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Le rôle des descriptions dans Illusions perdues de Balzac

Publié le 30/09/2010

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balzac

 

Introduction : 

 

- Un des principaux reproches adressés à Balzac : ses descriptions trop nombreuses et trop longues. Cette forte présence du descriptif ne correspondait pas à l’horizon d’attente de l’époque : un roman doit se contenter de raconter des histoires.

- Boileau dans son Art poétique de 1674 recommandait déjà aux romanciers de ne point charger le récit d’un détail inutile : « C’est assez qu’en courant la fiction amuse «.

- Tout lecteur peut-être tenté de « sauter «une description (Boileau : « Je saute vingt feuillets pour en trouver la fin «)

→ ce type de discours pose des problèmes de réception

 

problématique : quel est le rôle de ces descriptions ? Balzac a-t-il théorisé une poétique de la description ?

 

I-Du rôle narratif de la description

1- En réponse aux reproches qui lui sont adressés, Balzac établit dans l’incipit de la Recherche de l’absolu (1834), le lien entre action et description : 

« Il existe à Douai dans la rue de Paris une maison dont la physionomie, les dispositions intérieures et les détails ont, plus que ceux d’aucun autre logis, gardé le caractère des vieilles constructions flamandes, si naïvement appropriés aux moeurs patriarcales de ce bon pays ; mais avant de la décrire, peut-être faut-il établir dans l’intérêt des écrivains la nécessité de ces préparations  didactiques contre lesquelles protestent certaines personnes ignorantes et voraces qui voudraient les émotions sans en subir les principes générateurs, la fleur sans la graine, l’enfant sans la gestation. L’art serait-il donc tenu d’être plus fort que ne l’est la Nature ? «

- la description accouche de l’action : elle apporte des informations sur le lieu d’habitation, lui-même révélateur des mœurs et du caratère de l’habitant.

- la description prépare le dialogue 

ex : la chambre de d’Arthez est décrite avant que le jeune romancier ne fasse le compte rendu de sa lecture du roman de Lucien (p. 235-237)

ex : après avoir décrit l’aménagement intérieur  de l’étude de Doublon, l’huissier, le narrateur ajoute : « Ces détails ne sont pas inutiles à l’intelligence de ce qui advint à Kolb « (p.251). Il faut connaître la disposition des pièces pour comprendre que Kolb ait pu tout entendre de la conversation entre Doublon et les Cointet.

Le détail n’est pas inutile, mais bel et bien nécessaire (contrairement à ce que disait Boileau). 

 

2- c’est parce qu’elles préparent au drame que les séquences descriptives figurent généralement au début du roman, contrairement à ce que pensait Emile Faguet : 

« On connaît ses débuts par descriptions, qui sont énormes […] C’est du bavardage le plus souvent. Il n’est point besoin de cent pages pour donner l’impression de la réalité, et me faire connaître la physionomie d’une maison. Surtout il n’est pas besoin de cent pages au commencement d’un volume[…] c’est tout le long du récit, et de place en place, adroitement mêlée aux actes des personnages, les environnant comme un cadre, qu’il faut me la [la réalité matérielle] peindre. « (« Balzac «, Dix-neuvième siècle, 1887)

Balzac lui-même revendique son choix des moyens dans la préface de Béatrix : il compare la première partie de ce roman où les descriptioins se multiplient avec « Un grand homme de province à Paris « qui est « une scène pleine d’action, sans descriptions, sans ce qu’on appelle des longeurs «

En réalité, il y a bien des descriptions dans cette partie mais elle sont insérées tout au long de l’intrigue :

le restaurant Flicoteaux (p. 219)

la mansarde de d’Arthez (p. 235)

le bureau de rédaction (p. 253)

la chambre de Lousteau (p. 269)

le Palais-Royal (p. 275)

l’appartement de Coralie (p. 328)

 

Mais tous les lieux de l’action ne le sont pas :

l’appartement de Rastignac

l’hôtel du ministre allemand (quelques lignes seulement, p. 393)

l’hôtel de Mme de Moncornet (p. 396)

enfin toutes ces descriptions, hormis celles consacrée aux Galeries de Bois (p. 275) sont généralement courtes et effectuées du point de vue de Lucien. Elles ne ralentissent donc pas l’action. 

Variabilité de sa poétique romanesque. A chaque œuvre sa forme.

Transition :

 

II-Du rôle didactique de la description

On peut parler de rôle didactique de la description dans la mesure où elle délivre un enseignement. Plus qu’une figure ornementale contingente, la description accède à un nouveau statut.

 

1-Topographie et sociologie

Le pittoresque, la couleur locale, l’exotisme provincial, ce n’est pas le but poursuivi par Balzac lorsqu’il décrit la province. Il décrit plutôt l’espace pour y inscrire des significations sociales. L’enseignement sera alors sociologique :

« Ces paroles doivent paraître obscures à ceux qui n’ont pas encore observé les mœurs particulières aux cités divisées en ville haute et ville basse ; mais il est d’autant plus nécessaire d’entrer ici dans quelques explications sur Angoulême, qu’elles feront comprendre Mme Bargeton, un des personnages les plus important de cette histoire « (p. 85) 

Il importe peu ici que le Haut-Angoulême, dressé, dans Illusions perdues, « sur une roche en pain de sucre «, soit une fiction de romancier, car l’illusion réaliste tient à la concordance, à la plénitude d’une représentation où tout se tient, où les personnages, les lieux et la vie sociale se répondent. La topograhie de Sancerre, reprise pour la description d’Angoulême, dramatise un conflit qui est l’un des sujets récurrents de La Comédie humaine : l’attitude d’une aristocratie hautaine qui se coupe du reste de la société. Elle visualise aussi  par les déplacements spatiaux vers le haut des gens de l’Houmeau (Petit-Claud, les Cointet), cet assaut des basses classes. 

L’espace parisien est également socialisé. La chambre de d’Arthez est située au cinquième étage, encore plus haut que la pauvree chambre de Lousteau, au quatrième étage, au-dessus du café Servel (p. 269). Coralie d’abord convenablement logée, bien que rue Vendôme (près du boulevard du temple), à proximité des théâtres de boulevard (p. 324), finit (avec Lucien) au quatrième étage d’une maison située rue de la Lune, près du Gymase (p. 419)

A Paris comme à Angoulême, la « distance locale « est une « distance morale « (selon les termes de Balzac, p. 87) et elle sépare des « zones sociales « (p. 86)

 

2-Topographie et Histoire

Mais la description peut aussi être l’occasion d’un enseignement historique : c’est l’histoire de la Restauration que le narrateur nous fait lire dans l’espace d’Angoulême, et, par une prolepse qui ouvre le temps romanesque au-delà des limites du récit sur un avenir révolutionnaire, il annonce l’échec fatal de la Restauration, en 1830 : « En dessinant la position de la noblesse de France et lui donnant des espérances qui ne pouvaient se réaliser sans un bouleversement général, la Restauration étendit la distance morale qui séparait, encore plus fortement que la distance locale, Angoulême de l’Houmeau. La société noble, unie alors au gouvernement, devint là plus exclusive qu’en tout autre endroit de la France. L’habitant de l’Houmeau ressemblait assez à un paria. De là procédaient ces haines sourdes et profondes qui donnèrent une effroyable unanimité à l’insurrection de 1830, et détruisirent les éléments d’un durable Etat social en France. La morgue de la noblesse de cour désaffectionna du trône la noblesse de province, autant que celle-ci désaffectionnait la bourgeoisie en en froissant toutes les vanités (p. 87) 

 

3-La descritpion comme discours sémiologique

La sémiologie étant la théorie des signes, on peut dire que le discours descriptif, chez Balzac, prend la forme d’un discours sémiologique tant il multiplie les interprétations sur le monde matériel. Les choses, objets, nourritures, vêtements ont une signification sociale ou humaine, une valeur symbolique. L’objet est en relation  avec le personnage auquel il appartient, avec ses goûts et ses habitudes, avec l’environnement dont il fait partie, comme l’explique Balzac dans son Traité de la vie élégante : « Le vêtement, le lit, le coupé sont des abris de la personne, comme la maison est le grand vêtement qui couvre l’homme et les choses à son usage «.

L’objet balzacien, c’est toujours la chose plus l’homme.

Ex : le costume de Séchard père (p. 65) que le narrateur va déchiffrer comme on lit des hiérogyphes. Le costume fait l’histoire d’une ascension sociale somme avortée : si les boucles d’argent sont bien du bourgeois, la vieille redingote ne l’est pas : quel contraste !

Ex : la salle à manger du père Séchard, blanchie à la chaux « se faisait remarquer par la cynique simplicité de l’avarice commerciale « (p. 66) L’invisible devient visible !

 

Les objets s’organisent en système signifiant. Balzac invente une grammaire et une rhétorique des choses. 

Ex : la transformation de l’intérieur de la chambre de Lucien et Coralie participe à la dramatisation de leur appauvrissement (p. 450)

Ex : comparons la chambre de d’Arthez (p. 235)et celle de Lousteau (p. 269-270). 

Celle de d’Arthez est pauvre et assez vide, mais propre et rangée, austère, à l’image de l’ermite qui vit.

Celle de Lousteau contient peu de choses, mais dont la signification est évidente, aussitôt déchiffrée par le narrateur : « le nu du Vice «. La saleté est symbolique, morale. Le désordre, la laideur sont en accord avec l’esprit du propriétaire sans scrupule qui n’a honte de rien pas plus de ses mouchoirs sales que de ses actes. 

 

Remarque : Balzac assigne à la description la tâche de décripter ces indices qui recouvre et entoure le personnage, mais ce travail n’est pas si facile car il s’agit de décrire le bon détail qui fournit un indice fiable.

Ex : la chambre de d’Arthez peut paraître misérable et peu en accord avec une personnalité aussi riche. Cependant, parmi de nombreux signes de misères ( « un tapis de hasard «, « un vulgaire fauteuil de bureau en basane rouge blanchie par l’usage «, six mauvaises chaises «), un détail, celui des bougies en lieu et place des chandelles dont d’Arthez ne peut supporter l’odeur, révèle la noblesse de ce caractère : « cette  circonstance indiquait une grande délicatesse de sens, l’indice d’une exquise sensibilité « (p. 236) 

Parfois le premier coup d’œil ne suffit pas. A première vue

Transition :

 

III-Du rôle symbolique de la description : 

Paris, l’enfer social : La description de Paris prend des dimensions symboliques, comme l’indique dès la Préface la métaphore de « l’enfer parisien «, longuement filée dans « Un grand homme de province à Paris « et au-delà jusqu’à la rencontre avec Vautrin. Roman de la chute plus que de l’apprentissage, Illusions perdues fait de Paris l’espace de la tentation et du mal, parsemés de mauvais lieux : les descriptions suggèrent 

que le Panorama-Dramatique est le symbole de la Luxure (p. 308 dans les coulisses, « le poète, encore innocent, y avait respiré le vent du désordre et l’air de la volupté), 

les Galeries-de-Bois, celui de la Perdition où trône le commerce(p. 275), 

Frascati, celui du Jeu (p.438)  

Le Journalisme hante tous ces lieux parce qu’il est à lui seul « un abîme d’iniquités, de mensonges, de trahisons, que l’on ne peut traverser et d’où l’on ne peut sortir pur « (p. 249). Rue saint-Fiacre, un « Cerbère « garde d’ailleurs l’entrée du Journal (p.251)  

 

Alors que le dandy conquérant, Rastignac, voyait Paris de haut, l’écrasant de son regard de dominateur (« A nous deux maintenant ! «), Lucien ou Lousteau se représente Paris dans sa dimension verticale, vertigineuse ; la description nous suggère que la ville entraîne vers le bas, privant le sujet de sa volonté. La descente euphorique dans Le Père Goriot est une chute dans Illusions perdues. Paris est un « étrange gouffre « (p. 217), on y tombe dans « la fosse du malheur « (p. 266) explique le journaliste du haut de l’Observatoire. Pour arriver à ce poste d’observation qui leur permet d’avoir Paris à leur pied (p. 266), les deux personnages ont traversé une rue qui « était alors un long bourbier, bordé de planches et de marais « (p. 258). Lousteau qui se présente comme « un damné qui ne peut plus quitter l’Enfer «  (p. 267), montre à Lucien, en bas, « la grande ville qui fumait au déclin du jour « (p. 266). C’est une « cuve en fermentation « (p. 266). Dans Paris, on risque de s’engluer dans la « boue du journal «, dans « les marais de la librairie « (p. 266).                

Le Haut-Angoulême, symbole du blocage social : la montée vers le salon Bargeton constitue le mouvement symbolique d’une ascension sociale

 

IV-Du rôle esthétique de la description

Il ne s’agit pas de décrire pour décrire, comme Lucien, dont le Cénacle retravaille les descriptions : « ses descriptions verbeuses étaient devenues substantielles et vives « (p. 333)

Les descriptions balzaciennes sont « substantielles « et non « verbeuses «, pleines de choses et non de mots. Le texte balzacien revendique la « compétence encyclopédique « (Hamon, Du descriptif, p. 39) et non « la compétence lexicographique «

Pourquoi ?

Ces descriptions trouvent leur justification dans le projet d’histoire des mœurs : il s’agit de décrire toute la société, pour en garder une trace, comme le met en avant l’Avant-Propos

 

 

 

Conclusion : 

 

En assignant quatre rôles à la description balzacienne, nous avons cherché à montrer qu’une poétique de la description était à l’œuvre dans Illusions perdues. Balzac organise ses descriptions dans l’économie générale du roman – c’est la fonction narrative de la descritpion ; il les organise en discours sémilogique – c’est la fonction didactique de la description ; il les hisse au niveau du symbole – c’est la fonction symbolique de la description ; il les inscrit plus largement au sein d’une esthétique, l’esthétique réaliste – et c’est la fonction esthétique.     

Il resterait à montrer que ces descriptions donnent lieu à des exercices de style différents selon qu’il s’agit de la description d’un appartement, d’un salon, de Paris vu du haut l’Observatoire ou de la description poétique, métaphorique, fantastiques des Galeries de Bois.

 

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