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Analyse de l'oeuvre l'Etranger

Publié le 16/05/2017

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L'apparition du roman au dix-septième siècle remet en question la notion de \"personnage\" et de \"héros\". Le \"héros\" n'est plus une personne qui se distingue par ses qualités exceptionnelles mais désigne le protagoniste du roman. Ce changement s'explique par la volonté des romanciers de créer des personnages plus proches de la réalité. Ainsi, le personnage principal du roman est radicalement opposé au héros antique. Il ne défend pas de nobles causes et ne possède pas de pouvoirs surhumains. En réalité, il se rapproche beaucoup plus de ce que pourrait être le lecteur, de part ses sentiments et son parcours de vie. De plus, le roman est un genre littéraire à caractère polymorphe et qui s'adapte par conséquent aux différents bouleversements du monde au fil des siècles. Le personnage du roman subit lui aussi ce changement perpétuel, nous allons donc constater son évolution. Après le délitement de la dimension héroïque du héros au XVIIe siècle, les protagonistes des romans romantiques, réalistes et naturalistes sont indissociables de la société dans laquelle ils évoluent. En effet, le genre littéraire du roman et son personnage plus proche de la réalité offrent au romancier la possibilité d'exprimer son point de vue sur la société de son époque. Apparaissent donc les héros médiocres, véritables satyres des conditions sociales. On compte par exemple Frédéric Moreau dans L’Éducation sentimentale (Flaubert, 1869) qui semble être acteur de sa propre vie, mais aussi Manon Lescaut (Abbé Prévost, 1731) qui dépeint la société comme cruelle et abondante de tentations en tout genre. Le XXe siècle quant à lui témoigne à travers la littérature des profonds traumatismes des deux guerres mondiales, de la découverte des crimes nazis, des bombardements atomiques. De plus, les avancées majeures dans le domaine de la psychanalyse offrent de nouveaux outils aux romanciers qui explorent la part inconsciente de l'esprit humain. Ainsi, cela implique la formation de nouvelles techniques d'écriture et d'énonciation comme le monologue intérieur. Cette mutation profonde du genre se ressent forcément sur les personnages. On assiste à ce qu'on pourrait appeler « la mort du héros ». La perte de confiance et le manque de foi en l'individu en sont les principales causes. Les protagonistes ne sont ordinaires, suivent une routine quotidienne banale, et les valeurs chevaleresques sont complètement remises en question puisque les auteurs explorent également les côtés plus sombres de l'être humain. On retrouve ainsi des personnages, nommés « anti-héros » qui véhiculent un vision dysphorique du monde mais qui présentent aussi certaines différences. Un anti-héros peut être un personnage qui n'agit pas, qui laisse la vie le porter sans chercher à influer sur son destin. Il est bercé par la monotonie de son quotidienne et les éléments qui bouleversent sa vie, si éléments il y a, ne le font réagir d'aucunes manières. Un anti-héros peut également désigner quelqu'un de détestable par le lecteur, de par ses actions ou pensées immorales. Meursault est un anti-héros qui appartient au deux catégories car il découle d'une philosophie apparue vers 1938, dans le roman comme au théâtre : la philosophie de l'absurde. Adopté par Ionesco, Beckett, Sartre et bien sur Camus, ce concept philosophique est né de la prise de conscience du caractère machinal de l'existence et de la certitude de la mort au bout d'une vie. Les grands principes de la philosophie de l'Absurde soulevés par Albert Camus dans ses œuvres sont que la vie est dénuée de sens et par conséquent que la force d'un homme réside dans sa capacité à accepter et assumer l'absurdité du monde. L'Absurde est ainsi la conséquence de a confrontation de l'homme avec un monde qu'il ne comprend pas et qui est incapable de donner un sens à sa vie. Une citation de Camus définit vraiment ce concept : « Ce divorce entre l'homme et sa vie, l'acteur et son décor, c'est proprement le sentiment de l'absurdité. » Mais pour l'auteur, il n'est pas question de renoncer face à l'absurdité de la vie. Il s'agit de dépasser l'absurde avec des moyens purement humains sans l'aide d'un appui religieux ou d'une quelconque idéologie. Ce concept de révolte développé dans L'Homme révolté (Camus, 1951) se retrouve dans le personnage de Meursault qui n'accepte pas les normes de la société et rejette l'hypothèse religieuse, ce qui fait de lui un Étranger. L’Étranger fut par ailleurs écrit en 1940 et publié en 1942 à Paris. L'action se déroule en Algérie alors qu'elle est encore une colonie française, et le protagoniste du roman, Meursault, est un pied noir. Cette information n'est d'ailleurs pas confirmée, on sait très peu de chose du personnage, mise à part son nom de famille. Il s'écarte des traditionnels codes du roman car il n'est pas caractérisé ni par un prénom ni par un passé ou autre. Son identité fuyante rend impossible de le définir clairement, il échappe aux catégories classiques de la psychologie ce qui fait de lui un personnage complexe. Et pourtant la focalisation interne et l'utilisation de la première personne du singulier permettent au lecteur de connaître les pensées de Meursault, lui donnant ainsi l'envie de s'identifier au personnage qu'il ne parvint pas à cerner complètement. Cela à pour objectif d'inciter le lecteur à s'interroger et à prendre de la distance par rapport à l'histoire. Cela rejoint un des principes de l'Absurde qui est de faire réfléchir le spectateur sur la condition humaine et son rapport avec le monde. L'incipit du roman est un bon exemple pour illustrer cette particularité du roman. L'originalité de l’œuvre réside en partie dans ses premières phrases : « Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut être hier je ne sais pas. ». La réalité brutale est atténuée par l’hésitation de Meursault et par le caractère banal qui est conféré à cette information. Le lecteur est ainsi brutalement « J'ai résumé L’Étranger, il y a longtemps, par une phrase dont je reconnais qu'elle est très paradoxale : 'Dans notre société tout homme qui ne pleure pas à l'enterrement de sa mère risque d'être condamné à mort.' Je voulais dire seulement que le héros du livre est condamné parce qu'il ne joue pas le jeu. En ce sens, il est étranger à la société où il vit, il erre, en marge, dans les faubourgs de la vie privée, solitaire, sensuelle. Et c'est pourquoi les lecteurs ont été tentés de le considérer comme une épave. Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple : il refuse de mentir. » (Albert Camus) Dès le début du roman, Meursault refuse de se prêter au jeu social et d'en adopter les conventions comme la forme de respect requise à un enterrement. Car il attribue à l'existence une signification factice. Mais il ne cherche pas la provocation avec son attitude négative car celle-ci est dotée d'une forme d'innocence et de quiétude. Il semble ne ressentir ni chagrin ni amour, toute décision lui est égale. La preuve en est lorsque Marie, une jeune femme qu'il fréquente, lui demande sa main et qu'il montre alors une grande indifférence face à l'engagement. Son caractère passif et inébranlable face à n'importe quelle situation fait de lui un anti-héros, mais pas seulement. Meursault compte plus d'actions immorales qu'illégales : son comportement détaché lors de la veillée et l'enterrement de sa mère (Partie I ; Chapitre 1), son inaction face au mauvais traitement que son voisin Salamano fait subir à son chien (I;3) et également lors de la dispute violente entre son voisin et ami Raymond et sa maîtresse. Pourtant c'est la seule action illégale qu'il commettra qui sera le climax du roman et de la philosophie de l'absurde : le meurtre de l'Arabe. Cette scène est le point culminant de l’œuvre pour de multiples raisons. L'environnement joue un rôle très important car la chaleur étouffante et la luminosité aveuglante seront le déclencheur de l'action funeste ; de plus la rencontre avec l'Arabe est réitérée plusieurs fois avant que l'irréparable ne soit commis, ce qui laisse la scène et le lecteur en suspens. C'est le meurtre et la machine judiciaire que celui-ci met en marche qui vont créer une situation radicalement différente. Meursault, jusque là placide face au monde qui l'entoure, est contraint par une impitoyable procédure de collaborer de « jouer au jeu social », sous peine de mort. Il sent qu'on attend de lui qu'il reconnaisse sa culpabilité, qu'il montre du remord. Mais cela reviendrait selon lui à se soumettre aux juges en adoptant une image compatible avec les valeurs qui sont justes à leur yeux. Il persiste alors dans l'attitude négative qui le caractérise et garde le silence, se refusant aux grands plaidoyers. Et c'est pour ce silence qu'il sera condamner. Mais le moment où Meursault incarne réellement la philosophie de l'Absurde est lorsque l’aumônier de la prison vient lui rendre visite. Il cherche à obtenir de lui qu'il se tourne enfin vers Dieu, au crépuscule de sa vie. Pour Meursault, comme pour Camus, cela reviendrai à reconnaître finalement l'existence de quelque chose qui donne un sens à sa vie. Tout change alors, au lieu de s'enfermer dans son silence et son comportement placide habituels Meursault prend la parole. Avec violence, il exprime enfin son désir de révolte : « Je déversais sur lui tout le fond de mon cœur avec des bondissements mêlés de joie et de colère. Il avait l'air si certain, n'est-ce pas ? Pourtant, aucune de ces certitudes ne valait un cheveu de femme. Il n'était même pas sûr d'être en vie puisqu'il vivait comme un mort. Moi, j'avais l'air d'avoir les mains vides. Mais j'étais sûr de moi, sûr de tout, plus sûr que lui, sûr de ma vie et de cette mort qui allait venir. Oui, je n'avais que cela. Mais du moins, je tenais cette vérité autant qu'elle me tenait. J'avais eu raison, j'avais encore raison, j'avais toujours raison. » Cette vérité dont il parle est le grand principe de l'Absurde, qu'il exprime ensuite : « J'avais vécu de telle façon et j'aurai pu vivre de telle autre. J'avais fait ceci et je n'avais pas fait cela. Je n'avais pas fait telle chose alors que j'avais fait telle autre. Et après ? C'était comme si j'avais attendu pendant tout le temps cette minute et cette petite aube où je serais justifié. Rien, rien n'avait d'importance et je savais bien pourquoi. » Lorsque son refus est enfin exprimé, il devient dans sa révolte un homme libre. Libre de toutes les conventions sociales et des illusions communes sur les significations de l'existence. Et il montre ainsi au lecteur la voie vers le bonheur. « La vie est d'autant mieux vécue qu'elle n'a pas de sens. (Albert Camus) Frédéric Beigbeder commente cette citation dans son livre Dernier inventaire avant liquidation. Il souligne que la clé du « bonheur inévitable » est justement d'accepter que la vie soit absurde que rien ne rime à rien. Il compare également Camus à Meursault, montrant que l'auteur comme son personnage « se fout de l'univers, mais peut quand même l'apprécier voire l'aimer. » Ici, il fait notamment référence au prix Nobel de Litérature que Camus a reçu en 1957, et qu'il a accepté « précisément parce qu'il s'en moque ». Pourquoi Beigbeder s'est intéressé à L’Étranger ? Parce que le principe de son essai est de commenter les « 50 livres du siècle » qui sont en réalité les 50 œuvres préférées des français. Ce sondage a été organisé pendant l'été 1999 par la FNAC et Le monde. 6000 français se sont prononcés parmi 200 titres présélectionnés de romans, essais, bandes dessinées ou contes, français ou étrangers. Et c'est L’Étranger de Camus qui arriva en tête de liste. Ainsi, Camus aura su séduire par ses phrases courtes et imagées, son personnage mais profondément révolté. Il aura également inspiré les futures figures des anti-héros de la littérature contemporaine. Que Beigbeder qualifie de « paradoxes ambulants qui continuent de respirer malgré tout ».

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