxal et oxymorique, compensé par la polysémie qui anime le langage poétique. En effet, comment l'art peut-il, alors qu'il semble être un phénomène provenant de la nature, donner effet au désordre, qui quant à lui relèverait plus de quelque chose qui ne relève pas de la nature?

D'une part la définition du désordre et sa relation avec le beau apparaissent comme nécessaire. Cependant la polysémie de la citation entraine une vision du désordre comme autre que simple effet de l'art en nous poussant à nous pencher sur le désordre comme cause du beau désordre, s'inscrivant dans un certain ordre.

 

 

 

 

Pour définir ce qu'est le désordre il faut tout d'abord tenter de définir l'ordre. Cette première conception d'ordre est le cosmos grec. Il n'y a pas d'univers chez les grecs, il parlent de ‹‹ κοσμος ›› (cosmos : ‹‹ monde ordonné ›› en grec) , un monde clos, où tout serait ordonné par la volonté divine s'opposant au ‹‹ καος ›› (chaos : « faille, béance » en grec) ou comme Hésiode le dit « Donc, au commencement, fut Chaos, et puis la Terre au vaste sein, siège inébranlable de tous les immortels qui habitent les sommets du neigeux Olympe »1. Le chaos c'est le rien avant le tout, le cosmos, selon Hésiode précède même les dieux, un vaste rien où le néant règne. En somme le désordre serait le chaos, où le néant règne.

D'après le Lalande : ‹‹ Ordre : A. Ordnung, L'une des idées fondamentales de l'intelligence. On n'en peut donner de définition qui la rende plus claire. Elle comprend, dans son sens le plus général, les déterminations temporelles, spatiales, numériques; les séries, les correspondances, les lois, les causes, les fins, les genres et les espèces ; l'organisation sociale, les normes morales, juridiques, esthétiques, etc. (…) »2 La définition a toutes ses racines dans la pensée platonicienne, et par extension dans la pensée des antiques grecs. Elle repose sur l'Idée, « une cohérence quelconque (aux yeux de l'esprit) fondée sur un rapport quantitatif, qualitatif, mécanique ou téléologique »3 quelconque car hors de notre portée, il y a impossibilité à comprendre tous les paramètres de l'ordre, toutes ces déterminations naturelles. En somme l'art aurait pour effet d'abolir les déterminations naturelles, où en résulterait le désordre.

De plus la notion de désordre peut également se retrouver en science. Ce n'est pas le Hasard auquel on pourrait l'apparenter où le désordre serait le manque d'ordre d'une série hasardeuse. Prenons l'exemple de l'élève qui note la suite de nombre donnée par sa calculatrice en appuyant sur la touche « Random » (« hasard » en anglais). Cependant cette suite n'a rien de désordonnée car elle suit une règle mathématique, ou plus exactement une certaine équation. La théorie du chaos, en physique, « quant à elle traite des systèmes dynamiques rigoureusement déterministes, mais qui présentent un phénomène fondamental d'instabilité appelé « sensibilité aux conditions initiales » qui modulant une propriété supplémentaire de récurrence, les rend non prédictibles en pratique sur le long terme. »4 Prendre l'exemple du célèbre : « Prédictibilité : le battement d'ailes d'un papillon au Brésil provoque-t-il une tornade au Texas? »5, une conférence de Lorenz donnée en 1972. En fait, le battement d'ailes d'un papillon ne provoque pas une tornade au Texas, cela serait absurde car s'il peut la provoquer il peut également l’empêcher. Nous dirons donc que ce battement d'ailes influe, il induit - mais ne provoque pas - sur la météorologie, à petite échelle mais cela provoque des changements à l’échelle macroscopique. En fait une série de changements à l’échelle microscopique se répercute fortement à l’échelle macroscopique d'où l’impossibilité à prévoir justement les phénomènes météorologique.

Selon la définition du Littré :‹‹ Désordre, nm (dé-zor-dr') 1. Manque d'ordre, dérangement, confusion ››6 Le manque d'ordre n'est pas absence d'ordre, ça serait donc un ordre qui a été troublé, une confusion dans un ordre réglé. Ce serait ne pas atteindre l'ordre qu'il devrait y avoir. En effet la notion d'ordre naît après la notion de désordre, car la notion d'ordre présuppose une organisation du désordre.

Boileau met cette définition du désordre avec le beau. Boileau est un écrivain et critique français, principal théoricien du classicisme français. Il est à noter que le classicisme prend sa forme par un retour sur la notion d'art à l'époque antique gréco-romaine. Il faut donc se pencher sur les sept critères essentiels du beau dans la tradition Antique, reflétant leur vision du cosmos. Est beau ce qui est cosmique7 :

1) l’intégrité et la totalité. Une chose belle doit tout d’abord être entière, c'est à dire que rien ne doit lui faire défaut. Il ne peut rien manquer à ce qui est beau. Seul peut être tenu pour beau ce qui est parfait au sens de fini, achevé, terminé, totalement réalisé. Inversement, sera considéré comme laid ce qui est inachevé, incomplet. Donc se trouvent condamné le fragment, l’esquisse, l’ébauche, l’oeuvre ou la chose qui ne sont pas parvenues à leur terme.

2) l’ordre et l’harmonie qui représentent l’accord et la proportion des parties entre elles et avec le tout. Pour Pythagore, le cosmos est sous-tendu par des proportions géométriques. Sera alors considéré comme laid ce qui ne présente ni ordre ni proportion, le disproportionné.

3) la simplicité et l’unité. L’idéal antique du beau s’oppose à la complexité ou à la complication jugée inutiles. La manifestation de l’unité dans la simplicité exclut la parure et l’ornementation. C'est ce que l'on retrouvera chez Boileau, dans son Art poétique, avec les critères d’unité de temps, de lieu, d’action et de caractère. Sera considéré comme laid tout ce qui cache l’unité des choses.

4) l’immobilité et la sérénité. La pensée grecque identifie la perfection de l’être avec le repos absolu, l’absence de tout changement et de toute altération. Ce qui exclut le mouvement qui aboutit à la déformation ou à l’informe. Le beau ne doit pas représenter ce qui ne dure pas, ce qui disparaît ou se transforme continuellement. C'est en somme un retour sur l'essence même de ce que l'on représente.

5) la félicité. La beauté classique est la représentation du bonheur parfait comme accord avec soi-même.

6) la lumière. Pour les Grecs tout ce qui est sombre et obscur, ce qui est voilé ou caché conduit à la laideur. La clarté classique s’oppose également à ce qui est flou, imprécis, confus, indistinct.

7) la vérité. La beauté est l’existence visible de l’essence. Est beau tout ce qui est conforme à sa définition, tout ce qui est en vérité ce qu’il doit être. Seront alors considérés comme laids le faux, l’invraisemblable, l’impossible ou le contradictoire.

Cette conception du beau va également avec une certaine méfiance à l’égard de l’art : le beau artistique n’est que le reflet du beau du cosmos. D’autre part cette conception laisse croire que finalement la production du beau résulterait de l’application de certaines règles, comme celles de la proportion ou de la perspective. Outre la question de l'art qui serait dans ce cas synonyme de l'artisanat car elle ne relèverait plus que d'une compétence technique, Boileau effectuerait dans ce vers une totale contradiction avec les règles qu'il reprend. Car le désordre c'est l'absence ou le manque d'intégrité, de totalité, d'ordre, d'harmonie, de simplicité, d'unité, d'immobilité, de sérénité, de félicité, de lumière, de vérité. Mettre en relation beau et désordre est au sens strict une contradiction de premier ordre. De plus on pourrait penser que dans les musées ne soit représenté que l'Art, où le beau est forcément de mise avec cette notion. Or dans un musée, il n'y a pas que de l'art grec représentant ces critères.

 

Il faut donc se référer à Kant pour la définition du beau8 : « La beauté est la forme de la finalité d’un objet en tant qu’elle est perçue en celui-ci sans représentation d’une fin. » La forme de la finalité d’un objet, c’est l’intention que l’on suppose être la cause d’un objet. L’intention produit un objet en posant sa définition ou son concept comme le but à atteindre par la mise en oeuvre des moyens appropriés, d'après Aristote. La cause finale d’une chose, c’est la représentation du but qui va guider la production de cette chose.

Cela veut dire qu’est beau ce qui donne l’impression d’avoir été réalisé ou produit en fonction d’une certaine intention. Ce qui serait le simple produit du hasard ne pourrait pas être considéré comme beau. Donc est beau ce qui apparaît comme le résultat incompréhensible de causes, qui donne l’apparence d’être intentionnel, mais sans qu’il soit possible de dire ou de préciser le but ou la fin visés. La fin ne vient pas d’un concept qui aurait été préalablement pensé par l’artiste, par exemple. Ce qui le montre, c’est la façon dont se fait la création artistique : l’artiste ne sait pas lui-même quelle va être la nature de l’oeuvre qu’il est en train de produire. Prenons l'exemple de Flaubert qui décrit dans ses Correspondances son ignorance quant à sa production littéraire. Quand il commence à rédiger Salaambô, il sait parfaitement que son histoire se déroulera à Carthage au temps des guerres puniques mais il ne sait pas quel en sera le plan, ce qu'il développera dans son roman.

La citation de Boileau présuppose un lien nécessaire entre l'art et la beauté, or l'artiste pourrait très bien vouloir montrer la laideur, nommons « Une Charogne » de Beaudelaire où l'objet du poème est une représentation de la laideur. Comme le dit Kant,\"L'art est la belle représentation d'une chose et non la représentation d'une belle chose.\". D’autre part, l’artiste peut vouloir rechercher le désordre des formes, le chaos, pour représenter des idées qui ne sauraient être exprimées par des formes harmonieuses. Utilisation des dissonances et des stridences en musique, couleurs qui se heurtent en peinture, désarticulation de la syntaxe en poèsie etc … Kant, lui distingue le beau et le sublime : l’art peut représenter le sublime et non plus seulement le beau quand il essaie de restituer des phénomènes naturels par exemple qui ne sont plus à l’échelle de l’homme, mais qui possèdent une puissance écrasante.

L'art est un principe cosmique, en le prenant dans la considération antique comme effet des muses appartement au cosmos. Si on le traite dans une conception moderne, l'art est le résultat de phénomènes à l'échelle microscopique – quantitativement ou qualitativement – dont le résultat sera phénoménal à l'échelle macroscopique. En effet basons nous sur l'argumentation de Bergson dans l'Essai sur les données immédiates de la conscience. Bergson disserte sur la tendance des hommes à confondre la quantité et la qualité quand ils parlent de la conscience, des sensations... Or une sensation – au même titre que la conscience – n'ont rien de quantitatif car la cause n'est elle même non-quantitative. En somme je ne pas avoir plus ou moins mal quand je me fais piquer avec plus ou moins d'aiguilles car les zones qui envoient les informations de douleur – c'est à dire d’anormalité dans l'ordre de notre corps - au cerveau qui les traite sont sollicitées de la même manière. La douleur relève donc d'un principe qualitatif et non quantitatif. L'art en tant que création de l'esprit n'a donc rien de quantitatif, cependant nous pouvons parler d'échelle microscopique si nous considérons dans la macroscopie les ensembles – tout comme dans la théorie du chaos par Lorenz – de phénomènes différents de la conscience créatrice, si nombreux que l'on pourrait penser au désordre, qui provoque un résultat à l'échelle macroscopique que nous appellerons l'oeuvre d'art. En somme le désordre artistique est un effet de la complexité créatrice, c'est à dire de la démarche de l'art. La citation de Boileau prend ainsi un jour nouveau, elle ne considère pas le désordre artistique comme une absence d'ordre où ni règle, ni rationalité, ni principe naturel ne règne, mais comme « mutation » d'une complexité consciente.

Pour poursuivre le raisonnement sur un désordre qui n'a pas de sens puisque que c'est le principe de complexité qui règne, penchons nous sur les théories du « désordre » par Bergson dans La pensée et le mouvant9. Le désordre est une question relevant aujourd'hui de la connaissance et non plus de l'être comme c'était le cas à l'Antiquité grecque, puisque le désordre était alors lié à la question de l'homme dans la nature. Bergson dit à la ligne 6 « Le désordre est simplement l'ordre que nous ne cherchons pas ››, c'est à dire que nous ne pouvons pas supprimer un ordre dans la nature. Prenons l'exemple des parents qui entrent dans la chambre de l'étudiant et voient du désordre là où en fait il y a ordre. Ils recherchent un ordre où tout ce qui va ensemble serait à la même place. Pour l'étudiant cela est bien différent, si le cours de philosophie est mélangé avec le cours de français avec un amoncellement de livres en tout genre au beau milieu de la pièce, romans, dictionnaires, traités philosophiques, pochette d'albums de musique, photographies... c'est parce que l'étudiant essaye de faire la synthèse entre tous ces domaines, puisqu'ils se répondent en certains points. Il en va de même dans la nature, que ces livres soient à telle ou telle place, qu'ils soient plus ou moins rangés, dans le sens canonique du rangement aligné avec si possible un classement alphabétique, ils occupent quand même une place dans la nature, il n'y a donc pas de désordre car ils sont quand même dans une place naturelle et rationnelle. C'est ce qui poussera Bergson à dire que ce concept de désordre est un faux problème.

 

 

 

Au même titre que la conception chaotique du désordre, la théorie du faux problème quant au désordre par Bergson semble apparemment contredire la citation de Boileau puisqu'il ne peut pas y avoir du désordre dans la nature. Cependant ne pourrait-on pas prendre la notion de désordre au sens 4 dans le Littré : « Désordre d'esprit, désordre d'imagination, état d'un esprit, d'une imagination mal réglée. »10 où l'art est comme le pense Diderot dans son Opinions des anciens philosophes « C'est le désordre de l'imagination qui invente ces systèmes, c'est la nouveauté qui les accrédite, c'est l'intérêt qui les perpétue. »11. Car si cette citation de Diderot s'apparente à la Philosophie des antiques, elle s'adapte parfaitement à l'art et au désordre qui y règne. La philosophie c'est l'art de penser différemment de la δοξα, (doxa, « opinion ») et donc cette richesse d'esprit réinvente le monde, l'interprète. Il en va de même pour l'art, c'est le désordre qui paraît régner par exemple dans le premier vers de Paul Eluard de son poème au premier vers éponyme « La Terre est bleue comme une orange »12, qui pourrait apparaître comme un désordre, un non-sens, car le bleu n'est pas la couleur de l'orange. Cependant c'est ce que la citation de Boileau suggère, c'est un beau désordre, c'est à dire que le rapport entre le bleu et l'orange est un rapport fondé sur la poésie, que seul l'artiste voit à travers ses rapprochements que le critique rassemble sous les figures stylistiques. Eluard en faisant le rapprochement de la Terre et de l'orange c'est pour évoquer les deux formes sphériques similaires; le bleu quant à lui est la couleur du bonheur, symbolisant l'infini, le divin, le spirituel, c'est ce même bleu (le lapis-lazuli) qui ornait les robes de Marie dans sa représentation occidentale. Ainsi par ce rapprochement, Eluard replace la Terre dans le spirituel car elle a perdu au fil du temps tout son univers métaphysique, poétique. Il ne faut pas oublier que la citation de Boileau « Un beau désordre est un effet de l'art » provient d'un poème et en poésie chaque mot est polysémique, ce qui justifie la conception du désordre comme « état d'esprit mal réglé » d'après la doxa, c'est à dire différent de l'ordre commun de l'opinion.

Ainsi le beau désordre est phénomène de la conscience. Il faut s'interroger sur ce dont la conscience est composée pour trouver en quoi résulte le beau désordre de l'art. D'après Freud, « l'artiste est en même temps un introverti qui frise la névrose »13, il est animé de pulsions du « das Es », le Ça, qui sont tellement fortes qu'elles peuvent le conduire à la névrose. Cela est empêché par le principe de sublimation qui rapporte l'artiste dans le principe de réalité en le faisant transcrire ses pulsions à travers la création artistique. Au même titre que Hans Sachs dans les Meistersinger14 « toute poésie n'est jamais / Qu'interprétation de rêves vrais. » ce qui provoque l'entrée de la psychanalyse dans la conception de l'art.

Dans La naissance de la Tragédie, Nietzsche15 propose une interprétation polémique de l'art chez les Grecs en distinguant Apollon, dieu du rêve, et Dionysos, dieu de l'ivresse. Le premier est le dieu de toutes les formes plastiques, de la mesure, et paradoxalement « la liberté vis-à-vis des émotions les plus sauvages », c'est à dire nous voyons bien que à la différence de Boileau chez les grecs les émotions sauvages, la complexité de la conscience, en somme le désordre apparaissent comme cause d'art. Pour le deuxième, c'est l'art en tant que non plastique – pouvant être provoqué par les breuvages narcotiques, nous comprendrons hallucinogènes, où le désir qui naît à l'approche du printemps dit Nietzsche – où le délire supprime l'individualité et la subjectivité. La tragédie antique est pour Nietzsche l'union de ces deux conceptions métaphysiques. Il est possible d'aller plus loin en disant que l'art est forcément union de ces deux formes qui ne pourraient pas être uniques. L'art apparaît ainsi réellement comme un enthousiasme, au sens étymologique du terme (ενθουσιασμος : εν- « dans » et θεος  « dieu », en somme « possédé par dieu ») où l'art est la belle représentation des choses en reprenant Kant, où l'effet est un « beau désordre », donc paradoxalement une mesure puisque l'art est forcément rationnel puisqu'inscrit dans la nature, mais aussi ayant une cause de désordre où les phénomènes de la conscience provoque à l'échelle microscopique l'art, où ses changements sont inconscients et hors de la rationalité immédiate, ce qui se traduit par un certain oubli dans l'artiste de l'individualité et de sa subjectivité. Il ne saisit pas le phénomène de la création artistique et est sujet à l'ivresse créatrice dionysiaque mais ils a pour effet un principe ordonné. En somme l'art naît à la rencontre de ces deux conceptions de l'enthousiasme, c'est à dire du principe actif de la création.

 

 

 

 

Enfin la polysémie dans la citation de Boileau nous pousse à nous pencher sur le problème de l'effet. Il faut impérativement à un effet une cause définie. Au tiret 2 de la définition de désordre du Littré il est noté à propos de la citation de Boileau « Dans la poésie lyrique, désordre signifie les écarts et les digressions que la passion du poète rend excusables et même louables, à la condition qu'il n'en résultera aucune obscurité. »16. En somme l'art c'est le moment où le désordre devient richesse. Représentons à l'aide d'un diagramme le principe de l'art et ce qui en résulte :

 

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Désordre

~

Idée

(quand désordre devient richesse) ART (belle représentation des choses)

‹‹ Beau

Désordre ››

 

Diagramme 1. De la cause à l'effet en art.

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Le désordre dans la complexité des formes de la conscience s'apparente à « l'Idée » au sens platonicien. L'Idée c’est l’essence de la chose, ce qui fait qu’elle est ce qu’elle est. Cette essence est immuable, intemporelle. C’est grâce à la connaissance de cette Idée que nous pouvons connaître ce qu’est une réalité, ou que nous pouvons reconnaître quelque chose que nous n’avons encore jamais vu de nos yeux. La notion d’Idée n'est comme une représentation qui serait le produit de l’activité de notre esprit, c’est une réalité qui existe indépendamment de nous, dans le « monde intelligible ». Cependant c'est le monde intelligible que nous prendrons au sens de puissance de la nature, la vérité qui nous échappe qui est un moteur de notre inconscient car il appartient au principe naturel, l'homme étant un résultat de la nature. Elle provoque le beau car découvrir la richesse polysémique d'un objet, c'est se pencher sur sa réalité, retrouver ce qui nous détourne du regard désintéressé – c'est à dire l'obsession de la technique – pour faire l'expérience du beau.

Le désordre dans l'inconscient est quant à lui la complexité des phénomènes à l'échelle microscopique qui donne un désordre à l'échelle macroscopique. Cette dernière considération du désordre est à prendre comme la richesse du regard contemplatif sur le monde sans le soucis de l'homo faber, en se rapprochant de la pensée bergsonienne dans Le Rire. En somme le désordre est à prendre comme tous ces rapprochements que l'artiste fait en regardant le monde de manière désintéressée, tel le poète qui verra dans une forêt la magnificence des passions, le chant des arbres, par exemple un protagoniste du film franco-espagnol Vengo17 qui met son oreille contre un pin et qui dit « cet arbre a du duende », « Dans la métaphore poétique, le duende habite les entrailles et tisse une couture diaphane entre la chair et le désir. Il est animé par la voix ou par le geste puisqu’il surgit de l’expérience de l’art flamenco, mais il s’étend à tous les domaines de l’art, à chaque fois qu’il s’agit de faire la différence entre la véritable inspiration et l’imposture. »18 l'arbre n'est plus un un cubage de bois mais un véritable art. Ce sont ces rapprochements qui constituent ce qu'on appelle le « beau désordre » qui est en fait le passage à une richesse polysémique du regard désintéressé.

Nous passons ainsi de l'effet à la cause, où l'on nomme de la même manière la cause et l'effet. Pour y avoir effet, il faut nécessairement une cause qui soit « efficiente », une « cause active »19 en somme. Une même considération est semblable en mathématiques, prenons deux billes B1 et B2, B1 est projetée contre B2 avec un vecteur de valeur v. Ce vecteur v va se répercuter contre B2 de telle façon que B2 soit projetée par un vecteur v', bien que ce vecteur soit différent du premier (lui même lancé par une impulsion) à cause de l’absorption du choc et les frottements, il est un effet de celui-ci, il a en lui une une mouvance qui trouve une partie de son origine dans v. Il en va de même pour le désordre. Le désordre est donc bien une cause et un effet de l'art qui devient beau grâce à la richesse polysémique et la belle représentation des choses.

 

L'art est ainsi créatrice de désordre, mais pas un désordre aléatoire. Ce désordre est régi par les lois de la réalité, ce qui provoque dans le processus artistique le « beau désordre » qui est en fait la capacité à toucher la réalité par le poète pouvant très bien s'inscrire dans des règles de forme puisque cela n'empêche en rien la création artistique. Le beau désordre c'est ainsi l'art poétique qui se retrouve dans toutes les formes d'art, instituant ombre, obscurité que l'homme doit tenter d'éclaircir.

2 André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, puf, p.720

3 id.

6 « Predictability: Does the Flap of a Butterfly's Wings in Brazil Set off a Tornado in Texas? »

7Toute la partie sur les critères du beau chez les Grecs : Cours de philosophie de Terminale.

8Toute la partie sur Kant : cours de Philosophie de Terminale

9Extrait photocopié, ‹‹ Un beau désordre est un effet de l'art. ››, Bergson,La pensée et le mouvant, puf, pp.108 - 109

11id.

13Toute la partie sur Freud : cours de Philosophie de Terminale

14Extrait photocopié, ‹‹ Un beau désordre est un effet de l'art. ›› cité dans Friedrich Nietzsche, La naissance de la tragédie, gallimard, folio essais, pp 19-24

15Extrait photocopié, ‹‹ Un beau désordre est un effet de l'art. ››, Friedrich Nietzsche, La naissance de la tragédie, cité in Philosophie Terminales F, G, H éd. Nathan, p. 55

16http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/désordre/21814

17Vengo, Tony Gatlif

19 André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, puf, p.366

 

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