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ROUSSEAU: Les enfants, grands imitateurs

Publié le 28/04/2005

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Les enfants, grands imitateurs, essayent tous de dessiner : je voudrais que le mien cultivât cet art, non précisément pour l'art même, mais pour se rendre l'oeil juste et la main flexible ; et, en général, il importe fort peu qu'il sache tel ou tel exercice, pourvu qu'il acquière la perspicacité du sens et la bonne habitude du corps qu'on gagne par cet exercice. Je me garderai donc bien de lui donner un maître à dessiner, qui ne lui donnerait à imiter que des imitations, et ne le ferait dessiner que sur des dessins : je veux qu'il n'ait d'autre maître que la nature, ni d'autre modèle que les objets. Je veux qu'il ait sous les yeux l'original même et non pas le papier qui le représente, qu'il crayonne une maison sur une maison, un arbre sur un arbre, un homme sur un homme, afin qu'il s'accoutume à bien observer les corps et leurs apparences, et non pas à prendre des imitations fausses et conventionnelles pour de véritables imitations. Je le détournerai même de rien tracer de mémoire en l'absence des objets, jusqu'à ce que, par des observations fréquentes, leurs figures exactes s'impriment bien dans son imagination ; de peur que, substituant à la vérité des choses des figures bizarres et fantastiques, il ne perde la connaissance des proportions et le goût des beautés de la nature. ROUSSEAU
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« avec son objet.

L'objet est là, devant moi, et à moins de sortir d'une longue cessité ou d'avoir la vue défaillante, jene peux pas ne pas le voir tel qu'il est.Les phénoménologues comme Husserl ont cependant fait remarquer que l'on ne pouvait voir intégralement l'objet.Celui-ci ne se présente que sous une certaine perspective, par esquisses.

D'autre part, il s'inscrit dans unetemporalité : est-il maintenant identique à ce qu'il était hier ? En son sens premier de faculté sensorielle, la vuesemble donc déjà requérir un certain apprentissage.Or si toute une tradition philosophique érige la vision en modèle de l'intellection.

Voir, c'est penser, et la quêtephilosophique s'apparente à un long et aride cheminement de l'ombre vers la lumière.

Mais postuler que l'homme doit« apprendre » à voir, n'est-ce pas refuser qu'il soit par nature voyant ? La vision, au sens propre et au sensmétaphorique, peut-elle à la fois être innée et acquise ? L'enjeu est à la fois épistémologique (quel est le modèle dela connaissance ?), esthétique (que doit être l'art pour donner à voir ?), métaphysique (quel est le rapport del'homme à l'être ?) et éthique (l'homme peut-il voir le bien et, le cas échéant peut-il l'appliquer ?). [I.

La vision est immédiate et non acquise] [1.

La vision comme expérience directe de l'objet] La théorie empiriste de la connaissance chez Hume ou Locke, postule que toute connaissance dérive del'expérience, le plus souvent comprise comme sensation.

Or la vue désigne l'un des cinq sens.

Elle nous procure doncune connaissance directe (sans médiation) de l'objet considéré.

Je reconnais mon ami qui s'avance au loin parce queje le vois, et que cette image se superpose à celles qui sont déjà imprimées dans ma mémoire. [2.

La vision sensible nous donne une connaissance incomplète mais indubitable de l'objet]On pourrait certes objecter que l'on ne voit jamais intégralement un objet.

Une ou plusieurs de ses faces nousdemeurent toujours cachées.

Mais cela ne constitue pas une objection à la certitude de la connaissance perceptiveselon Husserl.

Car même s'il se donne « par esquisses », l'objet se donne lui-même.

Il n'y a donc pas besoind'apprendre à le voir, pour le voir « en chair et en os ».

Il faut laisser parler l'acte perceptif. [3.

L'évidence comme intuition intellectuelle directe du vrai]En son sens métaphorique d'intellection, la vue n'a pas non plus besoin d'apprentissage.

Son paradigme est en effetl'évidence.

Or dans l'évidence, l'esprit voit directement et intuitivement la vérité.

Aucun détour déductif n'estnécessaire.

La vérité est pure illumination.Mais (le parcours cartésien lui-même le montre bien) l'évidence ne peut souvent être acquise qu'au terme d'un longprocessus déductif, qui a remisen doute le probable pour découvrir l'indubitable.

Une éducation du regard est en ce sens requise pour voirclairement et distinctement. [II.

L'éducation du regard] [1.

Différence entre voir et regarder]La distinction commune entre voir (spontanément) et regarder (attentivement) pourrait être éclairée par ladifférence des points de vue de l'homme du commun et de l'artiste.

L'homme du commun verra le brouillard dans sagrisaille, voire sa laideur, le peintre y trouvera la quintessence de l'ennui ou de la sensualité.

C'est en ce sens quel'artiste transforme notre perception du monde, le dévoile en nous apprenant à le voir. [2.

Vue directe et vue réfléchie, obscurité et lumière]Au sens métaphorique, la vision claire et distincte suppose la mise à distance de la réflexion.

C'est en faisant retoursur les choses et sur soi que l'on découvre peu à peu le vrai, et non en se confiant à sa perception immédiate,souvent source de préjugés et d'erreurs : cf.

le mythe de la caverne. [3.

Apprendre à voir de ses propres yeux]Apprendre à voir signifie donc apprendre à se servir de ses yeux.

Tout homme possède la raison, mais sans s'enservir de la même façon que son voisin (de là toutes les différences entre les hommes, en dépit de l'universalité dela raison).

Il en va de même pour la vue.

Apprendre à regarder signifie par exemple, au sens nietzschéen, êtrecapable de se forger ses propres valeurs et de vivre à la première personne, sans se laisser dicter sa façon de voirpar la classe dominante. [Conclusion] Le regard s'éduque donc, non au sens où il faudrait chausser les lunettes du commun ou celles que me tend autrui,mais au sens où il est du devoir de l'homme libre de s'interroger sur la validité de ce qu'il pense et sent.

Apprendre àvoir, c'est devenir autonome et se forger sa propre conception du vrai et du bien.. »

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