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Y a-t-il un sens à parler de pratiques contre nature au sujet de l'homme ?

Publié le 12/03/2004

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Le sujet est une invitation à s'interroger sur une manière de parler, sur l'expression courante: «contre nature«. L'utilise-t-on à juste titre ? Le sujet précise qu'il s'agit de l'homme. Ce dernier est-il capable de conduites ou de pratiques contraires à la nature ; plus exactement, contraires à sa nature ? Pour bien comprendre la question, il faut que votre problématique fasse apparaître l'opposition entre nature et culture. L'homme est un être de culture. Dès lors, peut-on encore soutenir que la nature contient les règles auxquelles l'homme devrait obéir ? Les normes auxquelles l'homme doit se soumettre, celles du bien et du mal, du convenable et de l'inconvenant, du juste et de l'injuste, sont-elles inscrites en sa nature ou non ? Si ce n'est pas le cas, mais si ces normes sont culturelles, alors il n'y a pas de sens à condamner certains actes au nom de l'argument qu'ils seraient contre nature.

« [Transition] L'idée de pratiques contre nature avait donc un sens pour les anciens.

Mais tous n'ignoraient pas les difficultés qu'ily a à faire reposer les rapports sociaux sur des différences de nature.

De plus, si la nature est une norme pour leshommes, si l'action convenable est l'action conforme à la nature, celle-ci ne détermine pas à l'avance noscomportements comme l'instinct peut le faire pour les animaux.

La nature prend la forme de la raison, non del'instinct.

Les pratiques humaines sont donc des pratiques ouvertes qui, en tant que telles, ne sont pas plusnaturelles que contre nature. [Partie II.

Les pratiques moralement condamnables ne sont pas contre nature.] L'homme n'est que très peu régi par l'instinct.

Celui-ci, au sens strict, désigne un modèle inné de comportement, unschéma de réaction qui se transmet héréditairement dans une espèce donnée et qui est relatif à la satisfaction d'unbesoin.

D'instinct, par exemple, le nourrisson fait le geste de téter sans qu'on le lui ait jamais appris.

Mais pour lereste, nos comportements et nos pratiques sont appris et acquis au contact des autres hommes.

Ce sont eux quinous disent ce qui est bien et ce qui est mal, ce qu'il faut faire et ne pas faire.

La norme est humaine ; elle est doncculturelle, puisqu'elle est relative à un groupe social ou ethnique donné.Même la sexualité n'est pas un instinct chez l'homme.

Freud l'a bien montré.

En analysant la sexualité infantile, et en découvrant chez l'enfant une disposition perverse polymorphe, Freud abeaucoup contribué à dissocier la sexualité humaine de la fonction dereproduction, qui est la finalité à laquelle obéit aveuglément l'instinct.

Lasexualité adulte, qui unit deux personnes de sexe opposé, est certesorganisée autour de la zone génitale; elle est au service de la reproduction del'espèce.

Mais elle n'est pas le terme obligé d'un développement naturel.

C'estla société qui désigne à la pulsion sexuelle le partenaire de l'autre sexe commele «bon objet».

La pulsion peut connaître d'autres destins ; elle peutnotamment rester fixée à un stade de la sexualité infantile (à telle partie ducorps, par exemple).

S'il y a des perversions sexuelles, celles-ci ne sont doncpas contre nature.

La nature humaine ne contient aucune norme en matièrede sexualité.

C'est la société qui encourage la relation hétérosexuelle etgénitale adulte, voyant dans l'auto-érotisme, l'inceste, l'homosexualité despratiques contraires à la bonne intégration sociale de la sexualité.Dans le cas de l'inceste, où nous serions tentés plus que jamais de prononcerle verdict d'une pratique contre nature, Lévi-Strauss a indiqué que c'était unepratique prohibée universellement dans toutes les cultures, au point qu'onpeut considérer son interdiction comme la frontière entre l'humanité etl'animalité.

On sait pourtant qu'il existe des pratiques incestueuses chez leshommes.

Leur répression vient plus de ce qu'elles menacent l'ordre social, etles fondements mêmes de la culture humaine, que de ce qu'elles seraientcontre nature.

Rigoureusement parlant, c'est tout autant, et mêmedavantage, la prohibition de l'inceste qui est contre nature; c'est l'homme tout entier qui est un être d'anti-nature.Quand on saisit à ce point, jusqu'au coeur de la sexualité, que l'homme obéit aux normes socioculturelles, il devientdifficile de fonder nos jugements de valeur sur la nature.

On ne peut plus condamner le vice, ou la perversion, aunom de l'argument qu'ils seraient contre nature.

Il s'agit de bien dissocier la nature et la morale.

Spinoza avait déjàmontré qu'il n'y a rien qui soit bon ou mauvais naturellement; ces valeurs n'ont cours que dans la cité.

Hume écrirad'une manière plus nette encore, dans sa philosophie morale :« Rien ne peut être plus antiphilosophique que les systèmes qui affirment l'identité du vertueux et du naturel et celledu vicieux et du non-naturel.

Car, au premier sens du mot, nature par opposition à miracles, le vice et la vertu sonttous deux également naturels ; au second sens, celui qui s'oppose à inhabituel, c'est peut-être la vertu qui,trouvera-t-on, est la moins naturelle...

Il est donc impossible que les caractères de naturel et de non-naturelpuissent jamais, en aucun sens, marquer les frontières du vice et de la vertu.

»La moralité d'une action se juge aux intentions qui l'animent.

Nos condamnations ne peuvent plus se réclamer de lanature. [Conclusion] Le traitement de cette question a fait apparaître un clivage entre pensée ancienne et pensée moderne.

Pour lapremière, que l'on peut appeler naturaliste, au sens philosophique du terme, la nature est la norme suprême.

L'ordrehumain y est soumis et la rectitude morale consiste à vivre en harmonie avec elle.

Pour la seconde, les valeurshumaines n'ont aucun fondement naturel.

Le critère devient davantage social, ou culturel.

Nous croyons peut-êtrecondamner l'homosexualité ou la perversité au nom de leur caractère anti-naturel.

En fait, nous ignorons que nosjugements reposent sur les valeurs qui ont cours dans notre communauté et peuvent être différents ailleurs.

C'estce qui rend si difficile à distinguer parfois la véritable moralité d'un simple conformisme moral.. »

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