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La science fait-elle oublier l'être

Publié le 19/03/2004

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b) L'être. - Ce mot est beaucoup plus ambigu. « Être » est en effet un infinitif qui tantôt joue le rôle de copule, comme dans la proposition « le cheval est un mammifère », et tantôt affirme l'existence ou la réalité d'un fait comme lorsque je dis : « Il vaut mieux être que ne pas être. » Mais ainsi que l'indique l'article, cet infinitif est ici employé substantivement. Or, le substantif « être » désigne normalement ce qui est. l'existant ou l' « étant », comme dit HEIDEGGER : d'abord, l'Être ou l'Étant suprême, Dieu; ensuite, les êtres qui participent en lui, les créatures. Remarquons-le toutefois, la formule à expliquer ne dit pas : « les êtres », ni l' « Être », c'est-à-dire Dieu, mais a l'être ». Le sens de ce singulier nous apparaîtra facilement dans ce contexte : « Dieu nous a donné l'être »; c'est-à-dire, il nous a donné d'être ou d'exister. B. - Le sens de l'affirmation.

« Nous nous demanderons d'abord ce qu'il faut penser de l'affirmation de HEIDEGGER.

Mais cette affirmation laisseentendre qu'il y a une discipline qui, contrairement aux sciences, a pour objet propre l'être des êtres c'est surtoutl'examen de cette thèse qui nous retiendra. A.

- La science est-elle oubli de l'être ?Le savant, comme les autres, perçoit des existants concrets : les membres de sa famille, son chien, etc.

Il portecomme tout le monde des jugements d'existence : il dit, par exemple, que cet hiver le froid a tué un grand nombrede végétaux, que l'air est frais, etc.

Il n'est pas étranger aux sentiments existentiels de la vie qui s'écoule.

En effet,il reste homme.

Mais il n'en est pas de même si nous le considérons en tant que savant, car, comme nous l'avonsrappelé, il n'y a de science que du général ou des essences.Mais s'ensuit-il que la science oublie et fasse oublier l'être au sens que nous avons défini ? B.

— Elle ne l'oublie pas mais en fait abstraction.On ne peut pas dire que les mathématiciens oublient la biologie ou que l'histoire contemporaine oublie les époquesantérieures : elle ne s'en occupe pas parce qu'en dehors de son objet.

H en est de même de la science au sensusuel du mot : la métaphysique et l'ontologie étant hors de son domaine, elle n'a pas à les oublier.

D'ailleurs, danssou contexte, ce verbe ne peut être pris que dans un sens analogique : étant elle-même une abstraction, la sciencen'a pas de mémoire, et ou ne peut pas lui reprocher d'oubli.

a La science oublie l'être » ne peut signifier que : « lascience ne s'occupe pas de l'être ».On peut dire cependant qu'elle peut le faire oublier.

A force de faire abstraction du problème de l'être et desproblèmes métaphysiques en général, il arrive que le savant n'y songe plus et même les juge dénués de sens.Toutefois, cet oubli n'est pas nécessaire, et il résulterait plutôt d'une conception trop étroite de la science : nousvoyons en effet bien des savants amenés aux problèmes philosophiques par l'approfondissement de leurs problèmespropres.

C'est pour cela qu'au lieu d'admettre avec HEIDEGGER que « la science fait oublier l'être », nous disonsseulement qu'elle peut le faire oublier. C.

— L'ontologie heideggerienne atteint-elle l'être ?L'ontologie classique se définit « la science de l'être en tant qu'être », c'est-à-dire qui ne conserve des êtres réelsque les caractères communs à tous.

Le mot « être », dans ce cas, traduit en même temps ens ou entia (les étants)et esse (l'exister, l'être dont parle HEIDEGGER).

Même si, pour des raisons systématiques, elle affirme une distinctionréelle entre l'étant et l'acte d'être ou entre l'essence et l'existence, cette distinction n'est pas physique maismétaphysique : essence et existence ne constituent pas deux êtres, mais deux principes d'un être unique seul réel.Par suite, on ne saurait atteindre l'existence ou l'esse en lui-même; on ne connaît que l'esse d'un ens, quel'existence de quelque chose qui existe.Au contraire, l'ontologie de HEIDEGGER se centre sur l'existence ou plutôt sur l'exister.

Sans doute, cet exister estl'exister d'un « étant », mais il faudrait l'atteindre en quelque sorte à l'état pur.

Comme nous l'avons dit, l'exister del'homme, qui est essentiellement souci par suite de sa structure temporelle, ne constitue pour notre auteur qu'unesorte de préontologie, prélude nécessaire de l'ontologie proprement dite qui a pour objet l'exister absolu.

Or, à moinsque l'essence à laquelle elle donne l'existence ne soit elle-même absolue, c'est-à-dire illimitée, et se confonde avecl'existence, l'exister est relatif à l'essence qu'il fait exister.

La matière brute n'existe pas à la manière de l'êtrepensant.

Il n'y a entre ces deux manières d'exister qu'une analogie.Il n'est donc pas étonnant que l'ontologie de HEIDEGGER se soit arrêtée à ce qui n'en constituait à ses yeux que leprélude : à l'étude du Dasein, de l'homme en situation dans le monde.

Dans Sein und Zeit il affirme bien que, étantdonné la structure temporelle du Dasein, le temps est l'horizon à partir duquel doit se poser le problème de l'être,mais il ne peut pas conclure que l'être de l'homme est celui des autres étants.H aboutirait plutôt à la conclusion que de l'être nous ne pouvons rien savoir.

L'être se révèle par son absence plutôtque par sa présence.

HEIDEGGER voit dans l'angoisse une des expériences les plus révélatrices.

Or, l'angoisse résulted'une impression de néant et non d'une impression d'être.

« Dans l'angoisse, l'existant dans son ensemble devientbranlant (hinfallig) (...) Dans la nuit claire du Néant de l'angoisse se montre enfin la manifestation originelle del'existant gomme tel: à savoir qu'il y ait de l'existant — et non pas Rien.

(...) C'est uniquement en raison de lamanifestation originelle du Néant que la réalité-humaine de l'homme peut aller vers l'existant et pénétrer en lui.

Maispour autant que chaque réalité-humaine, de par son essence, est en rapport avec l'existant (...), elle procède duNéant révélé.

» (Qu'est-ce que la Métaphysique? p.

33, 34.

Gallimard, 1938.)En somme, ainsi que le dit M.

Jean WAHL, pour HEIDEGGER, la philosophie est bien plutôt « interrogation sur l'êtreque possibilité d'une réponse à son sujet; et on peut même ajouter qu'il est dans l'ordre, puisque l'être se dissimule,que nous ne puissions pas en faire une théorie ».

(Métaphysique, p.

123.) CONCLUSION. - Nous pourrions donc retourner à HEIDEGGER le reproche qu'il adresse à la science : l'ontologie qu'il préconise oublie et fait oublier l'être.

Sans doute il ne songe qu'à l'être, mais il ne l'atteint jamais.

Et ce reproche estbien plus grave, car tandis que l'être se situe en dehors du domaine de la science, il constitue l'objet propre del'ontologie, qui, si elle n'atteint pas l'être, n'est plus une ontologie.Sans doute, nous l'avons répété, l'ontologie heideggérienne est exclusivement axée sur l'être au sens le plus strictdu mot.

Mais cet être est si totalement purifié qu'il ne présente plus rien, de pensable.

S'interroger sur la nature del'être ainsi conçu ou plutôt dont on s'efforce vainement d'élaborer le concept, c'est poursuivre une chimère.. »

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