La raison est-elle souveraine ?
Publié le 23/02/2004
Extrait du document
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Il ne faut pas interpréter cette nécessité où nous nous sommes decréer des concepts, des espèces, des formes, des fins, des loin(un monde de cas identiques) comme si elle devait nous mettreen mesure de fixer ce qu'est le monde vrai; il faut y voir lanécessité de nous accommoder un monde quinous rende l'existence possible; nous créons par là un monde quinous paraît prévisible, simplifié, intelligible, etc.
Cette mêmenécessité existe dans l'activité des sens, soutenue parl'entendement, qui simplifie, grossit, souligne et condense, etnous permet ainsi de «reconnaître» les choses et de nous faireentendre.
Nos besoins ont déterminé nos sens à ce point quec'est un monde phénoménal identique qui reparaît toujours et quia, de ce fait, acquis, une apparence de réalité.La nécessité subjective où nous sommes de croire à la logiqueexprime simplement ce fait que, longtemps avant de prendreconscience de la logique, nous n'avons fait autre chose qued'introduire ses postulats dans le devenir: à présent, nous lesretrouvons dans le devenir-nous ne pouvons plus faire autrement- et nous pensons alors que cette nécessité nous eu garante d'une«vérité»! (.
..] Le monde nous paraît logique parce que nousavons commencé par le rendre logique.
NIETZSCHE
Depuis Platon, le rationalisme pose que la raison connaît le réel tel qu'il est en lui-même.
C'est pourtantcette certitude que la critique kantienne vient ébranler : la connaissance porte la marque du sujet, puisquec'est lui qui la construit.
Peut-on alors continuer à penser que le logos méthodique nous met aux prises avec laréalité de la chose en soi ? Que vaut donc la croyance rationaliste en la logicité de l'être et d'où vient-elle ? Lathèse de Nietzsche est ici paradoxale au regard de la tradition philosophique : la croyance en la logicité del'être, commune à la métaphysique et à la science, a sa source dans un pragmatisme vital, et le rationalismene fait que reprendre une simplification d'abord sensible.
Mais si le « monde-vérité » de la métaphysique et dela science n'est qu'une fiction nécessaire à la survie de l'homme qui a besoin d'ordre pour vivre, de l'homme àl'activité sensorielle rudimentaire, peut-on encore parler de savoir objectif ? Si même les nobles « vérités » dela métaphysique et de la science sont des interprétations subjectives falsificatrices, faut-il alors en revenir aurelativisme sophistique et au scepticisme paresseux ?
Après avoir interprété la nécessité logique comme nécessité biologique, et non ontologique, Nietzsche montreque la logique a son origine dans un usage grossier des sens, celui de la perception utilitaire.
IL peut ainsiposer sa thèse paradoxale : l'homme ne croit en la logicité de l'être que parce qu'il est un animal qui a besoinde simplification logique dans son rapport au monde.
Comment interpréter ce qui, dans la connaissance, s'impose à l'esprit comme nécessité logique? Nietzschecommence par montrer que ce serait naïveté de conclure de la nécessité logique à une nécessité ontologique.Il faut prendre le rationalisme pour ce qu'il est, une interprétation falsifiante du monde, et non pour ce qu'ilcroit être, une prise sur l'être-vrai.
Partons de ce constat : l'homme, lorsqu'il entreprend de connaître, ne peutque « créer des concepts ».
Il s'agit bien d'une création, car les expériences ne sont jamais que plus ou moinssemblables, alors que tout concept naît de « l'opération par laquelle on réduit à l'identité ce qui n'est, pasidentique».
Réduisant le multiple à l'un, la différence à l'identité, l'autre au même, l'homme de science demeureau fond platonicien et croit aux idées ainsi construites comme à des vérités essentielles.
Les conceptss'emboîtant les uns dans les autres selon leur compréhension et leur extension, les genres se spécifient enespèces.
La biologie classe ainsi les vivants en négligeant les degrés intermédiaires, les différencesindividuelles.
Les «formes » cernées ne sont au fond que l'hypostase (entité fictive posée à tort réalité) de nosfictions langagières.
Il en va de même pour les concepts de finalité et de loi.
Ne pouvant supporter que ledevenir puisse être hasardeux et innocent, parce que nous avons besoin de sens, nous élaborons le conceptde cause finale : tout ce qui arrive doit avoir un sens et servir un but.
Ne pouvant supporter l'imprévisibilité etl'inconnu, parce qu'ils nous font peur, nous élaborons le concept de toi, en postulant que dans les mêmesconditions les mêmes causes provoquent les mêmes effets, comme s'il pouvait y avoir des conditionsstrictement semblables dans la complexité du réel.
L'idée de loi a d'ailleurs un arrière-goût moral : c'est unordre au double sens du mot, ce qui ordonne et ce qui commande.
Mais l'illusion est en tout cas de prendre cebesoin de classer comme un commandement venu du réel.La nécessité logique aurait pour origine une nécessité biologique.
Le caractère de l'homme épris d'ordre est telqu'il ne peut survivre que dans un monde falsifié, accommodé préalablement à lui.
Un monde rendu commode(de cum-modus, ce qui se prête à la mesure, à la convenance...
de la raison ) est un monde qui sert nosbesoins, en particulier nos besoins de maîtrise technique.
Les concepts ne sont que des outils forgés pourassurer une prise technique sur la nature et leur fonction est pratique et non théorique.
Comme le feraBergson, Nietzsche lie l'intelligence analytique et logique à l'action de l'homme technicien, qui catégorise lamatière pour la travailler.
Il s'agit de créer les conditions les plus propres à la survie de l'espèce humainecomme espèce biologique.
Connaître n'est pas contempler l'intelligible de façon désintéressée, mais«comprendre toute chose au mieux de ses intérêts» (La Volonté de puissance).
L'audace est ici de mettre surle même plan le métaphysicien, le scientifique et le vivant : le savant, comme tout vivant, organise son milieu.
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