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SAINTE-BEUVE AVANT « Port-Royal »

Publié le 02/05/2011

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Que le Port-Royal soit l'oeuvre maîtresse et, à bien des égards, le chef-d'oeuvre de Sainte-Beuve, c'est ce qui, de l'aveu de tous les critiques qui comptent, — à commencer par Sainte-Beuve lui-même, — est aujourd'hui communément admis. Ce grand livre, auquel il a travaillé pendant plus de trente ans, comment Sainte-Beuve a-t-il été amené à l'écrire ? Pour répondre à cette première question, il faut tout d'abord interroger son oeuvre antérieure.

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« d'Arthur.

Le succès ne répondit pas entièrement à son attente.

« J'ai monté assez près du sommet, disait-il plustard à Scherer à propos de ses vers, mais je ne l'ai pas dépassé, et en France, il faut dépasser.

» D'autre part, lesévénements politiques, la Révolution de 183o, l'évolution de sa propre pensée et les vicissitudes d'une passioncoupable, tout cela le détache progressivement de Victor Hugo et du Cénacle, lequel du reste est maintenantdispersé.Forcé par toutes ces circonstances de se rabattre sur la critique, il y revient avec un sentiment de lassitude etd'amertume.

La critique, écrit-il, « est le refuge de quelques hommes distingués qui ne se croient pas des grandshommes, ...

qui, en se permettant eux-mêmes des essais d'art, de courtes et vives inventions, ne s'en exagèrentpas la portée, les livrent, comme chacun, à l'occasion, au vent qui passe, et subissent, quand il le faut, avec goût,la nécessité d'un temps qu'ils combattent et corrigent quelquefois, et dont ils se rendent toujours compte ».Et, quelques années après, précisant encore sa pensée : « Chez la plupart de ceux qui se livrent à la critique et quimême s'y font un nom, il y a, ou du moins il y a eu une arrière-pensée première, un dessein d'un autre ordre et d'uneautre portée.

La critique est pour eux un prélude ou une fin, une manière d'essai ou un pis-aller.

» Un « pis-aller : »que de fois, et jusqu'à la fin, le mot ne reviendra-t-il pas sous la plume de Sainte-Beuve ! Cet homme qui a fait dugenre de la critique l'égal en dignité du roman et de la poésie même, a été, toute sa vie durant, — et c'est là lapiquante originalité de son « cas », — un critique à contre-cœur et comme malgré lui. II Et pourtant, qu'il le voulût ou non, sa critique s'enrichissait tous les jours des expériences, même malheureuses, qu'iltentait en divers sens.Déjà, avant 1830, sous l'influence des romantiques et de leurs vagues aspirations religieuses, sous l'influence ausside Mme Hugo, il s'était ouvert à ces sortes de questions, et ses articles en porter la trace.

Mais, après la révolutionde Juillet, un moment désemparé et ne sachant où se prendre, il se met bientôt et activement en quête d'une foipolitique et sociale, et religieuse surtout.C'est d'abord au Saint-Simonisme, puis à Lamennais qu'il s'attache, et l'action de ce dernier sur cette âmeessentiellement mobile et « seconde » est si forte, que la critique de Sainte-Beuve va s'en trouver peu à peutransformée.

La Préface, - non recueillie depuis, - de la première édition des Critiques et Portraits littéraires (1836)est bien significative à cet égard : « On n'aura pas de peine à saisir, déclarait Sainte-Beuve, dans les huit premiers articles qui ont tous été écritsavant 1830...

une intention littéraire plus systématique...

que dans les suivants.

Ceux-ci...

ont avant tout unesignification morale et se rapportent à une littérature plus indifférente ou même légèrement désabusée.

Malgré cettediversité assez sensible de nuance, il semble qu'il reste encore une espèce d'unité suffisante dans le procédé depeinture et d'analyse familière qui est appliqué à tous les personnages, aussi bien que dans le fond de principesmoraux et de sentiments auxquels on s'est constamment appuyé.

C'en est assez peut-être pour que le lecteurarrive sans trop de secousses...

de l'article Boileau, où l'art et la facture poétique sont principalement en jeu, àl'article sur l'abbé de Lamennais, où la question humaine et religieuse se pose, s'entr'ouvre aux regards, autant quel'auteur l'a pu et osé faire.

»Ainsi donc, le procédé général et la forme de l'enquête critique n'ont point ou n'ont guère varié, et ce sont toujoursdes « portraits » que trace Sainte-Beuve ; mais le fond s'est insensiblement modifié ; la préoccupation purementesthétique a fait place à la préoccupation morale et même religieuse.Ces préoccupations nouvelles, Sainte-Beuve a essayé de les exprimer sous une autre forme, celle du roman, et c'esten 1834 que, déjà un peu détaché d'ailleurs de Lamennais, il publie, — toujours sous l'anonymat, — son curieux livrede Volupté.

« Ce sont tous des portraits, une peinture exacte », disait-il bien plus tard à Scherer.

Le livre n'eut pastout le succès qu'il méritait.

C'est alors aussi qu'il écrit les vers qui composeront l'odieux Livre d'amour et le recueildes Pensées d'août 1, lequel, quand il parut en 1837, trouva, au dire de Sainte-Beuve, « un accueil tout à faithostile et sauvage ».Ces échecs ou demi-échecs, les déceptions qu'il éprouve de toutes parts, dans ses amours, dans ses amitiés, dansses aspirations vers la foi chrétienne, tout cela le rejette vers la critique.

Il conçoit alors et il applique auxcontemporains une sorte de critique plus impersonnelle qu'auparavant, plus détachée de toute tendancedogmatique, une critique essentiellement analytique et descriptive, où « l'observation morale » est intimement «mêlée à l'appréciation littéraire », et qui, préoccupée avant tout de « chercher l'homme dans l'auteur, le lier dumoral au talent », s'intéresse tout spécialement aux « hommes, aux oeuvres secondaires », et s'efforce de « mettreen oeuvre avec intérêt et avec art » les renseignements qu'elle fournit, « les jugements nouveaux » qu'elle fonde.En un mot, la critique, telle qu'il la réalise entre 1832 et 1837 environ, est presque exclusivement, — la formule afait depuis fortune, mais elle est de lui, dans un article sur Ballanche, — « une biographie psychologique ».

Il sedéfend d'avoir désormais « un art à soi », et même « une doctrine à soi ».

Plus encore que de juger les hommes etles oeuvres, il est préoccupé de les comprendre et de les expliquer ; et c'est à comprendre et à expliquer les cas lesplus divers, les personnalités les plus opposées, les oeuvres les plus contradictoires que semblent lui avoir surtoutservi les multiples expériences esthétiques, morales ou religieuses auxquelles il s'est successivement livré.Et cependant, cela ne saurait lui suffire encore.

Ces études au jour le jour ne remplissent pas entièrement laconception qu'il se forme de la critique ; le cadre en est trop étroit pour lui permettre d'y exprimer toutes ses idées,d'y appliquer à fond toute sa méthode.D'autre part, il est artiste et il est poète.

Il sent vivement, et il n'est pas incapable de rendre la poésie tout intimequi se dégage d' « une vie sobre, d'un ciel voilé, de la mortification dans les désirs, d'une habitude recueillie et. »

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