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Textes commentés et analysés « Bonheur, bonheurs »

Publié le 03/10/2013

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L'étude des trois extraits qui suivent s'appuie sur la notion de divertissement

dont Pascal (1623-1662), dans les Pensées nous donne une

définition particulièrement éclairante pour le thème et les oeuvres au

programme : «L'homme quelque heureux qu'il soit, s'il n'est diverti et

occupé par quelque passion ou quelque amusement qui empêche l'ennui

de se répandre, sera bientôt chagrin et malheureux. «

Texte n° 1

Sénèque, La Brièveté de la vie

Depuis «Bien plus courte« (p. 135) jusqu'à «Pour combien

de temps? « (p. 137)

La réflexion sur la brièveté de la vie s'achève par une invitation à

la retraite. Mais avant de conseiller à Paulinus de se retirer des affaires

qui l'accaparent et le détournent de lui-même, Sénèque s'interroge sur

les autres occupations possibles : la lecture des grands penseurs, mais

aussi des formes de divertissements plus anodins : le jeu d'échecs, la

paume, la promenade, etc. (p. 120-121) Il envisage, dans cet extrait des

formes extrêmes de plaisirs : les combats de gladiateurs, les orgies, la

débauche, pour mieux les condamner et en démonter le mécanisme fatal

au bonheur. Quel est ce mécanisme ?

Il repose sur l'attitude paradoxale des hommes oisifs qui cherchent

à se divertir à tout prix. En effet, ils veulent, grâce au divertissement,

oublier l'angoisse liée au temps qui passe et à la perspective de la mort

que l'oisiveté et l'ennui qu'elle engendre ne font que renforcer. Les oisifs,

en effet, trouvent le temps long; ils ne savent qu'en faire pour le

tuer et pour éviter de penser à eux-mêmes. Aussi sont-ils en quête de

divertissements. Mais plus le divertissement (ou le plaisir, ou la volupté)

leur plaît, plus le temps leur paraît court et plus l'attente d'un nouveau

divertissement leur semble long. C'est pourquoi ils recherchent des plaisirs

non seulement plus vifs mais aussi plus nombreux parce qu'ils << ne

peuvent s'arrêter à un seul désir«.

Paradoxalement donc, les oisifs deviennent des gens constamment

absorbés qui, en cherchant à oublier le temps qui passe, finissent par

le perdre ( « le jour par l'attente de la nuit, la nuit par la crainte du

jour«), par s'oublier eux-mêmes et par ne plus s'appartenir, au point

de souhaiter « la mort parce qu'ils la craignent. « Faute de se maîtriser,

de maîtriser leurs plaisirs et les voluptés qui les accompagnent, ils

retrouvent l'interrogation initiale à laquelle ils voulaient se soustraire :

« Pour combien de temps? «

Ainsi, plus le divertissement est grand, plus il détourne l'être de la

question essentielle du temps et de la mort, plus il l'y ramène : ce n'est

pas là son moindre paradoxe.

Texte n° 2

Tchekhov, Oncle Vania, Acte II

Depuis «Tout doit être splendide« (p. 46) jusqu'à« ce n'est

pas de l'attachement « (p. 49)

Comme Voïnitski, comme Éléna aussi, mais pas pour les mêmes raisons,

Astrov n'est pas « satisfait de la vie «. Si l'oisiveté fait mourir la

jeune femme de Sérébriakov, c'est le surcroît de travail qui, comme Paulinus,

pour Sénèque, le fait passer à côté de la vie et du bonheur : « Quant

à ma vie personnelle ( ... ), il n'y a rien de bien en elle.« Il avait dit à

Sonia qu' « une vie oisive ne peut pas être pure « ; une vie trop occupée,

comme la sienne, ne peut pas l'être non plus.

C'est pourquoi, une fois par mois, il cherche à l'oublier, ou plutôt à

s'oublier, dans l'alcool, dans une ivresse qui n'a pas même l'excuse d'être

plaisante ou voluptueuse, comme celle des débauchés de Sénèque. Il n'a

rien, en effet, d'un noceur! Il a le ventre vide et n'en souffre guère et il se

dit perdu pour l'amour : «Je n'aime pas les gens ... Il y a longtemps que

je n'aime plus personne. « (p. 47) «Je n'aime personne ... et je n'aimerai

plus. « (p. 49)

Sa tempérance n'a donc rien d'une vertu; elle manifeste seulement

une incapacité au bonheur. Sans passé («mon temps est déjà passé«),

sans avenir non plus, il ne lui reste qu'un présent indigent. Son divertissement

qui se réduit à l'oubli de soi dans l'alcool, prend dès lors l'allure

d'une caricature sinistre voire d'un suicide déguisé. Sonia d'ailleurs ne s'y

trompe pas qui lui en fait le reproche : « Pourquoi voulez-vous ressembler

aux gens banals qui boivent et qui jouent aux cartes? ( ... ) Pourquoi

vous détruisez-vous vous-mêmes?«

Il lui reste cependant une vraie raison de vivre et un espoir de bonheur.

Il ne les situe pas dans l'avenir, on l'a vu, mais dans l'espace;

c'est en effet dans la sauvegarde de la nature qu'il espère les trouver :

«J'aime la forêt ... Du rapport immédiat, pur, libre, à la nature et aux

gens, il n'y en a plus ... Plus du tout. « Le divertissement de son ennui,

passe donc, comme pour Alexis, par le souhait d'un retour à une certaine

forme d'état sauvage, dont la forêt lui offre le modèle.

Texte n° 3

Le Clézio, Le Chercheur d'or

Depuis « Dans les bureaux règne mon cousin« (p. 315)

jusqu'à «Tu vas repartir, n'est-ce pas?« (p. 316)

Après l'épreuve de la guerre et de ses horreurs, Alexis retrouve Forest

Side et les bureaux de la W.W.West sur lesquels « règne « son cousin

Ferdinand. À la colère d'être traité comme un serviteur par un membre de

la famille s'ajoute l'ennui d'un travail d'employé de bureau sans intérêt.

Les invitations à des fêtes données en son honneur, pour «des actes

de bravoure purement imaginaires« précise-t-il, les bals, le thé à la Flore,

toutes ces distractions n'y changent rien. Il n'a qu'un désir : échapper à

l'ennui du présent, fuir ce« grand monde« méchant et hypocrite, ces gens

qui lui « semblent imaginaires, irréels «. Son seul divertissement consiste

à se promener sur le port, dans l'attente du schooner de Bradmer, ou à

relire les plans et les croquis qu'il a faits du repaire du Corsaire inconnu

et qui lui permettent d'évoquer la belle Ouma.

Dans un monde marqué par les préjugés, la corruption, les injustices,

il veut retrouver la nature, sa nature débarrassée de tous les vices que

la société a pu y introduire : vision très rousseauiste d'un retour à la

pureté originale, à cet état d'innocence que seul connaît le «sauvage«

nécessairement bon.

Ainsi, le divertissement non seulement lui permet d'oublier le présent

et de vaincre son ennui, mais il a aussi cette propriété de détourner

du vice et de pousser à la vertu en ouvrant la perspective de plaisirs

authentiques au sein de la nature, avec les manafs, et Laure l'a bien

compris. On est loin, on le voit, de la retraite studieuse que préconise

Sénèque. La leçon de sagesse est moins stoïcienne qu'épicurienne.

« Paradoxalement donc, les oisifs deviennent des gens constamment absorbés qui, en cherchant à oublier le temps qui passe, finissent par le perdre ( « le jour par l'attente de la nuit, la nuit par la crainte du jour»), par s'oublier eux-mêmes et par ne plus s'appartenir, au point de souhaiter « la mort parce qu'ils la craignent.

» Faute de se maîtri­ ser, de maîtriser leurs plaisirs et les voluptés qui les accompagnent, ils retrouvent l'interrogation initiale à laquelle ils voulaient se soustraire : « Pour combien de temps? » Ainsi, plus le divertissement est grand, plus il détourne l'être de la question essentielle du temps et de la mort, plus il l'y ramène : ce n'est pas là son moindre paradoxe.

Texte n° 2 Tchekhov, Oncle Vania, Acte II Depuis «Tout doit être splendide» (p.

46) jusqu'à« ce n'est pas de l'attachement » (p.

49) Comme Voïnitski, comme Éléna aussi, mais pas pour les mêmes rai­ sons, Astrov n'est pas « satisfait de la vie ».

Si l'oisiveté fait mourir la jeune femme de Sérébriakov, c'est le surcroît de travail qui, comme Pauli­ nus, pour Sénèque, le fait passer à côté de la vie et du bonheur : « Quant à ma vie personnelle ( ...

), il n'y a rien de bien en elle.» Il avait dit à Sonia qu' « une vie oisive ne peut pas être pure » ; une vie trop occupée, comme la sienne, ne peut pas l'être non plus.

C'est pourquoi, une fois par mois, il cherche à l'oublier, ou plutôt à s'oublier, dans l'alcool, dans une ivresse qui n'a pas même l'excuse d'être plaisante ou voluptueuse, comme celle des débauchés de Sénèque.

Il n'a rien, en effet, d'un noceur! Il a le ventre vide et n'en souffre guère et il se dit perdu pour l'amour : «Je n'aime pas les gens ...

Il y a longtemps que je n'aime plus personne.

» (p.

47) «Je n'aime personne ...

et je n'aimerai plus.

» (p.

49) Sa tempérance n'a donc rien d'une vertu; elle manifeste seulement une incapacité au bonheur.

Sans passé («mon temps est déjà passé»), sans avenir non plus, il ne lui reste qu'un présent indigent.

Son divertis­ sement qui se réduit à l'oubli de soi dans l'alcool, prend dès lors l'allure d'une caricature sinistre voire d'un suicide déguisé.

Sonia d'ailleurs ne s'y trompe pas qui lui en fait le reproche : « Pourquoi voulez-vous ressem­ bler aux gens banals qui boivent et qui jouent aux cartes? ( ...

) Pourquoi vous détruisez-vous vous-mêmes?». »

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