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Spinoza: Religion, culte et superstition

Publié le 18/04/2009

Extrait du document

spinoza
«Les préjugés dont je veux parler ici dépendent tous de cet unique point, que les hommes supposent communément que tous les êtres de la nature agissent comme eux pour une fin ; bien plus, ils tiennent pour certain que Dieu même conduit toutes choses vers une certaine fin déterminée. Dieu, disent-ils, a tout fait pour l'homme, et il a fait l'homme pour en être adoré. Il me suffit pour le moment de poser ce principe dont tout le monde doit convenir, savoir que tous les hommes naissent dans l'ignorance des causes, et qu'un appétit universel dont ils ont conscience les porte à rechercher ce qui leur est utile. Une première conséquence de ce principe, c'est que les hommes croient être libres, par la raison qu'ils ont conscience de leurs volitions et de leurs désirs, et ne pensent ement aux causes qui les disposent à désirer et à vouloir. Il en résulte, en second lieu, que les hommes agissent toujours en vue d'une fin, savoir, leur utilité propre, objet naturel de leur désir ; et de là vient que pour toute les actions possibles ils ne demandent jamais à en connaître que les causes finales, et dès qu'ils les connaissent, ils restent en repos, n'ayant plus dans l'esprit aucun motif d'incertitude ; que s'il arrive qu'ils ne puissent acquérir cette connaissance à l'aide d'autrui, il ne leur reste plus d'autre ressource que de revenir sur eux-mêmes, et de réfléchir aux objets dont la poursuite les détermine d'ordinaire à des actions semblables ; et de cette façon il est nécessaire qu'ils jugent du caractère des autres par leur propre caractère. Or, les hommes venant à rencontrer hors d'eux et en eux-mêmes un grand nombre de moyens qui leur sont d'un grand secours pour se procurer les choses utiles, par exemple les yeux pour voir, les dents pour mâcher, les végétaux et les animaux pour se nourrir, le soleil pour s'éclairer, la mer pour nourrir les poissons, etc., ils ne considèrent plus tous les êtres de la nature que comme des moyens à leur usage ; et sachant bien d'ailleurs qu'ils ont rencontré, mais non préparé ces moyens, c'est pour eux une raison de croire qu'il existe un autre être qui les a disposés en leur faveur […] d'où ils ont été amenés à croire que si les dieux règlent tout pour l'usage des hommes, c'est afin de se les attacher et d'en recevoir les plus grands honneurs ; et chacun dès lors a inventé, suivant son caractère, des moyens divers d'honorer Dieu, afin d'obtenir que Dieu l'aimât d'un amour de prédilection, et fît servir la nature entière à la satisfaction de ses aveugles désirs et de sa cupidité insatiable. Mais tous ces efforts pour montrer que la nature ne fait rien en vain, c'est-à-dire rien d'inutile aux hommes, n'ont abouti qu'à un résultat, c'est de montrer que la nature et les dieux et les hommes sont privés de raison. Et voyez, je vous prie, où les choses en sont venues! Au milieu de ce grand nombre d'objets utiles que nous fournit la nature, les hommes ont dû rencontrer aussi un assez bon nombre de choses nuisibles, comme les tempêtes, les tremblements de terre, les maladies, etc. Comment les expliquer ? Ils ont pensé que c'étaient là des effets de la colère des dieux, provoquée par les injustices des hommes ou par leur négligence à remplir les devoirs du culte. C'est en vain que l'expérience protestait chaque jour, en leur montrant, par une infinité d'exemples, que les dévots et les impies ont également en partage les bienfaits de la nature et ses rigueurs, rien n'a pu arracher de leurs âmes ce préjugé invétéré. Il leur a été en effet plus facile de mettre tout cela au rang des choses inconnues dont les hommes ignorent la fin et de rester ainsi dans leur état actuel et inné d'ignorance, que de briser tout ce tissu de croyances et de s'en composer un autre.» Spinoza, Éthique, Appendice de la partie I.
  • Introduction

Par définition, admettre la finalité c’est d’une part admettre que rien dans la nature n’arrive par hasard, sans but, et d’autre part que les évènements sont le résultat de la volonté divine. Dans ce texte Spinoza s’attaque au fondement de la pensée aristotélicienne, à l’idée que « la nature ne fait rien en vain «, qui développée par la pensée scolastique, implique qu’elle ait pour fonction d’être utile à l’homme, que celui-ci soit au centre du monde, et que Dieu utilise la nature comme un instrument pour le satisfaire. Spinoza va dans un 1er temps montrer d’où provient cette idée, et dans un 2nd temps pourquoi cette idée est fausse.

  • Mouvement du texte

Dans le 1er §, Spinoza pose sa thèse, à savoir que l’idée de finalité provient du fait que les hommes ignorant la véritable cause de leurs actions, imaginent que c’est leur volonté qui agit, et limitent leur compréhension d’une action à l’utilité qu’elle vise. Se considérant comme des êtres libres, ils estiment avoir compris lorsque l’utile leur est connu. De plus, comme souvent ils ne parviennent pas à trouver en autrui les raisons de leurs actions, ils ont coutume de calquer à partir d’eux les motifs des actions des autres. Agissant toujours en vue d’une fin « ils ne considèrent plus tous les êtres de la nature que comme des moyens à leur usage «.

 

spinoza

« recherche du profit.

Ce préjugé entraîne la superstition et fait chuter la religion au niveau le plus bas. Dans le 2nd §, Spinoza montre que l'idée qui veut que la nature ne fasse « rien d'inutile aux hommes » est faussecar elle nous fait imaginer que tout, y compris les catastrophes, a lieu en vue de nous, et donc que les dieuxmanifestent des sentiments comme la colère à travers elles.

Or « les tempêtes, les tremblements de terre, lesmaladies, etc.

» s'abattent indifféremment sur les bons et les méchants, frappant ceux qui ne les ont pas méritées.De plus l'idée de finalité tenant souvent lieu de réponse pour éviter d'avoir à penser entraîne un état d'ignorancechez ceux qui le suivent.

C'est l'instrument utiliser par les autorités religieuses pour agir sur les esprits faibles.

Pourelles, chercher à comprendre, c'est commencer à désobéir. Conclusion Pour Spinoza, il n'y a pas de finalité dans la nature.

Cela signifierait en effet qu'il existe une distance entre ce dontDieu a l'idée et ce qu'il fait exister.

Dieu aurait une sorte de modèle idéal qu'il concevrait d'abord dans son esprit etauquel il donnerait ensuite l'existence.

Or pour Spinoza, il n'existe pas en Dieu comme chez l'homme une différenceentre la puissance et l'acte.

En voyant Dieu à travers des conceptions et des mobiles purement humains, nousdiminuons sa puissance.

De plus le concept de finalité impliquerait que Dieu serait dans une situation de manque,puisqu'il ne reçoit pas le culte qu'il demande, donc que Dieu dépendrait d'une certaine manière des hommes. Intérêt philosophique L'intérêt philosophique de ce texte est tout d'abord de montrer les points de divergence entre Spinoza et Aristote.Pour Aristote, tout être naturel poursuit un objectif, une fin naturelle, et c'est en la comprenant que nous lecomprenons.

La nature pour Aristote ne se caractérise pas par le fait qu'elle est composée de matière, mais par lefait qu'elle est habitée par de la finalité.

Tout être naturel poursuit un objectif, une fin naturelle, et c'est en lacomprenant que nous le comprenons.

Pour Spinoza, c'est la substance qui nous détermine: Dieu nous a donné uneessence qui correspond à une idée qu'il se fait de lui-même.

Nous ne pouvons en changer, la seule chose qui soit ennotre pouvoir c'est d'accomplir toutes les potentialités contenues dans notre essence.

Etre parfait, c'est serapprocher le plus possible de l'idée que la substance a de nous.

Pour Spinoza, Dieu est la cause immanente de toutce qui arrive ; il est l'intérieur du monde.

Il se confond avec l'univers lui-même :" Deus sive Natura " (Dieu, c'est-à-dire la Nature).

Du coup la liberté comme la volonté doivent être pensées à partir de lui et non plus à partir de nousmême.

C'est Dieu qui agit à travers nous, alors que nous croyons être maîtres de notre vie et de nos actes.

Laliberté n'est donc pas comme pour Aristote, la faculté d'agir sans contrainte, en pleine connaissance de cause, ensuivant cette instance autonome du jugement que nous appelons volonté, et à " calculer " les éléments capables denous faire effectuer nos projets.

Pour Spinoza, être libre c'est reconnaître que nous sommes une idée de Dieu etchoisir de réaliser cette idée. Ensuite, en soulignant l'anthropomorphisme de l'esprit humain, ce texte s'inscrit dans une longue lignée de penséesur la religion.

Le présocratique Xénophane a été un des 1ers a affirmer que nous concevons l'action de Dieu sur lemode de l'action humaine, c'est à dire, comme intentionnelle (« si les bœufs, les chevaux et les lions avaient desmains, ils peindraient leurs dieux comme des bœufs, des chevaux et des lions »).

L'idée sera développée parMontesquieu au 18ième siècle ("Si les triangles faisaient un Dieu, ils lui donneraient trois côtés») puis par AugusteComte (les 3 âges de l'esprit humain) et Feuerbach (" Dieu est l'intériorité manifeste, le soi exprimé de l'homme") au19ième.

De même, l'idée que la croyance en un Dieu transcendant est utilisée par les autorités religieuses pour agirsur les esprits faibles sera elle aussi reprise par Karl Marx avec sa formule "La religion est l'opium du peuple". Enfin ce texte pose la question cruciale de l'existence du mal qui amènera Leibniz a écrire une théodicée(justification de Dieu).

Pour Leibniz, «les tempêtes, les tremblements de terre, les maladies, etc.

», trouvent leurexplication et leur justification dans l'harmonie du tableau de l'univers.

« Les défauts apparents du monde entier, cestaches d'un soleil dont le nôtre n'est qu'un rayon, relèvent sa beauté bien loin de la diminuer ».

Si le plus grandensemble est celui qui comporte le plus grand nombre d'éléments, le plus bel ensemble n'est pas toujours celui dontchaque élément, envisagé séparément, est le plus beau.

Pour mettre en valeur un diamant dans une parure, il fautjustement que le fond ne soit pas lui-même en diamant.

Quel mérite y aurait-il à être vertueux dans un monde où ilserait impossible de faire le mal ? La vertu n'a de valeur qu'en tant qu'elle doit résister au mal moral.

Quoi qu'en aitdit Voltaire, le meilleur des mondes n'est pas le monde parfait, puisque c'est en raison même de ses harmonieusesimperfections qu'il est optimal.

Pour Leibniz, le monde est issu d'un calcul infini sur la maximalisation du bien, et nousne pouvons pas vérifier les comptes de Dieu car nous ne voyons qu'une toute petite partie de l'univers, or qui neverrait qu'une toute petite partie d'un tableau admirable, n'y trouverait qu'un amas informe de peinture.. »

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