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Spinoza: Etat, humanisation et liberté

Publié le 18/04/2009

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spinoza
« Ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre que l'État est institué; au contraire c'est pour libérer l'individu de la crainte, pour qu'il vive autant que possible en sécurité, c'est-à-dire conserve, aussi bien qu'il se pourra, sans dommage pour autrui, son droit naturel d'exister et d'agir. Non, je le répète, la fin de l'Etat n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'État est donc en réalité la liberté. » Spinoza, Traité théologico-politique, Ch. XX (GF p.329)

(Dans les quelques lignes données à étudier, tirées du chapitre sur lequel s’achève le Traité) Spinoza traite la question de la finalité de l’institution de l’Etat: il s’agit pour lui d’établir si l’Etat a été (effectivement, ainsi que le pense ... Hobbes) institué pour soumettre l’homme, càd "pour tenir l’homme par la crainte et faire qu’il appartienne à un autre " ou bien pour assurer sa liberté.    L’enjeu d’une telle question est considérable quant à l’idée que l’on se fera de l’État. Selon que l’on considère en effet dans un cas que le pouvoir de l’État annule la liberté qu’aurait, originairement, tout individu à disposer de soi- même ou dans l’autre cas qu’il garantit l’exercice conjoint d’une telle liberté pour tous, l’existence de l’État aura une signification radicalement différente. Dans un cas il apparaîtra comme étant une force repressive - telle celle se présentant chez Hobbes sous les traits monstrueux du Leviathan -, dans l’autre il apparaîtra comme l’intermédiaire positif qui permet aux hommes d’épanouir conjointement leur capacités, sans se nuire les uns aux autres.  

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« politique et religieuse de son temps. On observera qu'à l'époque de la publication du Traité Théologico-politique, les querelles religieuses tiennent unegrande place dans la vie sociale en Hollande et que les églises calvinistes, partout où l'autorité civile subissaitfortement leur influence, se montraient fort enclines à l'intolérance contre les religions rivales.

Les historienshollandais (en particulier Hylkema - Réformateurs et Meinsma - Spinoza en ziju Kring nous font connaître un grandnombre de mesures prises contre les Sociniens, les Quakers, les Mennonites; les Etats de Frise prononcent contreeux une interdiction de séjour et prononcent une récompense à qui les dénoncera...Le Magistrat d'Amsterdam, en1664, interdit aux Mennonites de prêcher des doctrines sociniennes; ailleurs ce sont les assemblées de fidèles quel'on interdit.

Et sans doute des mesures paraissent inoffensives en regard des persécutions qui, dans d'autres pays,frappaient les dissidents dans leurs biens, leur liberté, leur vie.

La Hollande restait en Europe le pays de la toléranceet, malgré les efforts des calvinistes, qui, dans leurs écrits, réclamaient l'intervention du pouvoir temporel enmenaçaient l'Eglise et l'État de tomber dans le plus affreux chaos : " si le juge et le prêtre, comme autrefois Moïseet Aaron, ne marchaient pas la main dans la main, si le glaive ne s'unissait pas à la parole pour combattre l'hérésie(Cf Hymkerma, Réformateurs, vol.

I, 180).

On pouvait craindre que la liberté de penser dont jouissait la Hollande nevint à être abolie en cas que le parti calviniste triomphât. On comprend que, dans un tel contexte, Spinoza soucieux d'un libre exercice de la pensée, se soit employé à fairevaloir sa théorie de l'État, conçu et posé comme garant des libertés individuelles! Ne doit-on pas considérer que Spinoza non content de réagir à une situation de fait, s'oppose par ailleurs à unethéorie qui aurait pour effet de justifier la perte par les hommes de leur liberté individuelle du fait de leur vie encommun, placée sous l'autorité de l'État? Lorsqu'il écrit que "ce n'est pas pour tenir l'homme par la crainte et faire qu'il appartienne à un autre que l'État estinstitué" ou encore que "La fin de l'État n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'être raisonnables àcelle ...d'automates.",ne peut-on pas considérer que Spinoza vise une conception précise qu'il s'efforceraitd'infirmer? Quel penseur connu de Spinoza, aurait parlé de "tenir l'homme dans la crainte", de "faire qu'il appartienneà un autre" ou encore de faire des hommes des "automates" et aurait tenu tout cela pour nécessaire afin que soitassurée la sécurité des biens et des personnes au détriment de leur liberté? Un philosophe célèbre correspond parfaitement à un tel cahier des charges théorique.

Il s'agit de Thomas Hobbes,auteur en 1642 du De Cive et en 1651 du Léviathan .Nous savons que Spinoza a lu son oeuvre.

Et nous savons queThomas Hobbes considère que les hommes, avant l'institution de l'État, constituaient un danger permanent les unspour les autres et qu'ils ont du renoncer à leur liberté individuelle à charge pour l'État d'assurer leur sécurité. Voici ce qu'écrit en effet Hobbes dans le Léviathan, au ch 17 p.177-178 : " La cause finale, le but, le dessein, quepoursuivirent les hommes, eux qui par nature aiment la liberté et l'empire exercé sur autrui, lorsqu'ils se sont imposédes restrictions au sein desquelles on les voit vivre dans les Républiques, c'est le souci de pourvoir à leur proprepréservation et de vivre plus heureusement par ce moyen: autrement dit, de s'arracher à ce misérable état deguerre qui est, je l'ai montré, la conséquence nécessaire des passions naturelles des hommes, quand il n'existe pasde pouvoir visible pour les tenir en respect, et de les lier, par la crainte des châtiments, tant à l'exécution de leursconventions qu'à l'observation des lois de nature.La seule façon d'ériger un tel pouvoir commun, apte à défendre lesgens de l'attaque des étrangers, et des torts qu'ils pourraient se faire les uns aux autres, et ainsi à les protéger detelle sorte que par leur industrie et par les productions de la terre, ils puissent se nourrir et vivre satisfaits, c'est deconfier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une seule assemblée, qui puisse réduire toutesleurs volontés, par la règle de la majorité, en une seule volonté.

Cela revient à dire: désigner un homme, ou uneassemblée, pour assumer leur personnalité; et que chacun s'avoue et se reconnaisse comme l'auteur de tout cequ'aura fait ou fait faire, quant aux choses qui concernent la paix et la sécurité commune, celui qui a ainsi assuméleur personnalité, que chacun par conséquent soumette sa volonté et son jugement à la volonté et au jugement decet homme ou de cette assemblée.

Cela va plus loin que le consensus, ou concorde: il s'agit d'une unité réelle detous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passée de tellesorte que c'est comme si chacun disait à chacun: j'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonnemon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutesses actions de la même manière.

Cela fait, la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée uneRÉPUBLIQUE, en latin CIVITAS.

Telle est la génération de ce grand LÉVIATHAN, ou plutôt pour en parler avec plus derévérence, de ce dieu mortel, auquel nous devons, sous le Dieu immortel, notre paix et notre protection.

" Il parle bien de faire que les hommes se soumettent à l'État par la crainte.

Notons par ailleurs que Hobbes parleexplicitement d'automates dans l'introduction au Léviathan, quand bien même il le fait ( à la différence de Spinoza)pour parler de l'État lui-même et non des citoyens qui lui sont soumis. "La nature, cet art par lequel Dieu a produit le monde et le gouverne, est imitée par l'art de l'homme en ceci commeen beaucoup d'autres choses, qu'un tel art peut produire un animal artificiel.

En effet, étant donné que la vie n'estqu'un mouvement des membres, dont le commencement se trouve en quelque partie principale située au dedans,pourquoi ne dirait on pas que tous les automates (c'est à dire les engins qui se meuvent eux-mêmes, comme le faitune montre, par des ressorts et des roues), possèdent une vie artificielle.

Car qu'est ce que le coeur, sinon unressort, les nerfs, sinon autant de cordons, les articulations, sinon autant de roues, le tout donnant le mouvement àl'ensemble du corps conformément à l'intention de l'artisan ? Mais l'art va encore plus loin, en imitant cet ouvrage. »

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