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LA SIMPLICITÉ DU STYLE de Camus

Publié le 14/01/2020

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ou à de simples objets. On dira qu'il se « chosifie ». C'est justement le reproche qu'on adressera aux œuvres qui illustrent ce qu'on a appelé, dans les années I960, le « nouveau roman ».

CAMUS, PRÉCURSEUR

DU « NOUVEAU ROMAN » ?

Nous avons examiné en quoi Meursault, différent des personnages de roman traditionnel, pouvait avoir des points communs avec ceux du « nouveau roman ». La fréquence, mais surtout le caractère gratuit, voire dérisoire des descriptions, font aussi de L'Étranger un précurseur du « nouveau roman ». Alain Robbe-Grillet étonna ou amusa les lecteurs en décrivant, dans Les Gommes ( 1953), un quartier de tomate jusque dans ses moindres pépins ; mais cette description était due à un regard (celui de Wallas, le narrateur) et traduisait ainsi son hébétude devant le monde. Le rythme de La Jalousie, du même Robbe-Grillet (1957), où la plupart des chapitres commencent par un « Maintenant » qui donne le sentiment d'un temps décousu, privé de cette orientation qu'on trouve d'ordinaire dans les intrigues traditionnelles, s'apparente également à celui de L'Étranger. Dans un autre roman de Robbe-Grillet, Le Voyeur (1955), on note chez le personnage principal, Mathias, une attention aux détails qui semble la marque d'un esprit un peu borné. Quand il dit : « Vu l'état neuf de l'engin loué, d'une part, et d'autre part son fonctionnement irrégulier, il était difficile de dire que cela fût bon marché ou cher1 », on croit entendre Meursault, dont l'une des expressions favorites est : « dans un sens... dans un autre » ?

Les « nouveaux romanciers » reconnaîtront leur dette envers L'Étranger. Mais alors que dans les romans de Robbe-Grillet notamment le monde paraît « chosifié » d'un bout à l'autre, Meursault au contraire, en se révoltant à la fin, lui donne un sens. On pourrait dire qu'après avoir été longtemps un personnage de « nouveau roman », il accède à une dimension humaniste. A la lumière de cette conversion, mais aussi de la fatalité qui paraît avoir en fin de compte organisé l'intrigue, les moindres descriptions prennent rétrospectivement un

camus

« mentalité de Meursault, dont l'esprit est fixé sur le présent immédiat, qui refuse d'anticiper sur un futur même très pro­ che et d'instituer une causalité entre ses actes.

UN LANGAGE POPULAIRE En écrivant ainsi, Camus traduit une façon de parler typi­ que des Français d'Algérie, elle-même héritée du style et du rythme de récit des Arabes : transcription simple des faits appréciés en eux-mêmes, sans qu'il soit besoin de les orga­ niser et surtout de les coordonner dans un discours cohérent, mais qui prennent finalement, par accumulation, une dimen­ sion épique.

Tel est le récit de Raymond Sintès inspiré à Camus par une scène de bagarre transcrite sur le vif dans ses Carnets 1.

Le ton est alors très proche de celui d'épisodes savoureux qui émaillent Noces ou L 'tté.

"L'Algérois use d'un vocabulaire typique et-d'une syntaxe spéciale, écrit Camus dans Noces.

Mais c'est par leur intro­ duction dans la langue française que ces créations trouvent leur saveur2.

» Cette langue, explique Camus, est celle de Cagayous, sorte de Gavroche algérois immortalisé par les œuvres d'une certain Auguste Robinet.

La« langue de Cagayous »n'est pas toujours immédiate­ ment accessible à un Français de métropole.

Quand Raymond dit : " Je vais te mOrir » lp.

491, on comprend à la rigueur qu'il signifie : 11 Je vais te changer le visage en fruit inor.

11 «Tu m'as manqué •, adressé par le même Raymond à sa maitresse (p.

59), ne veut pas dire:« J'ai langui après toi•, mais:« Tu as manqué à l'honneur envers moi.

» « Donner un taquet » fp.

491 est plus hermétique : cela veut dire «donner un coup •3.

Ces expressions figurent toutes dans des dialogues au style direct, c'est-à-dire donnés entre guillemets.

Meursault, lui, 1.

Voir plus haut (p.

151.

2.

A.

Camus.

Essais (Éd.

Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, p.

77).

3.

Le mot« taquet•, en ce sens, ne figure pas dans les dictionnaires.

On en trouve une définition humoristique dans R.oland Bacri, Trésors des raci­ nes pataouMes (Éd.

Belin, 19831 : •Étymologie, j'sais pas.

En sociologie : un H est en colère ou quoi, il vous tape.

Pas à vous abîmer complètement mais quand même ça peut faire mal.

Surtout si vous êtes un peu douUlet.

• Le langage c pataouète •.

imité dans sa définition par Roland Bacri, est à peu près synonyme de c langue de Cagayous "· 70. »

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