Devoir de Philosophie

« Tomber amoureux » ?

Publié le 06/02/2004

Extrait du document

Analyse des termes ► Expression bien ordinaire dont on ne voit guère ce qu'il y aurait à en dire, puisque, d'emblée, chacun la saisit en toute clarté! Pourtant... tentons l'expérience en procédant minutieusement à son analyse, notant même au passage comment opère la réflexion.L'expression comporte deux mots. S'il n'est pas difficile de voir que le second renvoie à l'amour - et là, assurément, la tentation est forte de «démarrer» sur tout ce qu'on aurait à dire à ce propos! -, en revanche, que dire d'un mot si commun que «tomber»?Va-t-il nous falloir être «inspiré» ou faire semblant de ne pas avoir vu le mot et nous concentrer ainsi à loisir sur l'amour? ► Ni l'un ni l'autre. Affrontons le mot. Quel (s) sens suggère-t-il? Pour plus de facilité, «se passer le film» mentalement de quelqu'un qui tombe, et noter les idées correspondantes, tout en gardant quelque liberté pour ne pas se laisser « enfermer dans le film».D'abord, dans le fait de tomber, c'est la soudaineté qui peut frapper.

Le terme « amour « (du latin « amor « ) est employé dans des domaines tant multiples que différents: l’amour de la patrie, l’amour maternel, filial, l’amour passionnel, l’amour de Dieu, l’amour des jeux, du danger… C’est donc toujours le même mot mais il ne qualifie pas la même chose, il est sans cesse différents. Il qualifie dans tous les cas les sentiments qu’un individu conscient éprouve pour un objet, pour une idéalisation parfois de cet objet. ’amour de soi parait différent, on pense s’aimer pour ce qu’on est réellement cependant ne doit on pas émettre une distance entre la conscience ce qui aime et la conscience qui est aimée? Du terme amour, on a tiré un adjectif « amoureux « , l’amoureux est celui qui aime ou plutôt celui qui se met à aimer. On ne naît pas amoureux mais on tombe amoureux. Le verbe « tomber « marque-t-il donc une chute, une certaine déchéance? Pour Francesco Alberoni dans le choc amoureux, l’amour est une naissance :  «  Qu'est-ce que tomber amoureux ? C'est l'état naissant d'un mouvement collectif à deux «.  Tomber amoureux c’est éprouver au sens général un attachement exclusivement à une autre personne que soi même, c’est chuter de son statut d’amour de soi à celui d’amour de l’autre. Cependant tomber amoureux et aimer n’est ce pas différent dans l’objet qu’il vise? Pourquoi attribue t on un sens différent à deux expression issues de la même racine substantive?

« les déstabilise.«Tombant» amoureux, ils perdent le surplomb et la maîtrise habituels pour être «surpris », pris par au-dessus,empoignés, submergés et paralysés par des émotions puissantes et des sentiments contradictoires : «Je le vis, jerougis, je pâlis à sa vue », disait la Phèdre de Jean Racine. 2.

Recherche des présupposés Finalement, on le voit, l'expression que nous employons couramment de nos jours, contient en elle tout l'aspectpassif et négatif que nos classiques retenaient de l'amour : en effet, le passionné est «au plus bas» de lui-même,ayant perdu le contrôle des situations et de soi, surpris, égaré, ne sachant plus ce qui lui arrive. Si on en reste là toutefois, ne peut-on objecter que cette connotation négative de l'amour provient du point devue duquel on se place? En effet, c'est en comparant avec l'état non amoureux qu'on évalue l'amoureux, celui-ciétant alors perçu comme perturbation de celui-là ! Mais, en fait, qu'est donc l'état dit «non amoureux»? – Reprenonsles critères apparus lors de l'analyse – N'y a-t-il pas non plus en lui de la soudaineté, de l'imprévisible? Le caractèreinvolontaire et inévitable de certains comportements ou situations n'y apparaît-il pas? Certes...

Il nous faut doncaller plus loin en cherchant au niveau du seul élément de l'analyse que nous n'avons pas rappelé ici: tomber au sensd'être par terre.

Certes, on compare bien avec la situation dite normale où on est debout, et la différence estflagrante.

Mais de quel point de vue? Une simple question d'habitude? – au sens où plutôt habituellement par terre,ce serait être debout qui surprendrait –, ou, en réalité, une question de norme? Être vivant et doué de raison,l'homme doit-il «tomber» amoureux? Le verbe a aussi le nom – la tombe – qui évoque, outre l'immobilité de l'inertecontraire à ce que doit être le vivant, le silence de la terre, le «bas» auquel, cette fois, une pesanteurincontournable et décisive nous rive.

Or en effet, non seulement le sentiment amoureux nous rend muet oubafouillant, mais aussi sourd à tout ce qui reste sans rapport avec notre amour.

Comme «tétanisé» et en porte àfaux avec son environnement, le sujet amoureux semble subitement inadapté, ne correspondant plus guère auxcritères types du vivant alerte, souple et dynamique.

Déjà «comme» en dessous du vivant type, l'amoureux estaussi et surtout «tombé» en dessous de ce qui fait la référence de l'humain type : sans parole ou presque, sansmaîtrise de ses sentiments envahissant et gouvernant toute pensée, le voilà dépourvu de raison, dans l'animalité oul'infantilisme affectif de ses élans à l'état brut.

«Tomber amoureux », c'est bien alors «tomber» au sens de cerelâchement de tout nous-même, nous abandonnant à ce qui se passe en nous...

sans nous ; autrement dit, lanature en nous prend le relais de notre raison.

Dès lors, tout est possible, y compris «tomber plus bas que terre» !Tomber aux pieds de l'être aimé, se faire son esclave, c'est encore renoncer là à ce qui fait la grandeur et lanoblesse de l'homme : sa liberté. Le tableau ainsi noirci dans le simple déploiement des implications du verbe «tomber» permet de bien mettre enévidence la conception philosophique sous-entendue dans l'expression: une approche passive de l'amour,dépossédant l'homme de l'essentiel des facultés qui font de lui l'être humain dans toute sa dignité : raison, parole,volonté, autonomie, sens moral et social, liberté.

Bonne vieille conception dualiste opposant l'esprit à la nature,l'ordre au désordre, le rationnel à l'affectivité.

Au coeur de cette expression contemporaine, l'analyse philosophiqueréserve, on le voit, quelque surprise !Certes on rencontrera d'autres conceptions de l'amour, où, cette fois, il vous «portera aux nues », ou vous«donnera des ailes », et voyant tellement grâce à lui «la vie en rose », on vous demandera cette fois, à titre delucidité et de maîtrise des réalités, de «revenir sur terre ».

Certes...

mais dans ce cas, soit l'expression employéesera suivie d'un propos venant en infléchir tellement le sens qu'elle sera vidée de sa substance initiale, soit, au lieud«< être tombé amoureux» – remarquez le passif – je dirai: «Je suis amoureux (se) !». »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles