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ROUSSEAU: L'homme et l'animal

Publié le 27/04/2005

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Mais, quand les difficultés qui environnent toutes ces questions, laisseraient quelque lieu de disputer sur cette différence de l'homme et de l'animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation c'est la faculté de se perfectionner; faculté qui, à l'aide des circonstances développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l'espèce que dans l'individu, au lieu qu'un animal est, au bout de quelques mois, ce qu'il sera toute sa vie, et son espèce, au bout de mille ans, ce qu'elle était la première année de ces mille ans. Pourquoi l'homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? N'est-ce point qu'il retourne ainsi dans son état primitif, et que, tandis que la bête, qui n'a rien acquis et qui n'a rien non plus à perdre, reste toujours avec son instinct, l'homme, reperdant par la vieillesse ou d'autres accidents, tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même ? Il serait triste pour nous d'être forcés de convenir que cette faculté distinctive, et presque illimitée, est la source de tous les malheurs de l'homme; que c'est elle qui le tire, à force de temps, de cette condition originaire dans laquelle il coulerait des jours tranquilles et innocents; que c'est elle, qui faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vices et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même, et de la Nature. ROUSSEAU

 

Il s’agit d’identifier la différence spécifique (ce qui le définit comme espèce) de l’homme, son propre. L’essence même de l’homme, sa nature repose dans la perfectibilité – que l’on peut identifier à la liberté – tant " dans l’espèce ", au niveau de l’histoire collective, orientée vers un progrès, que pour " l’individu ", dans le développement de ses facultés individuelles. La où l’homme se perfectionne, l’animal demeure prisonnier de son déterminisme ; l’homme est naturellement un être culturel et le passage à l’ordre culturel est nécessaire, inhérent à sa nature. Ce passage – peut-on encore parler de passage ? – n’a rien d’accidentel et ne renvoie à aucune réalité historique.

 

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« devient scientifique que s'il a simplifié ses axiomes et en a réduit le nombre.

Dans la suite du Discours,Rousseau explique effectivement la naissance des techniques, du langage, de la morale et de la sociétégrâce au concept de perfectibilité.

Cette dernière est la qualité distinctive de l'homme dans la mesure où ellen'appartient pas aux animaux : ces derniers sont voués, en effet, par Rousseau à la fixité.

Leurs instincts,leurs propriétés physiques et physiologiques, les caractéristiques de toute l'espèce sont, selon lui, identiquesà travers le temps, alors que l'homme est sujet aux perpétuelles variations que produisent les circonstanceset sa perfectibilité.

Notons que cette théorie fixiste des espèces est inspirée par l'histoire naturelle deBuffon.

Même si elle est considérée comme fausse par le'; scientifiques contemporains, on peut pourtant seranger partiellement à la thèse de Rousseau : l'homme se sépare des animaux par une capacité beaucoupplus grande à faire varier les conditions de son existence.

Rousseau trouve donc dans la perfectibilité unprincipe incontestable, économique, fécond et propre à l'anthropologie.

Ce concept a-t-il pour autant unstatut purement scientifique? Rousseau en use, dans le second temps de son analyse, comme d'un critèrede jugement éthique.

La perfectibilité compromet-elle en fait la rigueur de l'anthropologie rousseauiste?Apparemment, la perfectibilité n'est pas seulement une notion de gnoséologie.

Elle possède aussi desaspects métaphysiques et moraux.

La question de la ligne 9 (« Pourquoi l'homme seul est-il sujet à devenirimbécile? ») appartient aussi bien au domaine scientifique qu'a la sphère éthique.

Elle recherche les causesde l'être actuel de l'homme, comme un ethnologue examine les fondements d'une structure sociale.

Mais elleenquête aussi sur l'origine du mal humain.

« Imbécile » signifie en effet, au XVIIIe siècle, «déficient », «faible » moralement et physiquement.

La scientificité de l'anthropologie rousseauiste ne semble pourtant pasruinée par cette immixtion du discours éthique.

Elle est en effet justifiée par le type de «nature» queRousseau attribue à l'homme.

La nature humaine n'est pas un ensemble de propriétés éternelles, déterminéesune fois pour toutes.

L'homme n'est pas défini de façon universelle et intemporelle comme une image de Dieu(définition judéo-chrétienne).

Il n'est pas non plus un être de raison identique à lui-même au cours du temps(définition des Lumières).

Sa nature est précisément de n'avoir pas de nature fixe.

Il est par essenceperfectible, c'est-à-dire perpétuellement variable.Étudier les causes de l'affaiblissement de l'homme, de son « imbécillité », c'est donc prolonger l'anthropologiede la perfectibilité.

C'est en effet chercher à comprendre comment ce principe de variation, originellementcause d'un perfectionnement, peut aussi devenir source de régression.

La perfectibilité joue en effet ce rôlepour l'individu, comme le soutient Rousseau dans la question rhétorique des lignes 9 à 13.

La perfectibilitéest considérée comme une faculté « d'acquérir ».

Mais ses acquisitions ne sont pas permanentes, dans lamesure où elles ne sont pas garanties par la stabilité de l'instinct.

Les progrès de l'homme sont culturels etartificiels, ils sont donc sujets à la disparition et à l'affaiblissement.

Les « malheurs » de l'homme sont liés àcette singularité humaine au même titre que ses perfectionnements.

Elle est à l'origine de ses « vices »comme de ses «vertus».La perfectibilité ne « dénature » pas véritablement l'homme, même si elle l'arrache à sa « condition originaire» (lignes 15 et 16).

Être dénaturé, c'est en effet déroger à sa nature profonde.

Or, comme vient de lemontrer Rousseau, l'homme n'a pas de « nature » fixe qui serve de norme pour juger de ce qui est dénaturéet de ce qui ne l'est pas.

Dans l'homme naturel, Rousseau trouve seulement un critère pour juger du bonheuret du malheur de l'homme actuel, pas un concept universel et intemporel de la « nature humaine ».

Cela estévident non seulement dans l'ambivalence de la perfectibilité que nous venons de souligner mais aussi dansla dernière remarque de Rousseau.

La perfectibilité qui l'affranchit de l'instinct et le libère des contraintesnaturelles peut également le transformer en « tyran de lui-même» et supprimer sa liberté.

La perfectibilité leconduit en effet à la construction de sociétés dont certaines consacrent une domination tyrannique del'homme sur l'homme.

La perfectibilité est un principe anthropologique d'autant plus universel et éclairant qu'ilexplique les phénomènes les plus opposés.Cet extrait a une portée si considérable pour l'anthropologie de l'ethnologie que Claude Lévi-Strauss l'évoqueà plusieurs reprises comme un texte fondateur, dans ses mémoires intitulés Tristes Tropiques.

Rousseau yinaugure en effet une étude de l'homme délivrée des présupposés fixistes de la religion ou de l'idéologie.

Elleaffirme aussi quelques normes que doivent observer les sciences humaines pour se constituer en savoirsvéritables.On peut néanmoins observer que les préoccupations éthiques de Rousseau ne sont jamais absentes.

Unescience de l'homme affranchie de tout projet moral est-elle possible? C'est, par exemple, ce que prétendAuguste Comte dans sa Physique sociale tout en défendant lui-même certaines thèses politiques comme lasupériorité de la société sur l'individu.

Si la neutralité axiologique des sciences de l'homme paraît impossible,doit-on pour autant la bannir de la sphère du savoir scientifique? Tout l'effort de Durkheim et de Lévi-Strauss est de montrer le contraire.. »

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