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Le roman héroïque

Publié le 23/03/2018

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b. Le roman est un poème, plus exactement une épopée en prose : tous les auteurs sont d'accord sur ce point, depuis Boisrobert en 1629 (« les beaux romans tiennent de la nature du poème épique ») jusqu'à Boileau en 1700 (« Ces poëmes en prôse que nous appelions Romans et dont nous avons chez nous des modeles qu'on ne sçauroit trop estimer $ »), en passant par Chapelain, La Calprenède, Desmarets de Saint-Sorlin, Scudéry, etc. Le poème épique a ses règles, dégagées par Aristote et Horace, illustrées par Virgile et Homère (encore que pour ce dernier Chapelain soit sceptique). Huet appelle réguliers les romans « qui sont dans les regles du Poëme héroïque >>; ce qui distingue le genre romanesque, c'est un style moins élevé, plus de vraisemblable que de merveilleux, des événements et des épisodes plus nombreux, l'amour et non la guerre pour sujet principal, en somme une proportion différente des mêmes éléments, mais les règles à suivre sont les mêmes : unité de lieu, unité de temps, composition qui jette le lecteur dès la première page au beau milieu de l'action et oblige à des récits rétrospectifs par la suite, multiplicité des intrigues adroitement subordonnées à l'intrigue principale, personnages de haute condition, car seuls des rois et des princes peuvent s'illustrer dans des aventures guerrières, accord de la vraisemblance romanesque et de la vérité historique qui sert de toile de fond, signification édifiante sensible dans la nature des faits et dans les caractères (car les héros d'épopée ont les plus grandes vertus, courage, abnégation, fidélité, discrétion, respect religieux de la personne aimée). Le texte de Scudéry que nous citons dans l'Anthologie dit l'essentiel, les autres théoriciens n'énoncent guère d'idées différentes. L'un, comme Gerzan, mettra l'accent sur la diversité et l'intérêt des intrigues (« Il faut necessairement qu'il y ait beaucoup d'intrigues, qui soient souvent divisées, pour tenir toujours le lecteur en haleine, et si bien meslees que l'on ne les puisse retrancher sans rompre le fil de l'histoire ... »), mais prétendra se garder d'extravaguer (« C'est peu de chose d'observer tout ce que je viens de dire, si l'on ne met dans la vraysemblance les

Le roman héroïque

 

Nous réunissons sous le nom de romans héroïques les romans parus entre 1625 et 1655 environ, qui racontent de grandes actions et décrivent de grands sentiments. Les auteurs les plus illustres sont Gomberville, La Calprenède, Mlle de Scudéry, mais les contemporains ont pu lire également Boisrobert, Gerzan, Hotman, Desmarets de Saint-Sorlin, Logeas, Chevreau, Puget de la Serre, Molière d'Essertines, Le Maire, Le Vayer de Boutigny, et les auteurs inconnus d' Artemize, d' Axiane et de Clorinde, et quelques autres encore, confondus maintenant dans un épais oubli. Ils ne sont pourtant pas interchan­geables, une étude attentive rendrait à chacun sa physionomie. Les ranger tous sous la même rubrique n'est pas non plus très exact~ puisque le roman a évplué pendant ces trente ou quarante années : par réaction contre L' Astrée et sous l'influence des événements politiques, troubles intérieurs et guerres exté­rieures, le roman d'aventures renaquit et se maintint de 1625 à 1640 environ; on revint aux Amadis (Du Verdier : Le Romant des romans, conclusion de tous les Amadis, 1626; Marcassus, remaniement d'Amadis de Gaule, 1629); M. Magendie cite plus de quarante titres de romans d'aventures qu'il considère comme les plus importants, parmi lesquels ceux de Gomberville. C'est contre ces œuvres, où s'entassent les actions et où le seul but de l'écrivain est de tenir en haleine la curiosité du lecteur, que protestait Mlle de Gournay en 1626 quand elle prenait la défense du cc roman discourant » et demandait aux romanciers cc de beaux et fiorissans discours ' », probablement comme ceux qu'on trouvait dans les romans du début du siècle et dans L' Astrée. A partir de 1640 les aventures de fantaisie cèdent le terrain à l'histoire : on met en scène des personnages célèbres de l' Anti­quité ou du Moyen Age, parfois d'une époque plus récente; la version définitive du Polexandre de Gomberville, L'Ariane de Desmarets font la transition entre les romans d'aventures et les romans prétendûment historiques, dont les plus connus sont ceux de La Calprenède, et auxquels se rattache Ibrahim, le premier roman paru sous le nom de Scudéry. Enfin les romans de Mlle de Scudéry sont l'aboutissement d'un mouvement qui tendait à éliminer l'invraisemblance et l'indécence et à faire porter l'intérêt principal sur les caractères, sur la vie intérieure des personnages, sur les conversations de morale et de psychologie, et non plus sur les aventures, en rétablissant ces beaux cc discours » regrettés par Mlle de Gournay.

« Les règles Une des différences les plus imponantes entre le baroque et le classique est que le baroque croit aux règles .

Elles ne sont pas seulement déduites d'Aristote et d'Horace ou de leurs commentateurs italiens du xvie siècle, elles sont impliquées par ce que Chapelain appelle « l'idée de l'art ».

Si l'éc rivain a conscience de l'effet qu'il veut obtenir, sa raison lui fait retrouver les règles générales du genre et les règles particulières de l'œuv re : l'Ad onis du chevalier Marin est un poème sans exemple dans l'Antiquité, mais Chapelain démontre sa perf ection en faisant voir qu'il respecte les règles propres à un genre littéraire virtuel, dont il est à la fois la première réalisation par sa date et la meilleure à tout jamais par sa stricte régularité 1• Le roman, genre nouveau lui aussi, cherche ses règles et ses références.

Il n'est pas de romancier qui ne se mue en théoricien et qui n'explique longuement dans ses préfaces ses principes, ses modèles, ses intentions, leur mise en œuvre.

D'Urfé n'en avait pas eu besoin, mais Camus et Gombault, nous l'avons vu, font la philo­ sophie de leur an.

A la doctrine du roman héroïque la critique émanant des réalistes (Camus est l'un des premier s) ; les théoriciens l'épopée, de la tragédie, de l'histoire ne purent pas ignorer le genre romanesque et pro posèrent à leur tour des définitions de son caractère spécifique.

Cette agitation d'1dées ne réussit pas à élever le roman au rang et à la dignité de grand genre littéraire, parce que le mérite des œuvres ne répondait pas à l'ambition des doctrin es.

Les nombreuses apologies du roman prouvent qu'il avait toujours besoin d'être défendu.

Mais, ce qui est plus grave, toutes ces théories masquaient la vérité du roman.

a.

La conscience doctrinale d'un écrivain ne garantit en rien la valeur de son œuvre.

On a voulu mettre en parallèle avec cenaines formules de Paul Valéry la réflexion par laquelle commence la Pré face d'Ibrahim : « les opérations de l'esprit sont trop imponantes pour en laisser la conduite au hasard, et j'aimerois presque mieux que l'on m'accusât d'avoir failli par connoissance que d'avoir bien fait sans y songer 2 ».

Mais il ne faut pas conf ondre une esthétique fondée sur la psychologie de l'an avec une esthétique fondée sur le formalisme.

L'ingéniosité déployée par les romanciers pour se conf ormer à des règles absurdes leur a tenu lieu d'imagination et les a empêchés d'être de vrais créateu rs.

Le roman devint un problème complexe à résoudre, qui consistait à réunir tous les procédés réclamés par la mode plus que par la nature du genr e.

L'accusation d'avoir cc fa illi par connoissance », que Scudéry encoun si allègrement, est accablante pour la plupart des romanciers : ils fabriquent un roman à coups de recettes ; le mot par lequel La Bruyère fait l'éloge des artistes probes peut leur être appliqué péjorativement : cc C'est un métier que de faire un livre, comme de faire une pendule >>.

Les règles du roman étaient souvent contraires à l'essence du genre, et elles retardaient l'avènement des chef s-d'œuvre .

Elles n'autorisaient les romanciers ni à s'a bandonner aux fantaisies de leur génie - ce qui est un des extrêmes du romanesque -ni à respecter sincèrement la vérité -ce qui est la vocation constante du roman en France, même aux époques 1.

Lettre de Monsieur Chapelain à Monsieur Favereau [ ...

]portant son opinion sur le pobne d'Adonis du chevalier Marin (1623) (cf.

CHAPELAIN, Opuscules critiques, éd.

par A.

C.

Hunter, Paris, 1936, pp.

71-1 II).

2.

Le rapprochement est fait par Ph.

V AN TIEGHEM, Petite Histoire des grandes doctrineJ littéraires en France, Paris, 1946, p.

37·. »

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