Toute vérité est-elle bonne à dire ?
Publié le 21/01/2004
Extrait du document
«
· J'ai le droit de taire la vérité, voire de mentir, dans la mesure où les circonstances m'y obligent.
La vérité n'est bonne à dire que si elle sert l'intérêt d'autrui .
Constant écrit : « nul homme n'a droit à la vérité qui nuit à autrui ».
· Cependant, les situations évoquées (protéger un être faible d'une vérité trop brutale ou sauver la vie d'un homme bon par un mensonge) = cas extrêmes , relevant d'une stratégie de casuiste : on évoque des évènements singuliers afin d'éprouver l'applicabilité d'un principe ou d'une règle abstraite par rapport à la réalité qu'elle entendjuger.
Conséquence : on présuppose qu' en soi , la vérité est bonne à dire.
· D'où le problème : Si un principe se révèle inopérant, impraticable à quoi bon l'appeler principe ? Si une règle tolère des exceptions, en quoi est-elle encore une règle ? Autrement dit, ne faut-il pas maintenir « coûte quecoûte » que toute vérité est bonne à dire ?
· Enjeu : l'universalisme des principes moraux.
Ne doivent-ils pas valoir toujours et partout ?
2- LA VÉRITÉ EST TOUJOURS MORALEMENT EXIGIBLE
a) taire la vérité = renoncer à sa personnalité
Kant, Métaphysique des moeurs , « doctrine de la vertu », §9
« un homme qui ne croit pas lui-même à ce qu'il dit à un autre[...] a encore moins de valeur que s'il était une simple chose ».
EXPLICATION : une chose a une valeur qui est instrumentale : la chose sert, elle a une utilité qui lui vient de sa fin. Au contraire, l'homme malhonnête, refusant de dire la vérité (croire à ce qu'il dit), porte atteinte « à la finalité naturelle de la faculté de communiquer ses pensées ».
Ainsi, toute vérité serait bonne à dire dans la mesure où il s'agit de dire ce qu'on pense ; poser qu'une vérité n'est pas bonne à dire et s'octroyer le droit de la passer soussilence = être moins qu'une chose.
Pour Kant, disjoindre parole et pensée, être malhonnête = se servirde son être physique « comme d'un pur moyen ( Sparchmaschine ) qui ne serait pas lié à une fin interne (la communication de ses pensées) » ; àl'inverse, chacun est tenu « à la condition de s'accorder avec la déclarationde celle-ci [communication de ses pensées] et il est obligé envers lui-même àla véracité ».
Enjeu : la personne.
La véracité (qualité de celui qui dit la vérité) est un devoir envers soi-même : la malhonnêteté est une atteintefaite à soi.
Exple : Augustin : si mentir est un péché, que dois-je répondre,pour mon salut, à l'assassin venu trouver l'ami que je cache ? Réponse = « jesais où il est mais je ne vous le dirais pas ».
Mon salut et la vie de mon amisont intacts.
b) puis-je ériger en loi universelle ma maxime ?
Invoquer les circonstances pour justifier qu'une vérité n'est pas bonne à dire apparaît ainsi comme une forme de faiblesse [on remarque d'emblée quela solution proposée par Augustin est audacieuse et très courageuse].Disjoindre vérité et bien revient à se chercher des excuses, apparaît commeun prétexte pour échapper à ce devoir fondamental qui est de s'obliger à dire la vérité.
Kant formule cette idée ainsi « tu dois donc tu peux » : un impératif ordonne catégoriquement, et de ce fait, on ne peut pas ne pas s'y soumettre ; pouvoir désobéir à un impératif = faire que cet impératif n'en est pas un.
Or, comment sais-je que jeDOIS dire la vérité quelle qu'elle soit ?
S'octroyer le droit de taire une vérité = une maxime qui postule que « étant donné les circonstances, cette vérité n'est pas bonne à dire ».
Or, selon Kant, un tel précepte est sans valeur morale : je ne peux pas, en toute rigueur, ériger en loi universelle (valable pour tout homme) cette maxime.
Pourquoi ? Tout simplement parce quecelle-ci n'est pas suffisamment déterminée rationnellement car, comment déterminer formellement ces circonstances qui m'obligent à taire une vérité ? Pour Kant, ce qui est moral = ce qui peut valoir universellement, ce que je peux exiger de tout autre .
Or une telle exigence ne peut reposer que sur des principes formels : il s'agit de faire que la règle s'applique à tous sans considération à l'égard des contingences empiriques.
Transition :
Si la vérité semble toujours moralement exigible, vouloir la vérité « à tout prix », n'est-ce pas une volontéeffrayante, suspecte ? Pascal a écrit : « on se fait une idole de la vérité même ».
Jusqu'où cette idolâtrie est-elle.
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