Devoir de Philosophie

On a souvent considéré la poésie comme le moyen privilégie pour exprimer ses sentiments ou ses émotions. Cette conception est-elle la seule possible? En vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos connaissances, montrez la diversité des fonctions de la poésie.

Publié le 18/09/2010

Extrait du document

 

La poésie est une forme littéraire écrite en vers, et qui se distingue donc de la prose. Le mot « poésie « vient du grec « poiein «, qui signifie « faire, créer «. Elle est un genre unique dans la mesure où c’est presque uniquement par la forme du poème, c’est-à-dire avec le jeu des sonorités, le rythme, la musicalité et les figures, le travail sur les mots, en fait toutes les ressources du langage, que le poète se donne un pouvoir d’invention, dans l’objectif d’exprimer ou de suggérer quelque chose.

A l’origine, la poésie était chantée accompagnée d’une lyre, l’instrument de musique d'Orphée, poète musicien descendu aux Enfers pour y chercher son épouse Eurydice, ce qui a donné naissance à la notion de poésie lyrique. De nos jours, on associe très souvent le registre lyrique à la poésie, ce qui laisse entendre que la poésie traite de l’expression d’un sentiment ou d’une émotion personnelle intense. En effet, dans son œuvre, chaque auteur révèle une partie de lui-même, fait partager ses sentiments ou ses émotions.

On peut néanmoins se demander si l’expression des sentiments personnels rend compte de l’ensemble de la littérature poétique. Dans une première partie, nous verrons donc en quoi la poésie s’associe au lyrisme et est souvent l’expression d’un moi intérieur, c’est-à-dire généralement d’un sentiment amoureux ou d’une mélancolie du souvenir. Puis nous montrerons que la poésie, et notamment la poésie engagée, est en lien avec le monde, et qu’elle est en fait une clé de compréhension du monde. La poésie est alors porteuse d’un discours de l’engagement et  le poète lui-même se veut guide et porte-parole des opprimés. Enfin, nous montrerons que la poésie est également un jeu et une réflexion sur le langage, et tout simplement un texte artistique.

 

La poésie est traditionnellement dévolue à l’extériorisation des vécus intérieurs de la personne et semble bien être le moyen privilégié, notamment par le registre lyrique, de parvenir à cette fin en raison de la richesse de ses moyens sémantiques et phoniques. Elle permet en effet au poète d’exprimer l’authenticité de ses émotions, de sa sensibilité, voire de son intimité, et ce depuis le Moyen Age, où les troubadours chantaient l’amour, jusqu’au XXème siècle avec des poètes tels qu’Aragon et Eluard, pour lesquels le lyrisme est une tonalité majeure de la poésie.

La poésie lyrique est en effet l’expression du moi intérieur, Elle chante le malheur, le bonheur, les doutes et les craintes de l’auteur. Elle lui permet tout particulièrement d’exprimer des émotions intenses et des sentiments. Dans le poème, J’écris, Anna de Noailles écrit : « J’ai dit ce que j’ai vu et ce que j’ai senti. « Par l’utilisation du pronom « je «, le poète se place en position centrale et représente la condition humaine en exprimant ses sentiments, en particulier, dans ce poème, la souffrance. De même, Musset a ainsi pu écrire : « D’un sourire, d’un mot, d’un soupir, d’un regard. Faire un travail exquis, plein de crainte et de charme. Faire une perle d’une larme «. Il considère donc que la poésie est essentiellement lyrique, et qu’elle est reliée à des sentiments. Dans La Nuit de Mai, il complète son propos en écrivant : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux. Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. « Il considère donc que la poésie, du moins ses chefs-d’œuvre, est reliée à des sentiments de mélancolie ou de désespoir, jusqu’à dire que l’inspiration poétique provient de cette souffrance. Louise Labé puisa également pour écrire son œuvre dans son expérience douloureuse de l’amour et dans l’ambigüité du sentiment amoureux, comme l’illustre bien notamment  le sonnet VIII de ses Œuvres de 1555, souvent appelé « Je vis je meurs «, avec à la fois les effets néfastes de la passion et la tyrannie du sentiment amoureux. 

Néanmoins, c’est surtout chez les romantiques que la poésie apparaît comme le moyen privilégié de l’expression des sentiments. Elle y prend alors la forme de l’effusion ou du discours. En effet, leur chef de file, Chateaubriand, dans René, montre véritablement à quel point la poésie est au service des sentiments. René sera bientôt le point central du cliché romantique le mieux connu : « le mal du siècle «. On y retrouve notamment l’expression d’une foi qui met mieux en évidence l’exaltation du sentiment poétique.

L’expression des sentiments est également très forte dans le poème « Demain dès l’aube « de Victor Hugo, mais elle laisse également apparaître une nouvelle vocation de la poésie : son pouvoir d’immortalité. En effet, le dialogue « je «/« tu « fait apparaître une interlocutrice vivante et présente, aussi bien dans la pensée que dans le cœur du narrateur. Si l’on considère le dernier vers du poème, le « bouquet de houx vert et de bruyère en fleurs « que va déposer Hugo sur la tombe de sa fille Léopoldine semble vivre d’une vie éternelle grâce à l’écriture poétique. Le poète crée et souligne ainsi l’éternité grâce à cette image. Ajoutons à cela un récit à la fois harmonieux et douloureux du pèlerinage de Victor Hugo…et sa fille est à jamais préservée de l’oubli. « Demain dès l’aube « est par ailleurs extrait des Contemplations, qui sont considérées comme la plus grande œuvre d’Hugo, car elle mélange de nombreux thèmes tels l’amour, la mort, la joie mais surtout le souvenir, faisant ainsi des Contemplations une œuvre majeure du lyrisme et de l’expression des sentiments.

Il est ainsi très probable que les sentiments intimes qu’Hugo souhaitait faire passer auraient sans doute été moins bien perçus s’il avait écrit un simple roman. Plus que le roman, la poésie fait en effet figure de vrai miroir de l’âme. Chez les romantiques, la poésie permet d’ailleurs au poète de se délivrer de ses maux sentimentaux. Cette idée s’inscrit dans la continuité des textes de la Pléiade, dont le thème principal est l’amour. Ainsi, dans « Sur la mort de Marie « de Pierre de Ronsard, celui-ci utilisait déjà le même procédé d’« éternité par l’écriture poétique «. On retrouve la même intention dans « A une passante « de Charles Baudelaire, où le poète tente de donner un semblant d’éternité à une rencontre éphémère. Mais le poète est souvent aussi un être malheureux, et l’amour n’est pas la seule cause de son désarroi. Il s’agit d’un mal plus abstrait, plus profond : le spleen, un état d’insatisfaction générale de l’âme, une sensation de vide, d’inachèvement, que Baudelaire évoque très souvent comme de « longs ennuis « et une « angoisse atroce «, pour qualifier son mal-être et son mal de vivre. En effet,  quatre des poèmes de Baudelaire seront nommés « Spleen «, une section des Fleurs du Mal se nomme « Spleen et Idéal «, et un recueil posthume a pour nom « le Spleen de Paris «. Dans ce type de poème, la poésie a pour vertu de donner un espoir au poète, à la recherche d’un idéal, d’un monde meilleur, face à ce monde qui le dégoûte. Baudelaire, dans « Elévation «, exprime son désir d’ascension vers un idéal qu’il ne peut trouver sur Terre. Ce besoin  s’accentue davantage peut-être encore chez Mallarmé. Celui-ci, dans Poésies, ressent des tourments tels que seule la mort peut le libérer de son « manque essentiel de vie « et l’amener vers cet idéal dont il a tant besoin : « O Satan, j’ôterai la pierre et me pendrai «. La poésie devient alors plainte élégiaque. Chez Lamartine, l’expression des sentiments se veut plus intimiste : c’est l’effusion lyrique, l’expression directe et souvent complaisante de ses sentiments, laissant simplement deviner au lecteur, en creux, la souffrance du poète, caractéristique du mouvement romantique. Selon lui, la poésie doit être « intime surtout, personnelle…l’écho profond, réel, sincère des plus mystérieuses impressions de l’âme «.

Mais l’expression des sentiments n’est pas la seule vocation de l’art poétique. En effet, la poésie n’est pas uniquement centrée sur la personnalité et les émotions du poète. Elle lui permet aussi de faire le lien entre l'homme et la nature, et de mieux comprendre le monde. La poésie engagée est ainsi un « outil « qui permet au poète d'exprimer ses opinions politiques et d'inciter le lecteur à l'action, afin de changer la société.

Il existe ainsi de nombreux textes poétiques dont le but est avant tout de marquer un engagement fort. Boris Vian, à travers ses chansons « Le Déserteur « et « A tous les enfants « ou même « la Java des bombes atomiques «, dénonce l’infamie de la guerre,  le carnage exercé contre les jeunes soldats et les états-majors peureux«. Il appelle à l’antimilitarisme et rejette  la course aux armements. De même, de nombreux poètes non seulement accordent à la poésie le droit d’être engagée, mais la considèrent même comme l’expression privilégiée de l’engagement. C’est le cas de Victor Hugo, auteur romantique, mais qui considère que la poésie n’est pas un ornement, mais un instrument, jusqu’à penser qu’il incombe au poète de préparer des jours meilleurs, que « la poésie est une étoile qui mène à Dieu, rois et pasteurs «. Il énonce ainsi toute une théorie sur le poète mage, prophète et guide des peuples, en s’opposant notamment à l’empereur Napoléon III (1852-1870) dans « Napoléon le Petit « et surtout dans les Châtiments, qu’il écrit durant son exil volontaire, consécutif au coup d’Etat du 18 brumaire. Lamartine, poète très légèrement antérieur à Hugo, avait déjà appuyé cette théorie : il considère que la poésie peut avoir une influence sur tous les domaines et qu’elle « sera philosophique, religieuse, politique et sociale «. D’après le texte du corpus, extrait de sa réponse à la Némésis qu’il écrit un jour d’élection, on voit que Lamartine se pose en guide et porte-parole des opprimés, car selon lui, il est parfois nécessaire d’abandonner « son « lyrisme pour affirmer les idéaux de liberté et intervenir dans le destin des hommes. On remarque une fois de plus que c’est surtout au XIXème siècle, après la Révolution, chez les Romantiques que la poésie engagée prend son essor.

Lamartine fut d’ailleurs pour un temps un acteur majeur de la vie politique française avant d’échouer  à l’élection présidentielle de 1848. De même, Hugo est considéré comme un des plus grands écrivains français et a marqué l’histoire non seulement de la littérature, mais aussi de la politique française. Il fut le premier écrivain à avoir  des funérailles nationales. Dans la mémoire collective, l’auteur des Contemplations demeure aussi le poète qui s’éleva contre Napoléon III. « Les Châtiments «, qu’il écrit durant son exil, sont l’œuvre majeure de son combat politique  et montrent que la forme poétique renforce particulièrement la puissance de l’argumentation, et permet de susciter chez le lecteur les réactions et les sentiments les plus vifs.

La forme poétique renforce l’expression des sentiments engagés. Dans le poème de Desnos, « ce cœur qui haïssait la guerre « appelle au combat et  témoigne de l’engagement d’hommes dont la vocation n’est pas la guerre. L’intensité des sentiments est très forte, car le poète est partagé entre l’amour de la vie et la défense de la liberté. Ainsi, selon Desnos, le combat pour la liberté mérite de faire taire l’idéologie pacifiste qu’il défend pourtant. Il met ainsi fin à son déchirement intérieur.  Desnos fut ainsi un des poètes de la Résistance. Membre du réseau Action, il dresse dans « le Maréchal Ducono «, poème pamphlétaire et satirique écrit en argot, un portrait virulent du maréchal Pétain. Désormais, grâce à la poésie engagée, le poète n’exprime donc plus seulement ses sentiments personnels et ne se contente plus de donner son opinion : il agit pour transformer une société qui le révolte. On a donc vu que la poésie engagée peut également aider à la poète à susciter une action et à éveiller la conscience de ses contemporains.

Mais les poètes engagés ne cherchent pas seulement à exprimer leurs opinions politiques, mais aussi leur amour de la liberté. Paul Eluard, lui-même également poète de la Résistance, dans un de ses plus célèbres poèmes, Liberté (extrait de Poésie et Vérité), nous fait comprendre la notion de liberté à travers une série d’images abstraites. En effet, le mot Liberté est le dernier mot du poème, le «mot de la fin «, alors qu’il ne cesse d’ « écrire son nom «. Ce recueil, paru en 1942, composé de poèmes de luttes…pour la liberté, eut une influence sur les combattants et contribua à maintenir l’espérance de la victoire. Ainsi, comme on le faisait pour les armes et les munitions, le poème Liberté a été, à l’époque, parachuté dans les maquis.  Paul Eluard expliquera d’ailleurs la poésie engagée par le fait que, selon lui, les poètes sont « des hommes comme les autres «. Ils doivent, lorsqu’ils s’opposent et sont « révoltés « par la société  s’engager en suscitant l’engagement des autres grâce à l’écriture poétique. Selon Eluard, le poète est en fait un homme d’action, qui trouve au service de son engagement toute la puissance de sa poésie, dans laquelle il voit le moyen le plus approprié pour mener la lutte.

 

Mais, bien qu’elle puisse exprimer des opinions politiques et idéologiques, la poésie est également un jeu du langage. C’est en jouant sur les sons et les mots, c’est grâce aux sonorités et au rythme que le poète parvient à susciter une réaction chez le lecteur. En effet, au premier regard, la poésie est un jeu de mots : le poète veut briser les règles du langage en société. Il joue sur les sonorités, le rythme et les rimes.

 

Les rimes peuvent être plates (aabb), croisées (abab) ou embrassées (abba).  Les sonorités, par exemple les assonances (répétition d’un son voyelle) furent très employés dans la poésie médiévale, jusqu’à remplacer les rimes dans la Chanson de Roland, qui est pourtant un des poèmes médiévaux les plus connus. De même, de nombreux poème d’Apollinaire, extraits d’Alcools, contiennent beaucoup d’assonances, qui leur confèrent une grande musicalité. L’assonance fut d’ailleurs particulièrement pratiquée et prônée par les poètes du XIXème siècle : « Rimez faiblement, assonez si vous voulez, mais rimez ou assonez, pas de vers français sans cela « (Verlaine). En 1894, Verlaine écrit un poème consacré à la défense de cette figure, Vers en assonances, où il prouve la force harmonique de celle-ci. De même, l’allitération (répétition d’un son consonne) est une figure de style qui a une forte harmonie imitative, c’est-à-dire que les allitérations évoquent le sujet ou les thèmes traités dans le texte même. On prendra pour exemple ce célèbre vers de Racine : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes « (Andromaque, Jean Racine) : L’allitération en « s «, dans ce vers, imite le sifflement des serpents dont il est question. On peut également citer les rejets, enjambements et contre-rejets. Hugo, dans les Châtiments, « arriva « d’ailleurs à composer deux vers avec enjambement, rejet et contre-rejet, pour critiquer Napoléon : « L’empereur se tourna vers Dieu ; l’homme de gloire

Trembla, Napoléon comprit qu’il expiait… «

On a enfin différents types de vers tels l’octosyllabe (8), le décasyllabe (10) et l’alexandrin en particulier, mais aussi des vers libres. 

 

On peut également citer des jeux sur les formes, avec les strophes, les sonnets en décasyllabes et en alexandrins, réguliers (abba abba ccd eed) ou irréguliers comme « le dormeur du val «, ou même au niveau de la disposition graphique avec les calligrammes d’Apollinaire.

Enfin, on peut citer le jeu sur le sens des mots. En effet, une vertu de la poésie est de pouvoir donner une signification à tout, notamment avec les comparaisons et les métaphores. Prenons l’exemple de Francis Ponge qui joue sur les mots de manière très particulière (notamment dans le Parti pris des choses) : chez lui, l’évocation de l’objet n’est qu’un prétexte pour jouer avec le langage avec des jeux de sens et de sonorités, il est un prétexte à la création poétique. Ainsi, le poète, grâce à ses jeux de mots et surtout à sa poésie en prose, veut nous faire comprendre que l’objet le plus banal contient en réalité tout un monde et souvent quelque chose de très précieux : l’huitre, pourtant « de la grosseur d’un galet moyen, d’une apparence plus rugueuse et d’une couleur moins unie «, contient ainsi tout un monde, parfois même « une perle «. De même, le cageot, objet méprisable, contient des denrées fondantes ou nuageuses et est un objet des plus sympathiques. L’objet devient alors un objet de jeu avec la langue, un ob-jeu.

 

Ponge, à travers son jeu et sa réflexion sur le langage, veut rénover la langue et refuse un langage purement instrumental, celui qui consiste à la simple désignation des choses. Il est fasciné par l'aspect visuel et sonore des mots. Pour lui, les mots sont des choses : son travail consiste à produire des objets de langage qui soient analogiques aux objets du monde réel. Chez Ponge, le fonctionnement du langage est particulier : le mot n'est pas inséré dans le texte en fonction de son référent mais en fonction des liens graphiques, phonétiques et sémantiques qu'il entretient avec les autres signes. On relève également une certaine forme d’humour dans la mesure où Ponge promeut des objets totalement insignifiants, et, dans sa « plaidoirie « du téléphone, fait même un parallèle entre le téléphone et la femme.

 

La poésie est donc à la fois le moyen privilégié d’expression des sentiments, mais elle est aussi le moyen privilégié de susciter des sentiments. Elle combine à la fois les sonorités et les mots d’une langue pour attirer le lecteur, évoquer des images, suggérer des émotions, des sensations. L’art poétique a de nombreuses vocations, mais la poésie reste un art qui, tout simplement, s’écoute, et qui peut nous aider à mieux comprendre le monde.

Liens utiles