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Zadig de Voltaire - Chapitre 2 (II) - Commentaire

Publié le 15/02/2011

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Un jour Azora revint d'une promenade, tout en colère, et faisant de grandes exclamations. Qu'avez-vous, lui dit-il, ma chère épouse ? qui vous peut mettre ainsi hors de vous-même ? Hélas ! dit-elle, vous seriez indigné comme moi, si vous aviez vu le spectacle dont je viens d'être témoin. J'ai été consoler la jeune veuve Cosrou, qui vient d'élever, depuis deux jours, un tombeau à son jeune époux auprès du ruisseau qui borde cette prairie. Elle a promis aux dieux, dans sa douleur, de demeurer auprès de ce tombeau tant que l'eau de ce ruisseau coulerait auprès. Eh bien ! dit Zadig, voilà une femme estimable qui aimait véritablement son mari! Ah ! reprit Azora, si vous saviez à quoi elle s'occupait quand je lui ai rendu visite! A quoi donc, belle Azora ? Elle faisait détourner le ruisseau. Azora se répandit en des invectives si longues, éclata en reproches si violents contre la jeune veuve, que ce faste de vertu ne plut pas à Zadig.  Il avait un ami, nommé Cador, qui était un de ces jeunes gens à qui sa femme trouvait plus de probité et de mérite qu'aux autres : il le mit dans sa confidence, et s'assura, autant qu'il le pouvait, de sa fidélité par un présent considérable. Azora ayant passé deux jours chez une de ses amies à la campagne, revint le troisième jour à la maison. Des domestiques en pleurs lui annoncèrent que son mari était mort subitement, la nuit même, qu'on n'avait pas osé lui porter cette funeste nouvelle, et qu'on venait d'ensevelir Zadig dans le tombeau de ses pères, au bout du jardin. Elle pleura, s'arracha les cheveux, et jura de mourir. Le soir, Cador lui demanda la permission de lui parler, et ils pleurèrent tous deux. Le lendemain ils pleurèrent moins, et dînèrent ensemble. Cador lui confia que son ami lui avait laissé la plus grande partie de son bien, et lui fit entendre qu'il mettrait son bonheur à partager sa fortune avec elle. La dame pleura, se fâcha, s'adoucit ; le souper fut plus long que le dîner ; on se parla avec plus de confiance. Azora fit l'éloge du défunt ; mais elle avoua qu'il avait des défauts dont Cador était exempt.  Au milieu du souper, Cador se plaignit d'un mal de rate violent ; la dame, inquiète et empressée, fit apporter toutes les essences dont elle se parfumait, pour essayer s'il n'y en avait pas quelqu'une qui fût bonne pour le mal de rate ; elle regretta beaucoup que le grand Hermès ne fût pas encore à Babylone ; elle daigna même toucher le côté où Cador sentait de si vives douleurs. Etes-vous sujet à cette cruelle maladie ? lui dit-elle avec compassion. Elle me met quelquefois au bord du tombeau, lui répondit Cador, et il n'y a qu'un seul remède qui puisse me soulager: c'est de m'appliquer sur le côté le nez d'un homme qui soit mort la veille. Voilà un étrange remède, dit Azora. Pas plus étrange, répondit-il, que les sachets du sieur Arnoult contre l'apoplexie. Cette raison, jointe à l'extrême mérite du jeune homme, détermina enfin la dame. Après tout, dit-elle, quand mon mari passera du monde d'hier dans le monde du lendemain sur le pont Tchinavar, l'ange Asrael lui accordera-t-il moins le passage parce que son nez sera un peu moins long dans la seconde vie que dans la première ? Elle prit donc un rasoir; elle alla au tombeau de son époux, l'arrosa de ses larmes, et s'approcha pour couper le nez à Zadig, qu'elle trouva tout étendu dans la tombe.Zadig se relève en tenant son nez d'une main, et arrêtant le rasoir de l'autre. Madame, lui dit-il, ne criez plus tant contre la jeune Cosrou ; le projet de me couper le nez vaut bien celui de détourner un ruisseau. 

Dans ce texte, les préoccupations artistiques de Voltaire semblent l'emporter sur les intentions philosophiques. Zadig, victime de la Providence, passe à l'arrière-plan. Voltaire s'y révèle impitoyable analyste des cœurs; avec la justesse d'un coup d'oeil qui pénètre, juge, mais ne s'indigne pas, il nous indique comment Azora joue la comédie de la vertu et de la respectabilité devant elle-même, devant son mari, et se défend avec véhémence de ce qu'elle convoite en secret. Sous la forme d'un symbole bouffon frappant par son irréalité même, Voltaire nous montre jusqu'à quel degré d'aberration peut s'égarer le jugement d'une femme naïve, chez qui la passion éteint le sens critique, quand le rêve qu'elle caressait sans espoir de s'y abandonner devient une grisante réalité.

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« Voltaire fait ressortir la candeur de cette foi aveugle dans le succès d'un tel marchandage, dont les dieux nepeuvent être dupes, aussi bien que le besoin d'excuser le parjure en lui donnant de légitimes excuses, de faire le malen ayant l'air de faire le bien, du moins en se gardant des apparences du mal. « Azora se répandit en invectives si longues, éclata en reproches si violents contre la jeune veuve, que ce faste devertu ne plut pas à Zadig.

» Voltaire fait ressortir le caractère factice d'une véhémence de façade, et réveil du soupçon chez Zadig, qui discernel'indignation véritable de la contrefaçon ostentatoire, destinée à donner le change sur la culpabilité d'uneapprobation secrète. « Ii avait un ami, nommé Cador, qui était un de ces jeunes gens à qui sa femme trouvait plus de probité et de méritequ'aux autres.

» Le soupçon prend corps chez Zadig, ainsi que le désir d'une mise à l'épreuve. Avec un jugement sûr, il songe au complice susceptible d'assurer à la mise en scène dont il a mentalement esquisséles grandes lignes, un maximum de succès.

Il sait que les éloges qu'Azora fait de Cador sont inspirés par uneattirance très réelle qu'elle dissimule, afin de donner le change, sous la forme d'une estime de bon aloi, basée sur lapossession de solides qualités morales. « Il le mit dans la confidence, et s'assura autant qu'il le pouvait, de sa fidélité par un présent considérable.

» Ici réapparaît le réalisme psychologique de Voltaire.

Celui-ci connaît la puissance de l'argent, et voit en lui un mobilepuissant.

Il sait, d'autre part, que la confiance à accorder à une promesse ne peut être que relative.

« Azora ayant passé deux jours chez une de ses amies à la campagne, revint le troisième jour à la maison.

Desdomestiques en pleurs lui annoncèrent que son mari était mort subitement la nuit même, qu'on n'avait pas osé luiporter cette funeste nouvelle, et qu'on venait d'ensevelir Zadig dans le tombeau de ses pères, au bout du jardin.

» La comédie est parfaitement orchestrée, étayée sur un faisceau de preuves : la localisation dans le temps, celle dulieu de la sépulture, le scrupule même, qui a imposé un délai sans lequel Azora eût été brutalement terrassée, toutcontribue à créer la certitude, « Elle pleura, s'arracha les cheveux, el jura de mourir.

» Tout en ayant l'air de noter objectivement les faits, sous une apparence de sérieux, Voltaire, avec un scepticismeamusé, constate la progression d'un sentiment qui va du chagrin à l'emportement, d'un désespoir bruyant, et audétachement de la vie, alors que celle-ci lui présente la perspective d'un bonheur longuement caressé. « Le soir, Cador lui demanda la permission de lui parler, et ils pleurèrent tous deux.

» Après quelques heures de désespoir tumultueux, la venue du soir a séché les larmes, et Cador attend son heure.Affectant le respect d'une douleur dans laquelle un aussi brusque veuvage a plongé Azora, il veut éviter une visitespontanée qui serait offensante, et fait semblant de solliciter une autorisation qu'il sait d'emblée accordée.

Lacomédie commence.

L'un feignant de regretter l'époux, l'autre l'ami, larmoyants, ils s'observent à la dérobée,cachant tous deux une allégresse intérieure qu'ils s'efforcent de travestir en chagrin éploré.

Cador se réjouit de voirle succès de la comédie si bien amorcé : ce début prometteur lui fait augurer favorablement de la fin.

Azora essaiede sauver les apparences et de ne pas s'abandonner à une joie indécente, et cependant si doucement ressentie. « Le lendemain, ils pleurèrent moins et dînèrent ensemble.

» A mesure que les heures passent, les scrupules d'Azora se manifestent sans intransigeance; la tension nerveuse estcalmée, le torrent de larmes est à demi tari, et fait place à un dîner en tête-à-tête, au cours duquel l'ombre du morts'estompe, et où l'intimité se crée. « Cador lui confia que son ami lui avait laissé la plus grande partie de son bien, et lui fit entendre qu'il mettrait sonbonheur à partager sa fortune avec elle.

» L'heure des confidences est venue; celle des aveux va suivre, mais ils sont présentés sous une forme allusive;Cador semble se faire un scrupule de rouvrir une blessure mal fermée, et présente à Azora la perspective d'unbonheur confortable, dont Zadig lui-même aura été Y ouvrier. « La Dame pleura, se fâcha, s'adoucit.

» Voltaire note malicieusement les étapes : celle des larmes insincères, de la joie qui prend les apparences de. »

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