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Le temps se réduit-il à la durée ?

Publié le 22/07/2005

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En effet, on ne peut mesurer qu à condition de pouvoir transporter un certain nombre de fois, et autant qu'il le faudra, l'étalon-unité dans un milieu homogène. Pour mesurer, par exemple, le sentiment de l'effort, il faudrait pouvoir transposer rigoureusement des termes de conscience en termes d'espace. Pour pouvoir mesurer la durée d'une sensation (et non le temps d'application de l'excitant), il faudrait qu'il y ait, non pas simultanéité entre la cause physique de la sensation et la sensation elle-même, mais identité. Or, peut-on seulement parler de simultanéité en ce domaine ? C'est encore abusivement qu'on emploie ce terme à propos de la durée pure : s'il y a simultanéité pour l'observateur impartial qui remarque une coïncidence entre le stimulus et les manifestations physiologiques et mimiques de la sensation, cette simultanéité ne compte pas pour le sujet que la sensation absorbe. Cette sensation, en aucun cas, ne saurait se réduire à sa traduction physiologique, et donc spatiale, car elle est une réalité irréductible. Plus le sujet est occupé par son présent psychologique, et moins il songe à l'écoulement spatial des causes de ses sensations, moins, en d'autres termes, il songe à mesurer le temps. Il est semblable à ces joueurs de football ou à leurs supporters passionnés que le jeu captive et qui laissent à l'arbitre le soin de regarder sa montre. C. La durée est intensive.

Si pour le vulgaire les termes de temps et de durée sont pratiquement synonymes, la réflexion philosophique ne saurait se contenter d'une confusion qui rendrait impossible la résolution des problèmes métaphysiques les plus importants, car elle équivaudrait, en dernière analyse, à se méprendre sur la substance même de l'âme humaine. Mais, si la distinction des termes s'impose, il est dangereux de se référer, pour l'établir, à un dictionnaire de la langue courante, où l'on risque de trouver des définitions contraires à celles de l'usage philosophique. C'est ainsi que dans un dictionnaire très répandu, la notion du temps mathématique étant tenue indûment à l'écart, on définit le temps comme une « durée limitée «, et la durée comme le « temps en général «. Il nous faut un guide plus averti en ces matières. Nous le trouverons en BERGSON. NOUS inspirant de son Essai sur les données immédiates de la, conscience, nous étudierons d'abord la durée pure et le temps, avant de voir comment ces deux notions se fondent dans la notion de durée concrète.

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« pendule, nous lui accordons de durer comme nous durons nous-mêmes.

Supprimons au contraire la mémoire, et noussupprimons du même coup tout lien temporel entre les phénomènes. B.

— Le temps est un milieu homogène, comme l'espace.De ce qui précède, il ne faudrait pas conclure que le temps revêt tous les caractères de la durée.

Il ne conserve enfait que le caractère de succession.

Si, contrairement à la durée, il est mesurable, c'est qu'il emprunte ce caractèrecomplémentaire à l'espace.

Mesurer le temps, c'est toujours mesurer l'espace — que l'on songe par exemple àl'invention des cadrans — mais dans la mesure du temps, on ne s'occupe pas de ce qui remplit qualitativement lesintervalles entre le début et la fin.

C'est ainsi que les astronomes prévoient le retour de telle comète ou annoncenttelle éclipse, en ne tenant compte que des conjonctions, c'est-à-dire des simultanéités dans l'espace.

Que lavitesse des phénomènes produits dans le monde croisse universellement et devienne double ou triple, et rien ne serachangé à la mesure du temps.

La notion de temps est donc une notion scientifique, fondée sur l'homogène et lequantitatif, et donc radicalement différente de la notion de durée pure. III.

— LA DURÉE CONCRÈTE. Après avoir étudié les notions de durée pure et de temps, qui résultent toutes les deux d'une abstraction de l'esprit,il faut maintenant revenir à la notion concrète de la durée vécue.

La durée concrète est celle d'une conscience quiest associée intimement à un corps, de telle sorte qu'on trouvera en elle deux pôles. A.

— Le moi profond.Lorsque la conscience se recueille, loin de l'agitation des sens, elle a accès au « moi profond ».

Les étatspsychiques paraissent alors sous leur vrai jour.

Ce sont des états qualificatifs, où il est impossible d'introduire lamesure, et qui se fondent les uns dans les autres. B.

— Le moi superficiel.Mais un tel recueillement n'est pas fréquent.

L'image de l'espace envahit notre conscience.

Familiarisés avec lanotion d'étendue par le canal des sens, « nous juxtaposons nos états de conscience de manière à les apercevoir,non plus l'un dans l'autre, mais l'un à côté de l'autre ».

(Données immédiates.) Fascinés par les sens, nous risquonsdès lors de ne jamais approfondir la vie intérieure, pour nous répandre dans le monde des phénomènes physiques etsociaux.Le « moi profond » et le « moi superficiel » ne sont pourtant en réalité qu'une seule et même personne, mais laconscience oscille entre ces deux positions-limites, parce qu'elle hésite entre la durée et le temps. CONCLUSION. — Dans son étude magistrale, Bergson a souligné la valeur de la notion de durée pure, et son style montre clairement ses préférences pour le « moi profond » qui tente de rejoindre cette durée pure.

La notion detemps devient dès lors « un concept bâtard » qui « contamine » la durée pure.

La résonance affective de cesmétaphores témoigne que, pour BERGSON, la question de la distinction entre le temps et la durée pure n'était pasune distinction purement académique, mais qu'elle devait servir de fondement à une métaphysique de la liberté et dejustification, a une mystique. »

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