Devoir de Philosophie

Vous réfléchirez au conseil que donnait Voltaire à une jeune correspondante qui le consultait sur le choix de ses lectures : «Je vous invite à ne lire que les ouvrages qui sont depuis longtemps en possession des suffrages du public, et dont la réputation n'est point équivoque. Il y en a peu, mais on profite bien davantage en les lisant qu'avec tous les mauvais petits livres dont nous sommes inondés.» (Lettre à Louise Menon du 20 juin 1756, in Voltaire, Correspondance, Pléiade, t. IV, p

Publié le 18/12/2010

Extrait du document

voltaire

...

voltaire

« II La culture littéraire refuse l'éphémère Sans doute le mouvement du monde, qui s'est infiniment précipité depuis le classicisme, et surtout depuis Voltaire,nous rend toutes ces idées bien lointaines.

Nourris de romantisme, nous avons tendance à considérer le chef-d'oeuvre plutôt dans son élan historique que dans sa valeur éternelle, à mêler l'efficacité actuelle à la valeurlittéraire.

Nous croyons moins au chef-d'oeuvre comme nébuleuse isolée, nous ressentons davantage la continuitéde la littérature et des ébauches qui relèvent de la sous-littérature.

Et pourtant quiconque veut se cultiver,quiconque veut «profiter» en lisant ne sent-il pas en lui comme un profond besoin de valeurs indépendantes descirconstances et du sol glissant de l'histoire ? 1 En effet, si une oeuvre est considérée comme le modèle incomparable d'un genre, si par exemple les tragédies deRacine nous semblent les types achevés de la tragédie classique, ce n'est évidemment pas seulement parce qu'ellescomblent l'appel d'un moment historique.

D'autres, comme Quinault, le comblaient peut-être aussi bien.

C'est plutôtparce qu'en amenant un genre à sa perfection, Racine l'a, pour ainsi dire, dégagé de l'histoire : ce tragique duDestin, qu'est-ce d'autre que l'accomplissement du genre ? et si nous relisons Racine, n'est-ce pas parce que, aprèsune suite d'ébauches qui, elles, relèvent de l'histoire, il a trouvé un point d'équilibre qui semble échapper à celle-ci ? 2 De même, pourquoi avons-nous l'impression que les caractères tracés dans ces ouvrages «depuis longtemps enpossession des suffrages du public» sont, en quelque sorte, définitivement valables ? On répond d'habitude quec'est parce qu'ils sont universels.

Mais le mot est dangereux, car il implique comme une pâle image générale del'avare, de l'hypocrite, etc.

Certains travaux de la critique moderne (Bénichou, Goldmann, etc.) ont montré commentcet «homme universel» du classicisme a été en fait une illusion de la classe bourgeoise au moment où celle-cis'emparait de la réalité du pouvoir sous le règne de Louis XIV et, à la différence de la féodalité de la première moitiédu siècle que peint encore Corneille, se voyait elle-même comme un modèle humain universellement valable.

Il seraitdonc plus exact de dire que les portraits classiques, partant bien entendu de circonstances historiques précises, selaissent charger de tout ce que les époques ultérieures voudront y voir.

Néron, dans Britannicus, n'est pas le type universel du despote, ni la princesse de Clèves, le modèle éternel de la femme mariée, tentée et vertueuse, mais legénie «classique» (cet adjectif étant pris dans son sens le plus large) est d'avoir permis à ces peintures qui sont, enréalité, celles de princes ou de princesses du XVIIe siècle, de fournir des références éternelles pour nos réflexionssur le despotisme ou la tentation.

De ce point de vue, un Julien Sorel ou un Rastignac sont également classiques,parce que, bien plus présents, bien plus intimes que Napoléon ou Talleyrand, ils ont offert depuis deux siècles desthèmes indéfinis à la rêverie des ambitieux de toutes sortes. Dans le flot mouvant des individus réels, de telles références nous sont indispensables pour connaître l'homme, et lalecture peut seule nous les fournir. 3 Au-delà de l'équilibre des genres, au-delà de la richesse de la psychologie, les grandes oeuvres répondent donc ànotre besoin d'éternité en nous offrant des types de problèmes, d'inquiétudes, d'angoisse éternels.

Même sil'angoisse de tel écrivain n'est pas tout à fait la nôtre, là encore elle est une référence à laquelle nous nousaccrochons.

Le bourgeois bordelais Mauriac était assez loin, à bien des égards, des bourgeois jansénistes du XVIIesiècle que furent Pascal ou Racine et il les étudie néanmoins pour mieux se comprendre lui-même (La 'Vie de Jean Racine, 1928 ; Blaise Pascal et sa soeur, 1931).

C'est ce que Baudelaire veut dire quand, dans son poème Les Phares, il évoque la façon dont les grands peintres du passé constituent les uns pour les autres et pour nous un système d'échos répétés, de lumière renvoyée, d'appels indéfiniment multipliés : «C'est pour les coeurs mortels undivin opium.» Bref, en prêtant un sens plus large au mot de Voltaire, nous pouvons dire qu'il nous rappelle que la culture, avantd'être une frénétique poursuite de l'actualité, est la reconnaissance de quelques points d'équilibre, de quelquesréférences humaines par rapport auxquels nous nous ordonnons.

Elle est donc bien, d'une certaine façon, la lecturedes ouvrages qui sont «depuis longtemps en possession des suffrages du public». III La lecture n'est pas non plus une visite de musée Et pourtant nous ne pouvons cacher quelque déception de nous sentir ainsi contraints par Voltaire à parcourir unpeu froidement, presque objectivement, le musée des grands chefs-d'oeuvre du passé. 1 Voltaire ne tend-il pas, en effet, à nous interdire le choix ? La vraie culture lui paraît en quelque sorte la mêmepour tout le monde : qu'elle soit avant tout rencontre, révélation de soi-même à soi-même dans des espèces decoups de foudre littéraires semble lui échapper totalement.

Sa conception trop scolaire laisse donc de côtél'influence pour ne conduire qu'à l'imitation.

Aussi bien son erreur sera-t-elle d'avoir vu dans les classiques desmodèles à imiter (comme certains étudiants croient qu'il faut imiter un modèle de dissertation !) plus que des maîtresdont la première leçon est qu'il ne faut pas leur ressembler.

Il oublie ici combien la culture est une présence d'esprità esprit et combien les effets de cette présence sont imprévisibles. 2 De même, sous prétexte que les grands écrivains sont devenus éternels, ne tend-il pas à nous placer et à seplacer lui-même trop vite dans une imitation d'éternité ? Autrement dit, il méconnaît cette grande dualité queBaudelaire mettra en évidence à propos de Constantin Guys (article cité) : toute oeuvre d'art doit allier la«modernité» du prétexte à l'éternité des résonances.

Voltaire lui-même, écrivant ses tragédies, ne s'est pasdemandé si la forme tragique classique était bien adaptée aux problèmes du XVIIIe siècle : il a cru que par elle-même elle suffirait à éveiller chez le spectateur des résonances éternelles comme celles qu'il percevait chez les. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles