Devoir de Philosophie

Spinoza: Peut-on à la fois obéir et être libre ?

Publié le 16/03/2006

Extrait du document

spinoza
[...] On estime esclave celui qui agit par commandement et libre celui qui gère sa vie à sa guise ; ce qui cependant n'est pas absolument vrai. Car en vérité, celui que son désir entraîne ainsi et qui est incapable de voir ce qui lui est utile et de le faire, est au plus haut point un esclave ; seul est libre celui qui vit de tout coeur uniquement sous la conduite de la raison. Une action faite par commandement, c'est-à-dire l'obéissance, supprime bien la liberté d'une certaine façon, mais elle ne rend pas sur-le-champ esclave : c'est le principe de l'action qui rend tel. Si la fin de l'action n'est pas l'utilité de celui-là même qui agit mais de celui qui commande, alors l'agent est esclave et inutile à soi-même. Mais dans une république et un État où le salut du peuple tout entier, et non pas celui du chef, est la loi suprême, celui qui obéit en tout au pouvoir souverain ne doit pas être appelé un esclave inutile à soi-même, mais un sujet. Donc est la plus libre la république dont les lois sont fondées sur la saine raison car là, chacun peut être libre quand il veut, c'est-à-dire vivre de tout coeur sous la conduite de la raison. Ainsi encore des enfants, même tenus d'obéir à tous les ordres de leurs parents, ne sont pourtant pas esclaves, car les commandements des parents concernent principalement l'utilité des enfants. Nous reconnaissons donc une grande différence entre l'esclave, le fils et le sujet, et nous les définissons ainsi : l'esclave est celui qui est tenu d'obéir aux ordres d'un maître, ordres qui ne concernent que l'utilité de celui qui commande. Le fils est celui qui fait, par ordre de son père, ce qui lui est utile. Le sujet, enfin, est celui qui fait, par ordre du souverain, ce qui est utile à la communauté et, par conséquent, à lui aussi.

Dans un texte consacré aux thèmes de l'esclavage et de la liberté, Spinoza se demande si les définitions communes de ces deux réalités sont pertinentes, c'est-à-dire si l'esclavage consiste dans l'obéissance et la liberté dans le bon plaisir. A travers cette question, il soulève deux problèmes conjoints : l'indépendance suffit-elle pour se dire libre, puisqu'on peut devenir l'esclave de ses plaisirs ? La soumission sociale fait-elle esclave, puisqu'il ne semble pas que tous ceux qui obéissent soient déclarés tels ? Ces deux problèmes se ramenant ainsi à un seul : y a-t-il des soumissions légitimes? En prenant en compte à la fois les mobiles de l'action d'un point de vue psychologique et les fins de cette action du point de vue de ces bénéficiaires, Spinoza va s'opposer à l'opinion en soutenant qu’il existe des soumissions légitimes parce qu’elles rendent libres, lorsque c’est à la Raison que l’on se soumet, ou parce qu’elles sont utiles à ceux qui sont soumis, et ce, en critiquant successivement les définitions de l'homme libre et de l'esclave donnée par l'opinion. Une fois cette double thèse expliquée, nous tâcherons d’en éprouver la pertinence.

spinoza

« 2 Perd-on sa liberté en obéissant ?3 Pourquoi celui qui est captif de son plaisir n'est-il pas libre ? Réponses: 1 - À vivre sous la conduite de la raison, sans être esclave de ses plaisirs ni de ses désirs, sans vivre sous la domination d'autrui.2 - Uniquement si le but de l'action commandée concerne l'intérêt exclusif de celui qui commande, plutôt que l'intérêt de tous oude celui qui est commandé.3 - Parce qu'il est incapable de rien comprendre ni de rien accomplir qui lui soit vraiment utile. QUESTIONNEMENT INDICATIF • Que signifie « cela n'est pas absolument vrai »? Cela signifie-t-il que c'est totalement faux ou que c'est vrai à unecertaine condition, relativement à une condition ?• A quelle(s) condition(s) peut-on être « vraiment » libre selon Spinoza ?• En quoi peut-on dire, selon Spinoza lui-même, que l'obéissance « ôte bien d'une certaine manière la liberté »?• En quoi « c'est la raison de l'action »...

qui « rend immédiatement esclave » ?• Quel est le sens de « sujet » ici ?• Pourquoi, selon Spinoza, chacun dans l'État « qui se soumet à la droite raison » « peut y être libre »?Y est-il nécessairement « libre »?• Pourquoi, finalement, « l'État le plus libre est celui qui se soumet à la droite raison »?• Que pensez-vous de l'argumentation et de la thèse de Spinoza ? Sur quoi est-elle fondée, en dernière analyse ?• Qu'est-ce qui est en jeu dans ce texte ?— En quoi présente-t-il un intérêt proprement philosophique ? Dans un texte consacré aux thèmes de l'esclavage et de la liberté, Spinoza se demande si les définitions communes de ces deux réalités sont pertinentes, c'est-à-dire si l'esclavage consiste dans l'obéissance et la libertédans le bon plaisir.

A travers cette question, il soulève deux problèmes conjoints : l'indépendance suffit-elle pour sedire libre, puisqu'on peut devenir l'esclave de ses plaisirs ? La soumission sociale fait-elle esclave, puisqu'il ne semblepas que tous ceux qui obéissent soient déclarés tels ? Ces deux problèmes se ramenant ainsi à un seul : y a-t-il dessoumissions légitimes? En prenant en compte à la fois les mobiles de l'action d'un point de vue psychologique et lesfins de cette action du point de vue de ces bénéficiaires, Spinoza va s'opposer à l'opinion en soutenant qu'il existedes soumissions légitimes parce qu'elles rendent libres, lorsque c'est à la Raison que l'on se soumet, ou parcequ'elles sont utiles à ceux qui sont soumis, et ce, en critiquant successivement les définitions de l'homme libre et del'esclave donnée par l'opinion.

Une fois cette double thèse expliquée, nous tâcherons d'en éprouver la pertinence. L'auteur énonce d'emblée l'opinion commune qu'il a pour objectif de corriger.

" On pense que l'esclave est celui quiagit par commandement et l'homme libre celui qui agit selon son bon plaisir." Ainsi que l'indique l'expression " onpense ", Spinoza ne propose pas ici "sa" définition de l'esclavage et de la liberté, mais expose la définition communede ces deux choses.

Aussi pouvons-nous déjà anticiper sur la suite de son propos : il s'agira pour lui de critiquer cesdéfinitions, critiquer, c'est-à-dire au sens strict séparer, distinguer ce qui dans ces définitions a de la valeur de cequi n'en a pas.

L'opinion commune se représente et distingue l'esclavage et la liberté d'un point de vue social : selonelle, l'esclave est celui qui obéit à un autre, tandis que l'homme libre est celui qui n'obéissant à personne peut fairece qu'il veut, comme on dit.

A savoir : agir à sa guise, n'écouter que lui-même, et par là, jouir sans entraveextérieure de tout ce qui s'offre à lui.

Ces définitions ne manquent ni de vraisemblance, ni de cohérencepuisqu'effectivement celui qui est soumis à un autre n'est pas libre de faire ce que bon lui semble, tandis que celuiqui ne dépend de personne en a le loisir.

Il faut noter en outre d'une part qu'une telle définition de l'homme libren'exclut pas qu'il puisse exercer un pouvoir sur d'autres, et surtout, d'autre part qu'ainsi compris, l'esclavagerecouvre un très grand nombre de relations humaines : au-delà de la relation bien connue entre un maître et unesclave, il se retrouverait partout où sous une forme quelconque il existe un pouvoir, une autorité, une hiérarchiepar lesquels un être agit sous le commandement d'un autre.

En d'autres termes, l'opinion fait consister la libertédans l'indépendance sociale et l'esclavage dans la dépendance, la soumission, l'obéissance. " Cela cependant n'est pas absolument vrai ".

Sans nier que ces définitions comprennent quelque chose d'exact,Spinoza entame sa critique en contestant leur caractère absolument exact.

Cela signifie qu'il va les nuancer et lescompléter, et ce, en deux temps distincts, chacun étant consacré à une des deux réalités en question. L'homme libre n'est pas vraiment celui qui agit selon son bon plaisir, " car en réalité être captif de son plaisir etincapable de rien voir ni faire qui nous soit vraiment utile, c'est le pire esclavage ".

Cet argument de Spinozaconsiste non pas tant à nier comme telle la définition commune de l'homme libre, mais à changer de point de vue :ce n'est pas du point de vue social qu'il se situe, mais du point de vue psychologique.

Reprenant les termes mêmes. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles