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Rapprochements possibles entre la science et l'art ?

Publié le 09/02/2004

Extrait du document

C'est moi tout au contraire qui suis devant les oliviers de Van Gogh.Tous deux désintéressés, l'art et la science ne cherchent-ils pas l'un et l'autre à nous révéler un monde caché sous les apparences? La science cherche la structure intelligible au-delà de l'apparence sensible. L'art semble s'intéresser aux apparences fugitives, mais c'est pour en fixer ce qui mérite d'être éternisé, c'est pour en révéler les harmonies secrètes dissimulées à un regard profane. Une théorie scientifique qui condense en quelques équations des phénomènes apparemment très divers, qui ramène « à l'invisible simple le visible compliqué », est par là même une oeuvre d'art. Poincaré proscrivant de l'activité scientifique toute préoccupation utilitaire assure que le savant « digne de ce nom » travaille « pour ressentir une émotion esthétique et la communiquer à ceux qui sont capables de l'éprouver ». Réciproquement, la musique, l'architecture, sont une mathématique.On pourrait invoquer le rôle de l'imagination créatrice sans laquelle il n'y aurait ni science ni art. Le savant comme l'artiste fait preuve d'intuition créatrice. La création d'une oeuvre d'art de valeur exige autre chose que l'application de recettes.

« pas de ces rêves, de ces désirs, de ces passions que l'ascèse scientifique prétend exclure?Le géographe qui étudie les caractéristiques du paysage provençal, le géologue qui analyse le sol et le sous-sol fontoeuvre scientifique.

Il peut y avoir désaccord entre les opinions de deux géologues; mais le but même de l'activitéscientifique est de résoudre ces contradictions, d'apporter des preuves capables de faire l'accord des compétencessur une vérité objective.Tout au contraire, le même paysage provençal sera interprété bien différemment par plusieurs artistes.

Par exempleVan Gogh et Cézanne ont peint la Provence mais chacun l'a vue à travers son monde intérieur.

Chez Van Gogh,c'est une Provence tourmentée et tragique.

Voyez ces cyprès qui jaillissent comme des torches calcinées, cesoliviers aux branches tordues, dans une nature houleuse, comme des bras crispés.

Les paysages de Van Gogh sontdes fragments de lui-même, la projection d'un pathétique intérieur.

Cézanne projette au contraire dans soninterprétation de la Provence une âme soucieuse d'équilibre, d'ordre, de clarté : le paysage révèle une architectureclaire, logique.

Les maisons, les arbres s'ordonnent dans un ensemble cohérent.Ainsi, on pourrait dire qu'il y a la science, mais qu'il y a les artistes.

La science est une oeuvre collective dont lesrésultats s'additionnent.

Les travaux antérieurs sont l'instrument des découvertes récentes.

Einstein part de laphysique de Newton et la dépasse.

En revanche, il ne suffit pas d'écrire après Racine pour écrire mieux que Racine,de peindre après Vermeer pour peindre mieux que Vermeer.

La science est un devenir, l'art un perpétuelrecommencement.

Chaque oeuvre géniale est singulière, personnelle et n'apparaît pas comme le moment d'unprogrès.

Sans doute, dit Oppenheimer, « on comprend mieux Shakespeare pour avoir lu Chaucer et Milton pour avoirlu Shakespeare.

On voit Cézanne avec de meilleurs yeux si on a vu aussi Vermeer » (i).

Peut-être certainsconcertos de Bach n'auraient-ils pas existé si Vivaldi n'avait pas été.

Il reste que si Bach et Cézanne n'avaient pasvu le jour, nul n'aurait pu produire leur oeuvre à leur place.

Il est permis de penser au contraire que même sansNewton les lois de l'attraction universelle auraient été tôt ou tard découvertes.

Jean Rostand a écrit que « si telsavant n'avait pas fait cette découverte, un autre l'eût faite un peu plus tard.

Mendel meurt inconnu ayant trouvéles lois de l'hérédité; quarante ans après ils sont trois qui les retrouvent mais le chef-d'oeuvre poétique qui ne futpas écrit ne le sera jamais ».D'autre part l'attitude du savant devant le monde n'est pas du tout celle de l'artiste.

L'attitude du savant estanalytique.

Le savant explique le complexe par le simple, le plus par le moins.

Hourticq disait : « La science descendle cours des phénomènes, de la conscience à la vie, de la vie à la mécanique ».

La science ne sait, d'une certainefaçon, que dissocier.

C'est pourquoi son efficacité « est plus grande pour détruire que pour créer ».

La science saitd'ores et déjà désagréger l'atome, elle sera bientôt capable de faire sauter la planète, mais elle ne sait pas encoreanimer une cellule.

L'art au contraire, en recréant un monde pour notre joie, est peut-être plus fidèle à l'élan secretde l'univers, à sa vivante unité.

Sans doute ne dépasse-t-il pas le niveau des qualités sensibles, des donnéessubjectives, mais « il amène à la pleine clarté cette finalité qui organise le chaos des apparences ; en donnant auxchoses une signification, il crée de la matière spirituelle ».

La visée de l'artiste est donc synthétique.

Il ne s'agit plusdu tout pour lui de résoudre une unité apparente en éléments abstraits; il convient au contraire de respecter cetteunité apparente où les qualités sensibles, sans perdre leur diversité, découvrent leur harmonie.Sans doute la technique issue de la science est, elle aussi, synthèse puisqu'elle reconstruit des objets à partir deslois découvertes.

Mais peut-être la synthèse technique n'a-t-elle pas la même portée ontologique que la synthèse de l'artiste.

La technique ne veut pas promouvoir des « êtres » mais rendre possiblesdes événements, des gestes utilitaires.

La technique ne crée que des moyens, l'art « instaure » des êtres qui sonten quelque sorte des fins en soi.

Si, nous dit M.

Souriau, l'ingénieur construit un pont uniquement pour qu'on puissepasser de l'autre côté de la rive, ce pont n'est qu'une moyen et l'ingénieur n'est qu'un technicien.

Mais si le but del'ingénieur est, non seulement le passage de la rivière « mais le pont lui-même, cette réalité qui désormais demeureet s'affirme avec ses contours, son geste ou son élan, ses perspectives d'arches que l'eau reflète en jeux de lumièreet d'ombre, sa présence, sa durée; alors le constructeur est artiste, architecte ». « L'âme de l'artiste, si elle vit vraiment, n'a pas besoin d'être soutenue par des pensées rationnelles et desthéories.

Elle trouve par elle-même quelque chose à dire.

» Kandinsky, Du Spirituel dans l'art, 1911. « L'art est fait pour troubler.

La science rassure.

» Braque, Pensées sur l'art, 1963. « Rien n'est plus contraire aux beaux-arts que les vues étroites, la marche trop analytique et l'abus duraisonnement propres à notre régime scientifique, d'ailleurs si funeste au développement moral, première source detoute disposition esthétique.

» Comte, Système de politique positive, 1851.. »

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