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(Voltaire, ZADIG, ch. xviii) - LE BASILIC

Publié le 18/02/2011

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Le seigneur Ogul est un homme voluptueux qui ne cherche qu'à faire grande chère, et qui croit que Dieu l'a mis au monde pour tenir table. Il est d'un embonpoint excessif, qui est toujours prêt à le suffoquer. Son médecin, qui n'a que peu de crédit auprès de lui quand il digère bien, le gouverne despotiquement quand il a trop mangé. Il lui a persuadé qu'il le guérirait avec un basilic cuit dans de l'eau de rose. Le seigneur Ogul a promis sa main à celle de ses esclaves qui lui apporterait un basilic... ... Les femmes rentrèrent chez Ogul sans avoir rien trouvé. Zadig se fit présenter à lui, et lui parla en ces termes : « Que la santé immortelle descende du ciel pour avoir soin de tous vos jours! Je suis médecin, j'ai accouru vers vous sur le bruit de votre maladie, et je vous ai apporté un basilic cuit dans de l'eau de rose. « « Seigneur, on ne mange point mon basilic; toute sa vertu doit entrer chez vous par les pores. Je l'ai mis dans une petite outre bien enflée et couverte d'une peau fine : il faut que vous poussiez cette outre de toutes vos forces, et que je vous la renvoie à plusieurs reprises; et en peu de jours de régime vous verrez ce que peut mon art. « Ogul dès le premier jour fut tout essoufflé, et crut qu'il mourrait de fatigue. Le second il fut moins fatigué, et dormit mieux. En huit jours, il recouvra toute sa force, la santé, la légèreté et la gaieté de ses plus brillantes années. « Vous avez joué au ballon, et vous avez été sobre, lui dit Zadig : apprenez qu'il n'y a point de basilic dans la nature, qu'on se porte toujours bien avec de la sobriété et de l'exercice, et que l'art de faire subsister ensemble l'intempérance et la santé est un art aussi chimérique que la pierre philosophale, l'astrologie judiciaire, et la théologie des mages. «

Zadig vient de retrouver la reine Astarté qu'il aime. Mais elle est esclave du seigneur Ogul. Pour obtenir la liberté d'Astarté, Zadig va tenter de guérir Ogul. Cet épisode n'est pas du tout indispensable à l'action. Zadig pourrait retrouver et libérer Astarté d'une autre manière. Mais Zadig traverse le roman comme un redresseur des torts causés par la sottise, comme un Ésope pour qui chaque événement est la matière d'une fable avec sa morale. En insérant ici cette fable, Voltaire veut se l'ailler de la médecine et de la crédulité en général.

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« prendre que par les femmes; on doit le manger cuit dans de l'eau de rose; Ogul choisira pour épouse celle qui luiapportera un basilic.

Le mot basilic est répété dix fois au cours de ce chapitre et l'expression « cuit dans de l'eau derose » apparaît comme un refrain pour montrer l'obsession des personnages.

La sottise de toute cette confiancedévote est marquée par une courte phrase : « Les femmes rentrèrent chez Ogul sans avoir rien trouvé.

» Mais plus une chose est absurde, plus les hommes y croient, selon Voltaire.

Ils veulent être trompés.

C'est pourquoiZadig doit user d'un subterfuge.

Il feint de croire que la santé descend du ciel, dépend d'un être merveilleux, et nondes efforts de l'homme.

Il se fait passer pour un médecin plein de sollicitude pour les gens de qualité et, poursatisfaire la manie d'Ogul, il lui présente un prétendu basilic.

Par cette flatterie Ogul se laisse aussi facilementtromper que le roi de La Fontaine : Amusez les rois par des songesFlattez-les, payez-les d'agréables mensonges...Ils goberont l'appât...(Fables VIII, 14) III.

- LA THÉRAPEUTIQUE NATURELLE (De : Seigneur on ne mange point...

» à fin). a) Le faux basilic.Si Zadig avait directement conseillé à Ogul de prendre de l'exercice, jamais celui-ci n'aurait accepté un remède sisimple.

Les hommes tels qu'Ogul ne peuvent supporter la vérité.

Zadig continue donc à flatter la manie du patienttout en lui faisant faire ce qui est nécessaire.

L'expression « mon basilic » suggère que Zadig a un secret toutparticulier.

La « vertu » d'un remède était en médecine un mot magique qui expliquait tout (cf.

Ballet du Maladeimaginaire).

L'autorité et l'audace de Zadig, qui a eu tant d'aventures qu'il a l'expérience de toutes les situations,font que ses prescriptions sont docilement suivies. b) Effets du remède.De : Ogul dès le premier jour...

» à : brillantes années).Trois phrases courtes indiquent les effets.

Les deux premières phrases se composent de deux propositionsjuxtaposées, et marquent le progrès.

La troisième phrase, qui n'a qu'une proposition, résume tous les effets.

Voltairen'insiste pas sur le détail. c) Leçon donnée par Voltaire.Une fois le malade guéri, le médecin peut détruire l'illusion qui a permis cette guérison : « Apprenez qu'il n'y a pointde basilic dans la nature ».

Puis vient la morale du chapitre : « On se porte toujours bien avec de la sobriété et del'exercice.

» Cette vérité fondamentale est exprimée en un langage simple, terre-à-terre.

Le but du romanphilosophique n'est pas, pour Voltaire, d'amuser le lecteur par des contes orientaux (le conte est, comme le basilic,une manière de faire passer la vérité), mais de rappeler des principes de bon sens classiques que la fausse sciencede l'homo sapiens a oubliés.Voltaire insiste souvent dans ses livres et ses lettres sur ce conseil banal.

Il était lui-même sec, maigre, nerveux; àFerney il déployait une certaine activité physique, bêchait parfois son jardin, comme Candide.

Souvent malade, ouse prétendant tel, toujours actif, Voltaire écoutait avec amusement ce que disaient ses médecins, et en faisait à satête, se moquait d'eux (l'attitude de J.-J.

Rousseau est analogue). Cette idée toute classique est la répétition textuelle d'un précepte fondamental d'Hippocrate.

Cette méfiance enversla médecine et cette préférence accordée à la nature se trouvent avant Voltaire chez Sénèque, Rabelais, Montaigne(Essais, II, 37), La Bruyère (Portrait d' Irène), Fénelon.D'une façon plus générale, Voltaire estime que l'homme doit trouver en lui-même les remèdes à tous les maux, nepas s'en remettre à une puissance surnaturelle ou imaginaire, mais s'aider lui-même.

« Il n'y a point de basilic dans lanature » veut dire : il n'y a pas de miracle, point de surnaturel.

La nature seule nous offre assez de ressources pourremédier à tout.Voltaire condamne avec une sécheresse catégorique toutes les illusions humaines : le paradoxe consistant à « fairesubsister ensemble l'intempérance et la santé », la recherche de la pierre philosophale qui, selon certainsalchimistes, devait permettre de transformer les métaux en or (dispensant l'homme de tout effort personnel),l'astrologie judiciaire, c'est-à-dire l'art trompeur permettant de préjuger de l'avenir en regardant les astres (cf.

LaFontaine : Fables II, 13).L'auteur de Zadig apparaît ici comme un rationaliste ennemi des paresseux, des oisifs, mettant la médecine sur lemême plan que les superstitions.

Zadig est de 1747 ; en 1756, trois ans avant Candide, Voltaire, devenu pluseffronté et plus sûr de sa position, ajoute : « et la théologie des mages ».

Les mages sont les prêtres et docteurschrétiens.

Ainsi le basilic devient le symbole de la croyance au surnaturel, à un Dieu qui ferait des miracles pournous dispenser d'accomplir nos devoirs naturels .. »

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