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VOLTAIRE, Candide : chapitre 1 (incipit)

Publié le 11/09/2006

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Introduction Le monde de Thunder ten tronck, où naît Candide, se présente comme un « paradis terrestre « qui servira de référence au cours du récit. Peu à peu, Candide va se libérer de cet univers qu'au début il juge parfait. Il accepte parfaitement l'ordre établi, représenté politiquement par le baron et intellectuellement par Pangloss. Des failles cependant apparaissent dans ce monde : elles rendent possible l'évolution du héros et sont le signe du combat que Voltaire entreprend notamment contre le pouvoir de la noblesse et la philosophie optimiste. (doctrine du philosophe allemand Leibniz suivant laquelle nous vivons dans le plus heureux des mondes possibles, où le mal n'est qu'une apparence car il fait partie d'une « harmonie préétablie « qui justifie tout.) Nous verrons que cet incipit dresse un tableau critique de la société de Thunder ten tronck, fondée sur des illusions et abritant des êtres que Voltaire présente comme de ridicules marionnettes. Nous verrons enfin que cet incipit est un mode d'emploi pour lire l'ensemble du conte philosophique. I. Une illusion d'un monde parfait Longtemps, pour Candide, la société de Thunder ten tronck restera une référence et une image du paradis. Pourtant ce monde repose sur une double illusion : 1) L'illusion du pouvoir La structure même du texte remet en question l'ordre nobiliaire : tous les membres de cette petite société sont présentés mais sans respect de l'ordre protocolaire : • l. 1-7 : Candide • l. 8-12 : le baron • l. 13-18 : autres personnages • l. 19-22 : Pangloss et sa philosophie Candide, le bâtard est présenté avant le baron, Cunégonde est décrite avant son frère. C'est une façon pour Voltaire d'exprimer son doute sur la légitimité de ce pouvoir nobiliaire, de dire qu'il repose seulement sur des apparences. Le lexique se référant à la noblesse est bien présent (« quartiers «, « palefreniers «, « piqueurs «, « grand aumônier «, « Monseigneur «). En cette fin de XVIIIème, la noblesse est un monde figé dans ses préjugés et ses prétentions. Dans ce texte, il s'attaque aux généalogies dont les nobles étaient fiers : ainsi Candide est présenté comme un bâtard parce que son père n'a « pu prouver que 71 quartiers « alors que les Thunder Ten Tronck en ont 72 (nous l'apprendrons au chapitre XV). D'autre part Voltaire présente la noblesse du baron et de la baronne comme un simple titre qui n'est fondé sur aucune valeur réelle. Pour cela il explique leur pouvoir par des raisons absurdes : le baron est puissant « car son château avait une porte et des fenêtres « et la baronne « s'attir[e] [...] une très grande considération « non pas pour sa noblesse ou son mérite mais à cause de son poids ! Voltaire veut nous dire que la noblesse du baron n'existe que dans son esprit, illusion qui est entrevue par les flatteries de ses valets qui « l'appelaient tous Monseigneur « et « riaient quand il faisait des contes «, façon de dire que le baron dit n'importe quoi mais que les valets sont assez hypocrites pour en rire et lui faire croire qu'il a de l'esprit. L'autre fondement illusoire de cette petite société est la philosophie optimiste. 2) L'illusion de la philosophie optimiste La critique de la philosophie de Pangloss rejoint celle de la noblesse. L'introduction de « nigo « dans « métaphysico-théologo-cosmolonigologie « et la longueur interminable du mot ôtent toute valeur à cette science. L'origine du nom « Pangloss « (grec pan=tout+glossa=langue donne « tout en discours «) va dans le même sens : en effet le personnage parle toujours et cherche à tout justifier par le discours. Cette philosophie optimiste a pour principe que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles et ainsi Pangloss est amené à énoncer de faux rapports logiques, ses démonstrations reposent toujours sur de faux rapports de cause à effet. Ainsi, dans la dernière ligne, Pangloss déclare que le « château de Monseigneur le baron était le plus beau des châteaux « parce que nous vivons dans « ce meilleur des mondes possibles «. Mais ce raisonnement n'a aucune valeur aux yeux de Voltaire car la déclaration de base (« nous vivons dans le meilleur des mondes possibles «) est arbitraire, c'est à dire qu'elle est énoncée sans preuves, imposée par un abus d'autorité intellectuelle. Pour Voltaire, le danger de cette philosophie est qu'elle donne du monde une vision abstraite qui ne tient pas compte des données de l'expérience concrète. Cette vision fausse les choses et cet usage trompeur de la causalité permettent en tout cas à Pangloss de justifier et de rassurer la noblesse qui se repaît d'illusions. Observons maintenant de plus près les personnages présentés dans cet incipit. II. Des personnages comiques Les noms propres sont pour Voltaire une occasion de donner libre cours à sa fantaisie verbale. 1) Des noms portraits L'étymologie ou les sonorités annoncent le caractère : • Thunder Ten Tronckh, par ses lourdes allitération en [t], tourne en dérision la lignée du baron ; l'étymologie de « Thunder «, qui veut dire en anglais « tonnerre «, ridiculise ironiquement ses prétentions. • Nous avons déjà vu le sens de du nom Pangloss, choisi pour critiquer la façon que le personnage a de toujours vouloir tout expliquer. • Cunégonde est caractérisée par plusieurs adjectifs (l.15-16), « haute en couleurs, fraîche, grasse, appétissante « : elle est donc présentée avant tout comme une jeune fille sensuelle, et la suite du conte confirmera cet aspect. • Candide enfin s'appelle du nom même de sa principale caractéristique : il aborde le monde avec innocence et crédulité. Mais qu'apprend on sur lui dans cet incipit ? 2) Le personnage de Candide Nous avons vu que la bâtardise était un moyen pour Voltaire de remettre d'emblée en cause les prétentions de la noblesse. Dans ce début de conte, Candide est décrit dans une attitude passive : « on le nommait Candide « (l.4), « le petit Candide écoutait « (l.17). Cette candeur implique aussi l'idée de pureté : il a le « jugement assez droit « (l.3). La confrontation de cet esprit honnête et juste avec un monde où règne le mal permettra à Voltaire de conduire et de mener à bien son entreprise critique. Après avoir étudié l'univers et les personnages présentés dans cet incipit, nous allons voir que l'extrait est aussi le moyen pour Voltaire de nous livrer un mode d'emploi pour la lecture du conte. III. Présentation de la suite du conte 1) Utilisation du schéma traditionnel du conte Le texte présente certains éléments traditionnels des contes. • la formule « Il y avait... « rappelle le début des contes de fées (« il était une fois «) ; • l'usage du superlatif (« les mœurs les plus douces « (l.2), « l'esprit le plus simple « (l.3), « le plus beau « (l.21), « la meilleure « (l.21)) caractérise un univers de perfection, qui échappe à nos lois habituelles ; • le château est bien le lieu traditionnel du bonheur et des aventures extraordinaires ; • la schématisation des personnages qui sont réduits à une seule qualité (candeur, orgueil, bavardage, sensualité) est aussi une caractéristique du conte où les rôles sont stéréotypés (le roi, la princesse, la fée, la sorcière, etc.). Cependant, l'introduction de détails réalistes empêche le lecteur d'entrer dans la fiction d'un conte merveilleux : • la Westphalie est un nom propre bien connu qui renvoie à la réalité ; • l'union du terme noble « baron « avec le nom ridicule de « Thunder Ten Tronck « ridiculise la ligné, et le débat sur la bâtardise de Candide et le portrait grotesque de la baronne vont dans le même sens ; • Voltaire intervient directement dans le récit (l.4 « C'est, je crois, pour cette raison «) : cette mise en doute de la réalité décrite incite le lecteur à prendre une distance critique, à remettre en question les apparences ; • Enfin, l'ironie, arme favorite de Voltaire, est utilisée dés cet incipit et le lecteur la retrouvera tout au long du conte. 2) L'ironie Elle consiste à faire semblant de croire vraie une proposition manifestement fausse, de telle manière que le lecteur perçoive le désaccord entre ce qui est dit et la vérité. Ce moyen permet de tourner en ridicule un adversaire, de remettre en question ses idées. Ainsi, lorsque Voltaire écrit à propos de Pangloss, à la ligne 19-20, « Il prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sans cause «, il fait semblant avec l'adverbe « admirablement « d'être d'accord avec Pangloss pour mieux faire ressortir la stupidité de ses propos ; car c'est une évidence inutile à démontrer « qu'il n'y a point d'effet sans cause «. Parfois, l'ironie est plus subtile. Ainsi, quand Voltaire écrit « le fils du baron paraissait en tout digne de son père « (l.16), l'adjectif « digne « n'est pas à prendre au sens propre : la phrase veut au contraire dire que le fils à les même défauts que son père. Par l'ironie, Voltaire fait du lecteur un complice qui éprouve face aux événements un sentiment de supériorité. Conclusion Nous pouvons conclure sur la richesse et l'efficacité de cet incipit qui, de façon traditionnelle, présente l'univers et l'entourage du héros éponyme, et qui installe également les éléments essentiels du projet de Voltaire : utilisation de l'ironie dans le cadre d'un conte philosophique dont la dimension critique est d'emblée affichée. Résumé I. Une illusion d'un monde parfait 1) Illusion du pouvoir structure du texte (ordre de présentation des personnages) champ lexical de la noblesse « soixante et onze quartiers « l.6 « car son château avait une porte et des fenêtres « l.8-9 « s'attirait par la une très grande considération « l.13 « ils l'appelaient tous monseigneur, et ils riaient quand il faisait des contes « l.11-12 2) Illusion philosophique Pangloss (tout en discours) « méta-physico-théologo-cosmolonigologie « l.19 « le château de monseigneur le baron était le plus beau des châteaux et madame la meilleure des baronnes possibles. « l.21 car ils vivent dans « ce meilleur des mondes possibles « l.20 II. Des personnages comiques 1) Valeur des noms propres le Baron (Thunder-ten-Tronckh) Cunégonde « haute en couleurs, fraiche, grasse, appétissante « l.15-16 Pangloss Candide 2) Candide passivité « jugement assez droit « l.3 « le petit candide écoutait « l.16 → il est apte à découvrir le monde III. Présentation de la suite du conte 1) Incipit traditionnel conte : « Il y avait « l.1 superlatifs 1 qualité/personne château réalité : « Westphalie « ridicule des personnages « c'est, je crois « l.3 ironie 2) Ironie « le fils du baron paraissait en tout digne de son père « l.16 « il prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sans cause « l.19-20

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« Observons maintenant de plus près les personnages présentés dans cet incipit.II.

Des personnages comiques Les noms propres sont pour Voltaire une occasion de donner libre cours à sa fantaisie verbale. 1) Des noms portraits L'étymologie ou les sonorités annoncent le caractère :• Thunder Ten Tronckh, par ses lourdes allitération en [t], tourne en dérision la lignée du baron ; l'étymologie de « Thunder », quiveut dire en anglais « tonnerre », ridiculise ironiquement ses prétentions.• Nous avons déjà vu le sens de du nom Pangloss, choisi pour critiquer la façon que le personnage a de toujours vouloir toutexpliquer.• Cunégonde est caractérisée par plusieurs adjectifs (l.15-16), « haute en couleurs, fraîche, grasse, appétissante » : elle est doncprésentée avant tout comme une jeune fille sensuelle, et la suite du conte confirmera cet aspect.• Candide enfin s'appelle du nom même de sa principale caractéristique : il aborde le monde avec innocence et crédulité.

Maisqu'apprend on sur lui dans cet incipit ? 2) Le personnage de Candide Nous avons vu que la bâtardise était un moyen pour Voltaire de remettre d'emblée en cause les prétentions de la noblesse.

Dansce début de conte, Candide est décrit dans une attitude passive : « on le nommait Candide » (l.4), « le petit Candide écoutait »(l.17).

Cette candeur implique aussi l'idée de pureté : il a le « jugement assez droit » (l.3).

La confrontation de cet esprit honnêteet juste avec un monde où règne le mal permettra à Voltaire de conduire et de mener à bien son entreprise critique. Après avoir étudié l'univers et les personnages présentés dans cet incipit, nous allons voir que l'extrait est aussi le moyen pourVoltaire de nous livrer un mode d'emploi pour la lecture du conte. III.

Présentation de la suite du conte 1) Utilisation du schéma traditionnel du conte Le texte présente certains éléments traditionnels des contes. • la formule « Il y avait...

» rappelle le début des contes de fées (« il était une fois ») ;• l'usage du superlatif (« les mœurs les plus douces » (l.2), « l'esprit le plus simple » (l.3), « le plus beau » (l.21), « la meilleure »(l.21)) caractérise un univers de perfection, qui échappe à nos lois habituelles ;• le château est bien le lieu traditionnel du bonheur et des aventures extraordinaires ;• la schématisation des personnages qui sont réduits à une seule qualité (candeur, orgueil, bavardage, sensualité) est aussi unecaractéristique du conte où les rôles sont stéréotypés (le roi, la princesse, la fée, la sorcière, etc.). Cependant, l'introduction de détails réalistes empêche le lecteur d'entrer dans la fiction d'un conte merveilleux :• la Westphalie est un nom propre bien connu qui renvoie à la réalité ;• l'union du terme noble « baron » avec le nom ridicule de « Thunder Ten Tronck » ridiculise la ligné, et le débat sur la bâtardisede Candide et le portrait grotesque de la baronne vont dans le même sens ;• Voltaire intervient directement dans le récit (l.4 « C'est, je crois, pour cette raison ») : cette mise en doute de la réalité décriteincite le lecteur à prendre une distance critique, à remettre en question les apparences ;• Enfin, l'ironie, arme favorite de Voltaire, est utilisée dés cet incipit et le lecteur la retrouvera tout au long du conte. 2) L'ironie Elle consiste à faire semblant de croire vraie une proposition manifestement fausse, de telle manière que le lecteur perçoive ledésaccord entre ce qui est dit et la vérité.

Ce moyen permet de tourner en ridicule un adversaire, de remettre en question sesidées.

Ainsi, lorsque Voltaire écrit à propos de Pangloss, à la ligne 19-20, « Il prouvait admirablement qu'il n'y a point d'effet sanscause », il fait semblant avec l'adverbe « admirablement » d'être d'accord avec Pangloss pour mieux faire ressortir la stupidité deses propos ; car c'est une évidence inutile à démontrer « qu'il n'y a point d'effet sans cause ».

Parfois, l'ironie est plus subtile.. »

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