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Victor Hugo annonce a un ami qu'il se propose d'écrire des drames où il rendra au théâtre français les libertés que le XVIIe siècle lui a ravies.

Publié le 17/02/2012

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hugo

Paris, le 15 septembre 1827.

A Monsieur Louis Boulanger, peintre. Mon cher Ami,

Que de fois n'avons-nous pas gémi ensemble sur l'état lamentable de la scène française! Combien de nos amicales causeries, sous les marronniers du Luxembourg, ont eu pour objet les origines de cette humiliante médiocrité, la nécessité et les moyens d'en sortir! Les projets de réformes affluent dans les cervelles de vingt ans; Dieu sait si nous en avons élaboré! Mais qu'est-il sorti de ces entretiens passionnés ? Rien encore de sérieux, de durable, il faut bien l'avouer.

Or, un secret instinct me dit ....

hugo

« vous d'un architecte qui annoncerait que, pour contribuer a Fornement de la capitale, it va construire un edifice gothique? Il se couvrirait de ridi- cule!... J'imagine que si ce fossile, ce Zone retrograde revenait en ce monde, it serait bien surpris d'assister au renouveau du gothique.

Assez de temples grecs et de palais romains! C'est justement la cathedrale gothique, honnie des perruques, sy)nbole de Pelan dans la puissance, de la fantaisie dans la solidite, avec ses purs profits de saints et ses figures grimacantes, ses pi- tiers trapus et ses colonnes s'enlevant d'un seul jet vees le ciel, c'est la ca- thedrale restauree par Chateaubriand que nous voulons, nous, les jeunes! N'ont-ils done rien lu, ces attardes, pour pretendre nous imposer encore les anciennes tyrannies? Ignorent-ils Gcethe et Schiller, Faust et Guil- laume Tell ? L'echo des luttes provoquees par la Marie Stuart (1) de Lebrun n'est-il pas parvenu a leurs oreilles? La lettre de Manzoni sur les Unites (2) est-elle connue de ces beotiens? Le Racine et Shakespeare (3) de Stendhal ne leur a-t-il pas ouvert les yeux? Et le Theatre de Clara Gazul (4) et he Cid d'Andalousie (4) ne leur ont-ils pas prouve qu'au-dela du theatre clas- sique it etait d'autres formules fecondes?...

Ces theories et ces essais ne m'onl d'ailleurs pas donne pleine satisfac- tion.

Pas plus les melodrames qui pullulent de nos jours, que les demi- reformes d'un Ancelot, d'un Lebrun, d'un Soumet, et, encore moms, du pusil- lanime Casimir Delavigne, ni chair ni poisson.

Its ne repondent ni a mes aspirations personnelles, ni a ce qu'attendent de nous les 'Ames neuves qui montent aujourd'hui a la lumiere, si differentes de celles qui n'ont e rien oublie et rien appris 3. Nos discussions d'autrefois et d'hier ont mfiri dans mon esprit, cher Ami, et je crois avoir trouve enfin la formule d'un spectacle nouveau, en harmonie avec les -exigences legitimes de notre generation et les droits kernels du grand art.

A Pappui de mes theories, j'aurai a produire un drame au sujet duquel j'ai consulte Talma.

Mais avant de lancer mon manifeste, j'ai vonlu vous consulter, vous exposer mon plan de bataille, afin de ne pas compromettre le magnifique ideal dont vous etes 'Pun des champions les plus brillants. Ma piece s'appellera Cromwell; mais ce n'est pas precisement d'elle que je vous parlerai dans cette missive.

Elle sera precedee par une Preface, on j'exposerai les griefs et les desseins de la nouvelle ecole.

Je vous entretien- drai surtout de cette preface aujourd'hui.

J'y indiquerai aussi clairement et aussi bruyamment que possible : ce que nous voulons detruire et ruiner a jamais; ce que nous entendons construire a la place et aussi ce que nous devons ou pouvons conserver en l'ameliorant.

Ce dont souffre et meurt notre theatre, c'est, a coup sur, la contrainte odieuse et sterile a laquelle nous ont condamnes, soi-disant au nom des Anciens, les legislateurs du xvne siècle.

Its ont emprisonne l'art dramatique en des citadelles de Barton; formules etroites, recettes empiriques, conven- tions pueriles; its ont mis au genie un tartan; its ont rogne les sites a l'ins- piration; its ont muffle la vie, que le theatre se flatte de reproduire.

Il n'est pas jusqu'au langage qu'ils n'aient appauvri, restreint a un vocabulaire noble, pompeux, abstrait, tout de convention.

Cela, nous n'en voulons plus, ni vous, ni moi, ni aucun des mitres. On ne manquera pas de nous objecter Corneille et Racine.

Je devancerai l'objection : le premier a ete victime des regles, un martyr du pedantisme; le second, touché par la torpille classique, n'a pu donner sa mesure...

ce cygne eat pu etre un aigle.

On etouffe dans ses palais, on baffle a ses e con- versations sous un lustre 3, on se fatigue en compagnie de ses faux hems antiques styles a la mode de Versailles.

Et puffs quel argument tirer de quel- ques bonnes pieces, composees uniquement pour une epoque, pour un monde a jamais disparu? La condamnation du genre, n'est-ce pas la nullite des cen- taines de tragedies qui ont succede a une demi-douzaine de chef s- d'ceuvre ? Sur le Racine mort, le Campistron pullule... (1) 1820. (2) 1820, parue dans le Limes Francais. (3) 1823, reedite en 1825. (4) 1825, de Merimee. (5) De Lebrun, mime allude. vous d'un architecte qui annoncerait que, pour contribuer à l'ornement de la capitale, il va construire un édifice gothique? Il se couvrirait de ridi­ cule!... » J'imagine que si ce fossile, ce Zoïle rétrograde revenait en ce monde, il serait bien surpris d'assister au renouveau du gothique.

Assez de temples grecs et de palais romains! C'est justement la cathédrale gothique, honnie des perruques, symbole de l'élan dans la puissance, de la fantaisie dans la solidité, avec ses purs profils de saints et ses figures grimaçantes, ses pi­ liers trapus et ses colonnes s'enlevant d'un seul jet vers le ciel, c'est la ca­ thédrale restaurée par Chateaubriand que nous voulons, nous, les jeunes! N'ont-ils donc rien lu, ces attardés, pour prétendre nous imposer encore les anciennes tyrannies? Ignorent-ils Gœthe et Schiller, Faust et Guil­ laume Tell ? L'écho des luttes provoquées par la Marie Stuart (1) de Lebrun n'est-il pas parvenu à leurs oreilles? La lettre de Manzoni sur les Unités (2) est-elle connue de ces béotiens? Le Racine et Shakespeare (3) de Stendhal ne leur a-t-il pas ouvert les yeux? Et le Théâtre de Clara Gazul (4) et le Cid d'Andalousie (4) ne leur ont-ils pas prouvé qu'au-delà du théâtre clas­ sique il était d'autres formules fécondes?...

Ces théories et ces essais ne m'ont d'ailleurs pas donné pleine satisfac­ tion. Pas plus les mélodrames qui pullulent de nos jours, que les demi- réformes d un Ancelot, d'un Lebrun, d'un Soumet, et, encore moins^ du pusil­ lanime Casimir Delavigne, ni chair ni poisson. Ils ne répondent ni a mes aspirations personnelles, ni à ce qu'attendent de nous les âmes neuves qui montent aujourd'hui à la lumière, si différentes de celles qui n'ont « rien oublié et rien appris ».

Nos discussions d'autrefois et d'hier ont mûri dans mon esprit, cher Ami, et je crois avoir trouvé enfin la formule d'un spectacle nouveau, en harmonie avec les exigences légitimes de notre génération et les droits éternels du grand art.

A l'appui de mes théories, j'aurai à produire un drame au sujet duquel j'ai consulté Taima. Mais avant de lancer mon manifeste, j'ai voulu vous consulter, vous exposer mon plan de .bataille, afin de ne pas compromettre le magnifique idéal dont vous êtes l'un des champions les plus brillants.

Ma pièce s'appellera Cromwell; mais ce n'est pas précisément d'elle que je vous parlerai dans cette missive. Elle sera précédée par une Préface, où j'exposerai les griefs et les desseins de la nouvelle école.

Je vous entretien­ drai surtout de cette préface aujourd'hui. J'y indiquerai aussi clairement et aussi bruyamment que possible : ce que nous voulons détruire et ruiner à jamais; ce que nous entendons construire à la place et aussi ce que nous devons ou pouvons conserver en l'améliorant.

Ce dont souffre et meurt notre théâtre, c'est, à coup sûr, la contrainte odieuse et stérile à laquelle nous ont condamnés, soi-disant au nom des Anciens, les législateurs du xvne siècle.

Ils ont emprisonné l'art dramatique en des citadelles de carton; formules étroites, recettes empiriques, conven­ tions puériles; ils ont mis au génie un carcan; ils ont rogne les ailes à l'ins­ piration; ils ont mutilé la vie, que le théâtre se flatte de reproduire. Il n'est pas jusqu'au langage qu'ils n'aient appauvri, restreint à un vocabulaire noble, pompeux, abstrait, tout de convention. Cela, nous n'en voulons plus, ni vous, ni moi, ni aucun des nôtres.

On ne manquera pas de nous objecter Corneille et Racine. Je devancerai l'objection : le premier a été victime des règles, un martyr du pédantisme; le second, touché par la torpille classique, n'a pu donner sa mesure... ce cygne eût pu être un aigle. On étouffe dans ses palais, on bâille à ses « con­ versations sous un lustre», on se fatigue en compagnie de ses faux héros antiques stylés à la mode de Versailles. Et puis quel argument tirer de quelr ques bonnes pièces, composées uniquement pour une époque, pour un monde à jamais disparu? La condamnation du genre, n'est-ce pas la nullité des cen­ taines de tragédies qui ont succède à une demi-douzaine de chefs- d'œuvre ? Sur le Racine mort, le Campistron pullule...

(1) 1820.

(2) 1820, parue dans le Lycée Français.

(3) 1823, réédité en 1825.

(4) 1825, de Mérimée.

(5) De Lebrun, même année.. »

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