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Que vaut cette excuse: "Je ne l'ai pas fait exprès ?

Publié le 26/03/2004

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« Je ne l'ai pas fait exprès. « Sous cette forme, c'est bien souvent l'excuse de l'enfant conscient d'avoir fait une bêtise. Mais il revient au même de dire, ou de penser : « Je n'ai pas voulu ça «. J'ai mal agi, certes, mais je n'avais pas voulu cet acte, ou du moins ses conséquences. Celui qui parle ainsi se reconnaît bien l'auteur de son acte (si je ne l'ai pas fait exprès, je l'ai néanmoins fait), mais refuse de s'en reconnaître coupable. Il se disculpe - ou croit se disculper - de sa faute.  C'est un fait, nous jugeons plus sévèrement la faute lorsqu'elle a été commise intentionnellement : par exemple, la justice distingue le meurtre prémédité de l'homicide par imprudence ou des « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner «. Pourtant, il est des actes involontaires dont nous considérons que les auteurs doivent répondre. Si j'ai perdu le contrôle du véhicule que je conduisais et causé un accident, « je ne l'ai pas fait exprès «. Je n'en serais pas moins jugé et puni si j'ai causé des dommages à autrui. Qui contesterait la légitimité de la sanction ? La valeur de cette excuse est donc pour le moins discutable, et c'est cette discussion qu'il faut mener. Mais commençons par nous demander ce qu'est une excuse, et à quelles conditions un acte est excusable.  

Ce sujet ne doit pas être un prétexte pour faire de la psychologie. Le sujet est philosophique avant tout, même si des incursions dans la psychanalyse seront les bienvenues. Cette formule à l'apparence enfantine ne doit pas vous rassurer trop vite et vous pousser à adopter le même niveau de langage. Il s'agit ici de donner du sérieux à cette expression qui nous semble triviale dans la vie courante.  

« exprès » semble donc bien avoir valeur d'excuse.

On peut excuser le mal commis involontairement. [2.

Néanmoins, la négligence reste punissable] Pourtant, personne ne tiendra cette excuse pour suffisante si un chauffard prétend, au tribunal, qu'il n'a pas faitexprès de renverser ce piéton.

Si un chasseur déclare n'avoir pas fait exprès de tuer ce promeneur à la place dugibier.

Si un moniteur de ski affirme n'avoir pas fait exprès de déclencher cette avalanche.

Ce n'est pas qu'ilsmentent : on veut bien croire qu'ils n'avaient aucunement l'intention de provoquer l'accident qui s'est produit.Simplement, ils sont coupables quand même.

Non pas, certes, d'une agression préméditée, mais d'une faute qui,pour être moins grave, n'en est pas moins une faute.

Car c'est une obligation, pour tout conducteur, de maîtriserson véhicule ; pour le chasseur de ne tirer que sur ce qu'il est certain de distinguer; pour le professionnel de seméfier des dangers de la montagne et d'en protéger son client.

Dans tous ces cas, il y a négligence ; la négligence,l'inattention, la distraction, sont par définition involontaires, mais moralement, elles ne sont pas pour autantindifférentes.

Car l'attention, la vigilance, la rigueur, sont aussi des devoirs ; a fortiori dans l'exercice d'une activité,ou d'une profession qui les exigent.

Nul n'est tenu de prendre le volant, ou un fusil, ni de s'aventurer hors piste.

Maisdès lors qu'on le fait, on se soumet, soi-même, à de nouveaux devoirs ; on pourra être jugé responsable de ce qu'ona fait, même involontairement, et même de ce qu'on n'aura pas fait; nul n'est censé ignorer les précautions qu'exigece qu'il entreprend.C'est pour ces raisons que la prudence est une vertu, et même une des vertus cardinales.

Elle ne suffit jamais seule,puisqu'elle est nécessaire également à l'accomplissement des mauvaises actions : l'escroc et l'assassin en ontbesoin.

Mais elle est toujours obligatoire puisqu'elle conditionne l'exercice efficace de toutes les autres vertus.

Êtrejuste sans discernement, courageux sans précautions, généreux sans perspicacité, cela n'est pas grand-chose.Faute de prudence, une intention excellente, une disposition favorable peuvent se tourner en leurs contraires etproduire des résultats désastreux. Il reste qu'à conséquences égales, la faute involontaire est toujours moins grave.

La négligence est moins blâmableque l'intention avérée de faire du mal.Sauf, peut-être, en un cas.

Contemplant, en 1918, les ruines et les morts, le Kaiser Guillaume II eut ce mot : « Jen'ai pas voulu ça ».

Sans doute.

Mais voila bien une phrase que le politique ne peut jamais prononcer.

Car l'hommepolitique doit accepter de n'être jugé que sur ses résultats.

Les intentions ne pèsent rien en la matière.

Car si unepersonne privée peut bien arguer des impondérables pour se disculper, celui qui s'est mêlé de conduire des pays etdes peuples acceptait par avance un jeu dont l'imprévisible, le fortuit, l'inattendu sont la règle.

Gouverner, c'estprévoir.

Le politique serait ridicule en prétendant, pour s'excuser, qu'il n'avait pas prévu les conséquences de sesdécisions, de ses actes ou de ses paroles (en politique, les paroles sont aussi des actes).

Pire encore, il seraitodieux, car ce qui n'est pour lui qu'erreur d'appréciation devient pour ceux qu'il gouverne horreur et mort. [Conclusion] Le mal fait involontairement est moralement moins grave que celui qu'on a voulu.

Mais s'il est moins grave, c'est qu'ilest grave aussi.

La négligence est une faute.

Il est du devoir de chacun d'évaluer au mieux toutes lesconséquences de ses actes.

L'excuse « Je ne l'ai pas fait exprès » sera donc d'autant plus valable qu'étaientdifficiles à prévoir les circonstances qui ont conduit à la catastrophe.

Dans certains cas, la responsabilité se trouveannulée.

Mais cela reste exceptionnel.

Et quand ce que l'on fait - par exemple de la politique - comporte l'obligationde prévoir, l'imprévu n'est jamais une excuse, et seul importe le résultat.

On peut absoudre moralement un hommepolitique qui s'est trompé avec de bonnes intentions ; mais il reste politiquement coupable de son échec.. »

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