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Le XVIIe siècle avait condamné dans Dom Juan de Molière une pièce « où la gloire de Dieu est ouvertement attaquée, où la foi est exposée aux insultes d'un bouffon qui fait commerce de ses mystères et qui en prostitue la sainteté, où un athée, foudroyé en apparence, foudroie en effet et renverse tous les fondements de la religion. » (Observations... du sieur de Rochemont, 1665). On a soutenu, depuis, que Dom Juan était une pièce profondément chrétienne : vous vous attacherez à montrer c

Publié le 17/02/2011

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juan

En trois siècles, Dom Juan a totalement changé de visage. Pièce « athée « condamnée comme telle par le XVIIe siècle, exaltée comme telle par le XVIIIe, il a fallu attendre 1948 et Louis Jouvet pour que Dom Juan, représenté à la Comédie-Française, renouvelé et débarrassé de sa légende, apparût dans sa vérité profonde, humaine et douloureuse, une pièce éminemment chrétienne. Molière, en effet, n'a pas pris à son compte le libertinage de Dom Juan, pas plus, d'ailleurs, qu'il n'a endossé l'avarice d'Harpagon, l'hypocrisie de Tartuffe ou la vanité de Monsieur Jourdain. Mais les traits décochés aux gestes hypocrites, Molière les décochait au nom de la morale — d'une morale sincèrement chrétienne — et c'est ce que ne lui a point pardonné une société qui, malgré le zèle d'une élite, n'avait guère conservé du christianisme que les pratiques extérieures.

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« LA LUTTE DE L'HOMME ET DE LA GRACE Ainsi, dans la perspective de l'affrontement de l'homme libre et de la grâce, les divers tableaux qui composent lapièce peuvent se grouper en deux séries ; la première : les paysannes (Acte II, sc.

2, 3, 4), le pauvre (Acte III, sc.2), Monsieur Dimanche (Acte IV, sc.

3), Done Elvire (Acte IV, sc.

6) et Dom Louis (Acte V, 1), brosse le portrait deDom Juan : voluptueux, inconstant, « épouseur à toutes les mains », blasphémateur, contempteur et corrupteur,sans foi ni loi et qui ajoute à ses crimes le comble de l'hypocrisie, autre forme de libertinage (cf.

La Bruyère, DesEsprits forts), « fort méchant homme » en somme, mais au demeurant grand seigneur, capable de magnanimité et depanache, comme le fait apparaître la scène du duel (Acte III, sc.

3-4).

C'est donc à ce libertin de haut vol, à cetteâme rivée à la terre et à ses voluptés que le Ciel va s'attaquer.

La seconde série d'épisodes concrétise la lutteintérieure; au fur et à mesure que les avertissements du Ciel se font plus pressants, le drame va s'intensifiant.

Troistableaux permettent de suivre le durcissement progressif du libertin jusqu'au fameux : « Non, non, il ne sera pas dit,quoi qu'il arrive, que je sois capable de me repentir.

» (Acte V, sc.

5), par lequel Dom Juan signe sa condamnationéternelle.

Ces trois signes, le naufrage (Acte II, sc.

2), la statue du Commandeur (Acte IV, sc.

1) et le spectre(Acte V, sc.

1) atteignent successivement Dom Juan dans ses relations galantes, dans ses rapports sociaux et danssa vie religieuse; ils touchent l'homme tout entier et il est curieux de constater que Sganarelle les traduit en langageclair — ce sont à ses yeux des appels à la conversion — tandis que son maître s'applique à exercer sur eux un espritqu'il est possible de dire positiviste avant la lettre.Ainsi Dom Juan, réchappé de justesse d'un naufrage, travaille tout aussitôt à de nouvelles conquêtes, sans teniraucun compte de la leçon que son valet tire de l'incident : « Monsieur, j'avoue que vous m'étonnez.

A peinesommes-nous échappés d'un péril de mort, qu'au lieu de rendre grâce au Ciel de la pitié qu'il a daigné prendre denous, vous travaillez tout de nouveau à attirer sa colère par vos fantaisies accoutumées et vos amours cr...

».

Unautre que Dom Juan, y voyant le doigt de la Providence, se fût sans doute converti sur-le-champ, à l'exemple dePascal échappant à un accident de voiture au Pont de Neuilly.

Mais cet esprit fort n'y voit, lui, qu'un phénomènenaturel; c'est, dit-il, « une bourrasque imprévue.

» Insensible à ce premier appel à la conversion, Dom Juan en reçoitun autre, plus brutal par son étrangeté : la statue du Commandeur s'anime...Sganarelle de commenter : « Monsieur, ne cherchez point à démentir que nous avons vu des yeux que voilà.

Il n'estrien de plus véritable ce signe de tête; et je ne doute point que le ciel, scandalisé de votre n'ait produit ce miraclepour vous convaincre, et pour vous retirer de...

» — Mais cette fois encore : « Voilà de mes esprits forts, qui neveulent croire » et pour Dom Juan ce signe de tête n'est qu'une hallucination un simple effet d'optique : « C'est unebagatelle, et nous pouvons avoir été trompés par un faux jour, ou surpris de quelque vapeur qui nous ait troublé lavue.

» — Comment ne point évoquer ici la parabole du pauvre Lazare et la réponse que fit Abraham au mauvais richedésireux que quelqu'un d'entre les morts aille prier ses frères de changer de vie : « Même si quelqu'un ressuscited'entre les morts, ils ne seront pas convaincus! » (Luc.

xvi-31).Enfin, plus extraordinaire et plus brutal encore, l'avertissement suprême, le spectre.

« Dom Juan n'a plus qu'unmoment à pouvoir profiter de la miséricorde du ciel; et s'il ne se repent ici, sa perte est résolue.

» Sourd auxsupplications de son valet : « Ah ! Monsieur, rendez-vous à tant de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir »,Dom Juan tient à vérifier de son épée « si c'est un corps ou un esprit.

» Tout est fini.

Dom Juan s'enferme dans unorgueil luciférien et rejetant les avertissements que le ciel lui a prodigués, il marche vers son châtiment en redisantle « Non serviam, non, je ne m'humilierai pas » que Bourdaloue mettait sur les lèvres du libertin.Au terme de cette lutte dramatique, Dom Juan est consumé par le feu de l'enfer que le curé de Saint-Barthélemy, àpropos du Tartuffe, dans un panégyrique de Louis XIV, appelait de ses voeux sur Molière : « Il méritait, par cetattentat sacrilège et impie, un dernier supplice exemplaire et public, et le feu même avant-coureur de celui del'enfer, pour expier un crime si grief de lèse-majesté divine...

» (Le Roy glorieux au monde ou Louis XIV le plusglorieux de tous les rois du monde, édit.

P.

Lacroix, Genève, 1867).Dom Juan n'est pas victime de l'arbitraire de la Prédestination; jusqu'au dernier moment il a bénéficié de grâcesd'illumination qui sont, par sa faute, restées sans effet; car il aurait suffi, même au seuil de son éternité, que DomJuan consentît à reconnaître ses crimes pour qu'il trouvât en même temps que son pardon, sa place au milieu desélus.

Son orgueil l'a perdu.

Depuis qu'il a dit non à Dieu, ?homme est devenu un champ clos où s'affrontent laconcupiscence, source de tous les désordres, et la grâce, source de toute justification; mais il incombe à la libertéde l'homme de décider de l'issue du combat.

Or dans un siècle où la doctrine de la Grâce et la question de laPrédestination suscitaient tant de commentaires et donnaient lieu à de si grandes querelles, Dom Juan, — il convientde le souligner — illustre à merveille le dogme catholique selon lequel Dieu donne sa grâce à tout homme quel qu'ilsoit : qui se damne, se damne par sa propre faute.Il est curieux de constater que le jour même, 15 février 1665, où le Pape Alexandre VII promulguait la Bulle RegiminisApostolici qui enjoignait aux Jansénistes la signature du Formulaire, Molière créait Dom Juan sur la scène du PalaisRoyal, à Paris.

Ce serait une grossière erreur d'y voir autre chose qu'une simple coïncidence, mais l'on peut affirmersans crainte que la « morale » de la pièce : Une méchante vie conduit à un, méchante mort » (Acte I, sc.

1) n'estpas éloignée de la conclusion d'u Bourdaloue : « Sans nous, Dieu ne veut pas accomplir l'oeuvre de notsanctification.

» ( Sermon sur la Prédestination). CoNcLusioN Loin de prôner le libertinage, Molière touchait au problème essentiel de la destinée humaine, celui du salut.

Le XVIIesiècle, grand amateur d'allégorie, s'était complu à voir sous le nom de Dom Juan celui des libertins les plus fameux :. »

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