Si la technique est libératrice, de quoi nous libère-t-elle ?

« La technique, libératrice multiforme Lorsqu'une nouvelle technique apparaît, on se plaît à souligner les besoins qu'elle satisfait et les servitudes dont ellelibère ses utilisateurs. • La technique est issue du besoinLe développement de la technique répond avant tout à des besoins : c'est parce qu'il est confronté à des obstacleset à un environnement hostile que l'homme développe les premières techniques.

La technique est donc libératricedans la mesure où elle permet une vie plus sûre. • La technique multiplie les possiblesLa technique, par sa nature et son mode de développement, consiste aussi à multiplier les possibilités d'action :pour obtenir un résultat donné, la technique fournit des moyens variés et différenciés.

Elle apporte donc le choix làoù n'existait qu'une seule possibilité. • La technique libère-t-elle l'homme de ses conditions naturelles d'existence ?On pourrait se demander jusqu'à quel point la technique nous libère de nos conditions naturelles de vie, jusqu'à quelpoint elle peut les transformer : remettant en question les structures les plus fondamentales de l'existence humaine,certaines techniques ne risquent-elles pas d'ébranler notre compréhension de la liberté qui est celle d'êtres dotésd'une certaine nature? II.

Liberté ou facilités ? La multiplication infinie des possibles, si elle résout des problèmes et permet des actions plus variées, fait-elle pourautant de nous des hommes libres ?• La technique n'apporte qu'une libération relativeOn peut d'abord rappeler le fait bien connu des inconvénients liés à la technique, en termes de conséquencessecondaires et de temps passé au service de la technique elle-même (entretien, etc.).

La dépendance à l'égardd'une technique sans laquelle on ne sait plus résoudre les problèmes est souvent évoquée, comme une source deservitude. • La technique améliore-t-elle le discernement ?Si la technique multiplie les possibilités, il reste nécessaire de choisir entre ces possibilités, et la technique ne fournitpas elle-même le choix.

Or être libre ce n'est pas pouvoir choisir mais choisir effectivement et avec discernement.La multiplication des techniques risque de ne pas favoriser la pratique de ce discernement. • Facilité et conscience de la libertéEnfin, si la technique est porteuse de facilité, elle peut paradoxalement nuire par là même à notre compréhension dela liberté : nous ne prenons conscience de ce qu'est la liberté qu'en fonction des obstacles que nous rencontrons etdont nous devons nous libérer.

Notre liberté est toujours en chemin.

Or un environnement technique omniprésentpeut risquer de brouiller cette conscience. III.

La liberté est-elle un problème technique ? Lorsqu'on dit que la technique est libératrice, ne risque-t-on pas de croire qu'elle nous dispense de la recherche dela liberté qui est identique à l'existence elle-même ? Le rêve et la réalitéPaul Valéry évoquait la technique en disant que l'homme est cet être doté de l'inquiétante faculté de produire lesmoyens de réaliser tous ses rêves.

Or la psychanalyse a bien mis en évidence le fait qu'il n'y a de maturationvéritable de la liberté qu'à travers l'apprentissage du deuil à l'égard de certains désirs, notamment celui de toute-puissance.

L'esprit de la technique peut produire l'illusion d'une toute-puissance possible. • La fin et les moyensPar ailleurs, la technique produit toujours des moyens mais il nous reste à savoir ce que nous voulons en faire.

Êtrelibre, c'est savoir donner forme à son existence, savoir se tenir debout; or la technique n'est, sur ce point, d'aucunsecours. • Le temps de la vieEnfin, il est une dimension de notre liberté que la technique ne peut modifier : notre existence se joue ici etmaintenant à travers des rencontres uniques avec d'autres individus.

La liberté se construit non seulement par desactes mais également à travers des relations, des engagements, des fidélités.

Les techniques de communicationpeuvent en être un auxiliaire précieux aussi bien qu'un facteur de dispersion et de superficialité; elles ne peuventnouer la relation à notre place. Conclusion Il n'est donc pas question de contester la richesse de la technique et les améliorations considérables qu'elle met au. »