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DROIT CONSTITUTIONNEL

Publié le 07/10/2021

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Université de Poitiers Faculté de droit et sciences sociales Année universitaire 2021-2022 Première année –premier semestre DROIT CONSTITUTIONNEL Cours de M. Maurice Guénou AHLIDJA Maître de conférences en droit public TD de M. Aboudermane BODE SÉANCE 3 : L’ETAT OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES : L’objectif principal de cette séance est de vérifier l’acquisition des notions suivantes : les éléments constitutifs de l’État (nation, territoire, autorité organisée), la notion juridique de l’État, la personnalité morale, la souveraineté, les différentes formes de l’État. Sur le plan méthodologique, il faudra rédiger le devoir entièrement. Il est important de lire et de résumer brièvement les documents de la plaquette. DOCUMENTS : Doc. 1 : DUHAMEL (Olivier), Droit constitutionnel, Seuil, coll. « Essais », t. II, Les démocraties, 3e édition, 2000, p. 16-18. Doc 2 : REMILLARD (Gil), « Souveraineté et fédéralisme », Les Cahiers de droit, Vol 20, n°1- 2, 1979, pp. 1-11. Doc. 3 : PLIAKOS (Astéris), « La nature juridique de l’Union européenne », RTD eur , 1993 p. 187 ( extrait). Doc 4. SCELLE (Georges), Cours de droit international public, 1946, p. 256 (extrait). BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE : - BEAUD (Olivier), Théorie de la fédération, PUF, coll. Léviathan ; Paris, 2007, p. 105 et s. - MATHIEU (Jean-Luc), L'Union européenne, PUF, « Que sais-je ? », 2008, p. 11 à 19, et p. 31 à 50, 128 p. URL : https://www-cairn-info.ressources.univ-poitiers.fr/l-unioneuropeenne-9782130566748.htm. - MAULIN (Éric), « La théorie de l’État de Carré de Malberg », PUF, 2003, p. 33, URL : https://www-cairn-info.ressources.univ-poitiers.fr/la-theorie-de-l-etat-de-carre-demalberg- 9782130536079.htm. 1 - MELIN-SOUCRAMANIEN (Ferdinand) et PACTET (Pierre), Droit constitutionnel, 37e éd., 2019, p. 45 et s. - POIRAT (Florence), État, in ALLAND D. et RIALS S., Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003, p. 642 et s. - TROPER (Michel), CHAGNOLLAUD (Dominique), Traité international de droit constitutionnel, 2012, Tome 2 p. 5 et 55. EXERCICE DE DISSERTATION JURIDIQUE : L’union européenne constitue-t-elle une fédération ? 2 Doc 1. DUHAMEL (O.), Droit constitutionnel, Seuil, coll. « Essais », t II, Les démocraties, 3e édition, 2000, p. 16-18. `La définition de l’État L’État est caractérisé par trois éléments constitutifs qui permettent de reconnaître son existence : un territoire, une population, un pouvoir de contrainte. Le droit de contraindre est l’élément décisif, le privilège suprême de l’État, sa marque. L’État a seul le pouvoir de fixer des règles de comportement et d’en imposer légitimement le respect – privilège que l’on baptise traditionnellement « souveraineté ». Le grand sociologue allemand Max Weber a ainsi défini l’État comme l’institution qui revendique avec succès pour son propre compte le « monopole de la violence physique légitime ». Cela ne signifie évidemment pas que l’État exerce quotidiennement la violence à l’encontre de ses administrés, mais qu’il peut toujours le faire, dans les conditions par lui prescrites, pour imposer le respect des règles collectives ou sanctionner leur violation. L’État détient ainsi un double pouvoir, normatif et coercitif, ou, si l’on préfère, il détient un vrai pouvoir normatif, c’est-à-dire le pouvoir d’edicter des règles de droit et de punir ceux qui ne les respectent pas. Si des entités infra-étatiques peuvent posséder un pouvoir normatif, si des personnes physiques et/ou morales peuvent édicter des règles de droit qui les lient, elles ne le font que de façon subordonnée, c’est-à-dire dans le respect des règles fixées par l’État, dans l’exacte mesure où l’État consent à ce qu’elles les édictent, et elles ne peuvent recourir elles-mêmes à la force mais doivent s’adresser à l’État pour imposer l’application des règles dont elles étaient convenues ou la sanction de leur irrespect. Si une entité supra-étatique se développe, soit qu’elle procède des seuls transferts consentis et révocables par les États qui y participent, soit elle ébauche un nouvel État. La population est la deuxième composante de l’État. L’ordre normatif évoqué ci-dessus régit une communauté d’hommes. Le point commun entre l’ensemble limité que sont les êtres humains ressortissants d’un État peut fort bien n’être que la soumission à ce pouvoir normatif, par-delà la diversité culturelle, linguistique, ethnique, nationale. Nation et État ne coïncident pas nécessairement. Une nation peut préexister à l’État, les Allemands le savent bien. Un État peut préexister à une nation, les Français le savent bien. Une même nation peut être divisée en deux États, comme le fut de l’après-guerre à 1990 la nation allemande ou comme l’est encore la nation coréenne. Un même État peut regrouper différentes nations, comme le firent les empires ottoman, austro-hongrois, soviétique, comme le font encore la Fédération russe, le Canada, la Suisse ou l’Espagne. En France, puisque l’État y fit la nation et craignit que les nations ne le défissent, la tendance dominante fut longtemps d’identifier État et nation. Ce franco-centrisme est explicable, pas justifiable. Le territoire est la troisième et dernière condition d’existence de l’État. La naissance de l’État va de pair avec la sédentarisation, l’avènement de frontières et l’apparition de la cartographie. Le territoire peut être minuscule, comme celui du Liechtenstein ou d’Andorre. Il peut être discontinu, comme entre la France métropolitaine et les départements et territoires d’outre-mer, ou comme le Pakistan avant la sécession du Bangladesh en 1971, les Etats-Unis avec l’Alaska et Hawaï. Il peut être amputé, comme lors de la constitution de nouveaux États. Mais il doit être pour que l’État soit. 3 Doc 2. REMILLARD (G.), « souveraineté et fédéralisme », Les Cahiers de droit, 1979, p. 1. Même si le fédéralisme est aussi vieux que le fait social, même s'il a été fouillé sous tous les angles, il en demeure toujours un aspect à découvrir. C'est qu'il n'y a pas vraiment un fédéralisme, mais des fédéralismes. Il y a en effet autant de fédéralismes qu'il y a d'États fédéraux. Il demeure cependant que le fédéralisme fait appel obligatoirement à des principes de base. La participation des États fédérés aux décisions de portée nationale et leur autonomie par rapport à l'autorité centrale en sont certainement les plus importants. Le principe de participation ne cause pas de problème majeur. Sonapplication peut varier d'une fédération à l'autre, tout dépendant de la portée qu'on veut lui donner. Tel n'est cependant pas le cas du principe d'autonomie qui, relié au concept de souveraineté, a suscité des discussions fort vives. Où réside la souveraineté dans un État fédéral ? Voilà une question à laquelle il n'est pas facile de répondre. Elle est cependant au cœur même de la crise constitutionnelle que connaît présentement le Canada. Cette brève étude n'a d'autre but que d'apporter quelques éléments de réflexion sur ce problème. 1. La souveraineté La notion de souveraineté est le concept de base de toute dialectique en droit public. Pour que naisse un État, il doit y avoir réunion de trois éléments essentiels: un élément charnel, la population; un élément matériel, le territoire ; un élément juridique, la souveraineté. Pour que l'État existe, il est fondamental que la population accepte que son comportement soit réglementé par une autorité supérieure chargée de voir au respect de l'intérêt public. La souveraineté est l'expression juridique de cette puissance au-dessus des intérêts particuliers. La souveraineté fait donc appel à la notion devolonté. Le doyen Duguit a développé cette idée en ces termes : (...) la souveraineté, écrit-il, est unevolonté qui a ce caractère à elle propre et à elle seulement de ne jamais le déterminer que par elle- même. Le motif qui seul peut déterminer la volonté souveraine à agir est un motif qu'elle tire d'elle- même. Jamais une volonté souveraine ne peut être déterminée à agir par ce motif qu'une autre volonté veut qu'elle agisse en tel ou tel sens. Le constitutionnaliste français se situe, par ses propos, dans la ligne de pensée des auteurs allemands pour qui la souveraineté est une volonté qui a « la compétence de sa compétence ». Voilà certainement la définition la plus acceptable de la notion de souveraineté. Un absolu, une ultime autorité qui s'exprime dans une dimension totale du pouvoir étatique. Ainsi, Carré de Malberg définit-il la notion d'État en ces termes : (...) chacun des États in concreto une communauté d'hommes, fixée sur un territoire propre et possédant une organisation d'où résulte pour le groupe envisagé dans ses rapports avec ses membres une puissance supérieure d'action, de commandementet de coercition . Cette autorité souveraine a soulevé de tout temps d'innombrables réflexions quant à sa relation avec le citoyen. Jean-Jacques Rousseau a très bien fait ressortir ce dilemme dans son contrat social en écrivant que le citoyen doit se situer « (...) comme participant à l'autorité souveraine, et comme sujets soumis aux lois de l’État. » Sans discuter l'absolutisme que peut engendrer cette réflexion du philosophe français, il demeure qu'elle situe fort bien la souveraineté au sein de la collectivité. Le contrat social est en quelque sorte l'expression de cette souveraineté en ce qu'il donne lieu à la création de l'autorité étatique et au pouvoir de faire des lois. 4 2. Souveraineté et fédéralisme Du fait de son caractère absolu, la souveraineté s'adapte bien mal au fédéralisme. L'État fédéral est bicéphal. C'est la raison d'être du fédéralisme de créer deux ordres de gouvernement, l'un central et l'autre régional, chacun ayant ses domaines propres de juridiction. Est-ce à dire que la souveraineté se situe à ces deux niveaux ? Voilà posé un des problèmes les plus difficiles de la théorie fédéraliste. Il ne s'agit pas là d'une pure question doctrinale, mais bien d'une difficulté inhérente à toute pratique du fédéralisme. En effet, la souveraineté de l'État est la pierre d'achoppement du fédéralisme. Les nombreuses études qui ont été consacrées à ce sujet en témoignent et on distingue deux grandes écoles : pour certains, la souveraineté est divisible et est partagée entre les États membres et l'État central, pour d'autres, la souveraineté est indivisible et appartient toute entière à l'État fédéral alors que les États fédérés jouissent d'une simple autonomie. 2.1. Souveraineté partagée Les auteurs mêmes de l'idée fédérale ont été les premiers à développer cette théorie de la souveraineté partagée entre l'État fédéral et les États membres. Selon cette théorie, les États fédérés à l'intérieur de leur sphère de compétences législatives sont tout aussi souverains que l'État fédéral. Aussi, chaque État qui accepte de s'unir à d'autres États sous un régime fédéral abandonne pour une partie sa souveraineté à l'État central et la conserve pour une autre. Chaque niveau de gouvernement, fédéral et provincial, jouit ainsi d'une souveraineté pleine et entière à l'intérieur de sa compétence législative. Mais la personnalité internationale n'appartient qu'à l'État central. On peut se demander alors s'il ne s'agit pas là d'une limite à la souveraineté de l'État fédéré. En effet comment peut-on prétendre que l'État membre est souverain à l'intérieur de sa sphère de compétences législatives, s'il ne peut avoir de rapports avec d'autres États souverains sur ces sujets ? Pour expliquer ce qui semble être une contradiction, certains auteurs prétendent que l'État fédéral possède la souveraineté interne et externe tandis que les États membres ne possèdent que la souveraineté interne. Ils divisent ainsi la souveraineté dans son essence même. Le Comité judiciaire du Conseil privé semble avoir accepté cette théorie du partage de la souveraineté entre l'État fédéral et les États membres. Ainsi, dans l'affaire des conventions du travail de 1937, après avoir fait la distinction entre la formation et l'exécution des obligations qui découlent d'un traité, Lord Atkin qui s'exprime au nom du Comité, écrit : Mais dans un État où la législature ne possède pas d'autorité absolue, dans un État fédéral où l'autorité législative est circonscrite par un document constitutionnel, ou est partagée entre différentes législatures selon les catégories de sujets soumis aux législateurs, le problème est complexe. L'exécution des obligations imposées par un traité peut relever de plusieurs législatures et reste problématique; il appartient à l'Exécutif d'obtenir l'assentiment législatif non pas du seul Parlement envers lequel il peut se trouver responsable, mais peut-être de plusieurs parlements avec lesquels il n'a aucun rapport direct. La question n'est pas de savoir comment l'obligation a été formée, ce qui est du ressort de l'Exécutif, mais bien de savoir comment on l'exécutera, ce qui dépend de l'autorité de la législature ou des législatures compétentes". C'est donc dire que l'autorité fédérale peut conclure des ententes internationales sur tous sujets. Cependant lorsque ces sujets relèvent de par l'Acte de 1867 de la juridiction des provinces, l'exécution de ces ententes doit être de la responsabilité provinciale . À plusieurs reprises, le tribunal anglais a affirmé que les compétences législatives des provinces sont l'expression d'une souveraineté véritable, d'une réelle indépendance. Entre autres en 1892, dans l'espèce Maritime Bank v. Receiver-General of New- Brunswick, le Comité judiciaire décida que: (...) pour ce qui est des matières de l'article 92 réservées spécialement à la législation provinciale, la province reste libre de contrôle fédéral et sa souveraineté est la même qu'avant l'adoption de la loi . Quelques années auparavant, dans l'affaire Hodge v. La Reine, le Comité judiciaire avait établi le même principe en ces termes : Dans les limites précitées concernant les sujets et les territoires (lois pour la province pour des fins provinciales, relativement 5 au sujet énuméré à l'article 92), la législature locale exerce un pouvoir suprême et possède la même autorité que le Parlement impérial ou le Parlement du Dominion aurait eue dans des circonstances analogues . Cependant, le Comité judiciaire précisait aussi dans cette dernière affaire que : (...) les sujets qui, sous un certain aspect et pour une certaine fin, relève de l'article 92 de l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique peuvent sous un autre aspect et pour une autre fin, relever de l'article 91 (compétences fédérales). Ce passage de la célèbre décision du Comité judiciaire allait donner naissance à l'une des théories d'interprétation les plus importantes du droit constitutionnel canadien soit celle de «l'aspect». En vertu de cette règle constitutionnelle d'interprétation, une législation fédérale peut se retrouver à l'intérieur de la sphère de compétence énumérée des provinces tout en étant sous certains aspects ou pour d'autres fins de compétence fédérale. Il va sans dire qu'une telle théorie peut mettre en cause sérieusement la souveraineté des provinces. Rares sont les domaines de législation qui sous certains aspects ne présentent pas d'éléments pouvant découler des compétences fédérales. Est-il possible alors de parler de souveraineté si l'État fédéral peut légiférer en relation avec des sujets réservés exclusivement à la compétence provinciale de par le pacte fédéral pour le motif qu'ils peuvent avoir un aspect national? Une telle question nous a incité à analyser de plus près la réelle pensée du Comité judiciaire quant à la situation de la souveraineté dans l'État fédéral canadien. Et il nous a semblé intéressant de nous pencher sur l'application fédérative que les lords anglais ont donnée à la notion de Couronne pour voir s'il n'y avait pas possibilité de faire une certaine analogie avec la souveraineté. Le professeur Dawson définit la Couronne comme étant : (...) l'institution qui est investie de l'ensemble des droits et pouvoirs que possède le Souverain et qu'il exerce par le canal de l'action collective ou individuelle de ses ministres ou de ses fonctionnaires subalternes "\ Pour d'autres auteurs, la Couronne est la source {fountain head) de tout pouvoir et le gouvernement détient son autorité de la Couronne […]. II est important de préciser que la notion d'État n'existe pas vraiment en droit public anglais. La Couronne est la personnification de l'État. Ce n'est donc pas au niveau de l'État que se situe la souveraineté, mais à celui de la Couronne. Contrairementau droit constitutionnel français où la souveraineté appartient au peuple, en droit anglais, la souveraineté appartient au Souverain . L'avènement de la monarchie constitutionnelle en Angleterre n'a pas changé cette conception juridique de la souveraineté. Le discours du trône où le Souverain lit les projets gouvernementaux en employant l'expression « mon gouvernement », son pouvoir de convoquer ou de dissoudre les chambres qui appartient de fait au premier ministre, en sont des exemples. La Couronne est donc la source de tous les pouvoirs tant législatifs, exécutifs que judiciaires . La Couronne signifie le gouvernement lorsqu'elle agit dans ses fonctions exécutives, elle signifie le parlement dans ses fonctions législatives et le pouvoir judiciaire dans ses fonctions judiciaires. Il nous apparaît donc possible d'établir un certain parallèle entre le concept de souveraineté et celui de Couronne. Dans ce contexte, il nous paraît significatif de noter que le Comité judiciaire a soutenu, de même que les tribunaux canadiens, que la Couronne est indivisible.Notamment dans l'arrêt The Queen v. Bank of Nova Scotia, où il s'agissait de déterminer si la Couronne fédérale avait droit d'être payée en priorité sur les autres créanciers d'une faillite […] La théorie de l'indivisibilité de la Couronne dans le contexte fédéral posait autant de problèmes que celle de l'indivisibilité de la souveraineté. En 1930, dans l'affaire In Re Silver Brothers, le Comité judiciaire dut se prononcer sur ce problème. À la suite 6 d'une faillite déclarée dans la province de Québec, la Couronne fédérale et la Couronne provinciale réclamaient toutes deux et simultanément le droit d'être payées en priorité, puisque l'une ne pouvait être payée en premier qu'au détriment de l'autre […]. Le Comité judiciaire admettait donc la divisibilité de la Couronne dans ses fonctions. De par son essence, elle est une, mais de par ses fonctions, elle peut être multiple. Si l'on appliquait cette théorie à la souveraineté, on devrait donc dire que la souveraineté est une dans son essence, mais divisible dans son exercice. Il s'agit là d'un véritable tour de prestidigitation dont seul le Comité judiciaire connaît le secret. 2.2. Souveraineté indivisible Selon cette deuxième école, la souveraineté est indivisible et appartient à l'État fédéral, tandis que les États membres sont dotés d'une certaine autonomie. Il importe alors de bien distinguer les notions de souveraineté et d'autonomie. Alors que la première est « la compétence de la compétence », c'est- à-dire l'autorité ultime, l'autonomie est la liberté d'agir dans un cadre donné et sous une autorité supérieure. Il nous semble plus conforme à la théorie fédéraliste de parler de la souveraineté de l'État fédéral et de l'autonomie des États fédérés. En effet, ce qui fait qu'un état est fédéral, c'est avant tout le partage des compétences entre un gouvernement central et les gouvernements régionaux. Il s'agit là de la pierre angulaire de tout fédéralisme. Ce partage peut être fait de différentes façons et comprendre plusieurs espèces de compétences. Cependant, la règle de base de ce partage est à l'effet que ce qui est d'intérêt national doit relever de la compétence de l'autorité centrale et ce qui est d'intérêt local doit appartenir aux gouvernements régionaux. Bien que cette règle puisse poser évidemment des difficultés d'application qui, somme toute, font partie du compromis fédéral, elle fait néanmoins ressortir essentiellement une certaine hiérarchie des pouvoirs. Or toute hiérarchie implique les notions de supériorité et d'infériorité et, par conséquent, celle de prépondérance. Ainsi, en cas de conflit entre l'intérêt national et un ou des intérêts régionaux, l'intérêt national a prépondérance et s'impose aux intérêts régionaux. Ce grand principe fédéraliste est bien établi dans notre droit constitutionnel. Lord Watson, dans l'affaire de la prohibition locale, le situe en ces termes : Cette chambre a reconnu à plusieurs reprises, et l'on peut maintenant considérer établi le principe que, d'après l'idée fondamentale de l'Acte de l'Amérique du Nord Britannique, la législation adoptée par le Parlement du Canada dans les limites de sa compétence doit l'emporter sur la législation provinciale2 ''. Ce principe de la prépondérance législative fédérale ne s'applique qu'aux compétences concurrentes. Cependant, il faut bien comprendre que les compétences concurrentes ne sont pas toutes inscrites dans la Constitution. La très grande majorité découlent de l'interprétation constitutionnelle. Dès ses premiers jugements, le Comité judiciaire a souligné l'inévitable chevauchement entre les compétences fédérales et provinciales. Dans l'arrêt Parsons, Sir Montague Smith, au nom du Comité écrit: On a certainement prévu qu'il serait impossible, et que cela le resterait de parvenir à une distinction nette et précise, et que certaines catégories de sujets attribués aux législatures provinciales se confondraient inévitablement avec quelques-unes des catégories de sujets énumérés dans l'article 91" . À ces chevauchements, il faut ajouter l'application des pouvoirs implicites, d'empiéter, de dépenser et celle des théories de l'aspect, de l'urgence, des dimensions nationales qui, à toutes fins pratiques, ont permis au Parlement canadien de légiférer d'une façon directe ou indirecte relativement à toutes les compétences réservées exclusivement, dans l'Acte de 1867, aux provinces. C'est donc dire que le fédéralisme canadien est basé en très grande partie sur un partage de compétences concurrentes, 7 d'où la très grande importance du principe de la prépondérance fédérale. Il nous semble donc plus logique de parler d'autonomie que de souveraineté pour les États membres d'une fédération. Alors que la souveraineté est absolue, l'autonomie est une question de degré qui implique nécessairement des limites. Conclusion La distinction que nous devons faire entre le concept de souveraineté et celui d'autonomie n'est pas qu'une simple question théorique. Elle est essentielle à une bonne compréhension du principe fédératif. Le fédéralisme est avant tout un compromis par lequel des États renoncent à la souveraineté au profit d'une simple autonomie. Cette autonomie peut varier considérablement d'une fédération à l'autre. Il demeure cependant que les États fédérés font partie d'un tout fédératif où leurs intérêts sont soumis aux intérêts nationaux. La distinction entre les concepts de souveraineté et d'autonomie est aussi à la base de la différence que nous devons faire entre fédéralisme et confédéralisme. Alors que le fédéralisme crée une union nationale reposant juridiquement sur une constitution de droit interne, le confédéralisme établit par un traité international une association d'États souverains conservant chacun leur identité nationale. La distinction est importante. Elle sera sans doute au cœur des discussions sur le référendum concernant l'avenir constitutionnel du Québec. L'accession du Québec à la souveraineté assortie d'une association canadienne implique des changements constitutionnels qui ne peuvent donc se comprendre qu'en faisant bien la distinction entre les concepts de souveraineté et d'autonomie. 8 Doc 3. PLIAKOS (A.), « La nature juridique de l’Union européenne », RTD eur, 1993, p. 187. II. - L'Union européenne en tant qu'Etat fédéral Les compétences dont paraît disposer l'Union, particulièrement en matière de politique étrangère, sans oublier la capacité monétaire dont dispose sa composante communautaire, nous amènent à rechercher sa nature juridique, tout d'abord, sous l'angle de l'Etat fédéral. Les notions de « quasi-Etat » ou d'« Etat économique », qui ont déjà connu un début d'utilisation expriment la réorganisation radicale des compétences communautaires, dont l'étendue quantitative et qualitative semble être entièrement soumise à la logique des États fédéraux. Bien entendu, la forme variée de ces derniers, reflet juridico-politique des diverses conditions économiques, sociales et politiques qui président à leur constitution, rend malaisée l'élaboration de critères généralement admis pour ce qui est des compétences dont ils doivent disposer et des modalités de partage des pouvoirs qu'ils doivent adopter. Toutefois, les exemples incontestables que fournit l'évolution historique du phénomène fédéral, tels qu'ils ont été systématisés par la réflexion théorique y afférente, permettent de faire surgir les principes qui soutiennent, garantissent et permettent la conservation et l'évolution harmonieuse des Etats fédéraux, tant du point de vue des compétences que sur le plan de leurs constitution organique. De cette manière, les risques de mise en cause de la méthode d'élucidation de la nature fédérale de l'Union sont mi nimisés, sinon réduits à néant. A. - Sur le plan des compétences 1 .Les compétences d'un Etat fédéral Conformément à l'enseignement classique du droit public, les éléments constitutifs de la notion d'Etat sont le peuple, le territoire et le pouvoir. Si l'on se borne à ce qui est fonctionnellement nécessaire en l'occurrence, le peuple d'un Etat, au sens large, désigne l'ensemble des individus qui lui sont liés par le lien juridique de la citoyenneté. Les personnes qui ont la citoyenneté d'un Etat sont soumises à son pouvoir, dont la notion fonctionnelle englobe les libertés publiques, le droit de protection vis-à-vis des autres Etats, le droit de résidence, incompatible avec le non-accueil ou le refoulement de ces personnes, et, naturellement, les droits civiques. Les droits civiques sont constitués par le droit de vote et d'éligibilité, le droit de participer à des jurys lors de procès pénaux et le droit d'être nommé à des emplois publics. L'importance des droits civiques, et surtout du droit de vote et d'éligibilité, est si grande, que le peuple au sens restreint s'identifie au corps électoral d'un pays. Le territoire, défini à travers le prisme du pouvoir qui s'exerce sur lui, exprime l'exclusion de l'exercice, à l'intérieur de ses frontières, d'un autre pouvoir ; enfin, le pouvoir, en tant que composante de l'Etat, signifie la capacité indépendante « d'auto-organisation et d'auto-souveraineté », c'est-à-dire, en termes plus communicatifs, la « compétence de la compétence. ». Le classement théorique des éléments qui composent la notion d'Etat fédéral présente davantage de difficultés. Il est toutefois possible, d'après la réalité fédérale, d'indiquer les choses suivantes : le peuple d'un Etat fédéral se compose des individus qui ont la citoyenneté que, seul, il accorde, sans bien sûr que soit exclu l'octroi parallèle de la citoyenneté par les Etats fédérés, mais toujours en vertu de l'ordre juridique interne de l'Etat fédéral. L'élément de territoire se définit par rapport à la citoyenneté ; l'institution d'une nationalité fédérale entraîne l'existence d'un sol fédéral. Par contre, la définition du pouvoir en tant qu'élément de l'Etat fédéral a provoqué la formulation 9 de thèses opposées. Les auteurs allemands accordent une importance particulière à la capacité d'« auto-organisation et auto-souveraineté », dont la possession équivaut à l'existence en soi de l'Etat, de forme simple ou fédérale. Cependant, selon une opinion plus correcte, confirmée par la pratique fédérale, la notion d'Etat fédéral n'est pas incompatible avec l'autonomie de ses membres, qui leur garantit le monopole du pouvoir constituant, qu'ils peuvent exercer à leur gré, sous réserve de la Constitution fédérale. Au contraire, il n'est pas possible d'imaginer la constitution d'un Etat fédéral sans que celui-ci dispose des compétences internationales et plus schématiquement, des ius belli, ius legationis et ius tractatum. L'examen historique des causes présidant à la naissance des Etats fédéraux confirme la thèse fondamentale selon laquelle les Etats s'unissent pour devenir plus forts face à des Etats tiers. Dans ce cadre, la souveraineté extérieure revient en totalité, en dehors de quelques exceptions. qui confirment la règle, à l'Etat fédéral. Cette situation a pour résultat, d'une part, la perte, par les Etats membres, de leur personnalité internationale et leur remplacement dans les relations internationales par les instances fédérales (diplomatie, traités internationaux, activité internationale), et, d'autre part, la constitution d'une défense commune qui peut reposer sur des armées des États fédérés, mais dont l'administration relève de la compéte nce de l'Etat fédéral. L'importance du transfert à l'Etat fédéral des compétences liées à la politique étrangère et à la défense est si grande que l'on considère que celui-ci n'existe juridiquement que par leur seule existence. Cependant, le transfert de la compétence d'émettre une monnaie commune ne cesse de devenir une donnée de plus en plus indispensable dans la pratique, dictée par la nécessité de garantir un minimum d'unité au nouvel Etat. Le transfert sans cesse accru des compétences de définition et d'exercice d'une politique économique et sociale obéit à une conception nouvelle, liée à des motifs moins constitutionnels ou juridiques que financiers, du phénomène fédéral, dans la mesure où il n'est plus constitué sous conditions de coexistence et de hiérarchisation des instances entre lesquelles se répartissent les compétences, mais vise à l'élaboration d'actions communes, en proportion des attributions et des moyens qui correspondent à leur nature propre. La manifestation caractéristique de cette nouvelle conception du phénomène fédéral, en tant que « coopérative federalism », est l'établissement d'un système de redistribution des ressources par l'intermédiaire des prestations fédérales. Enfin, la revue critique des Constitutions fédérales fait apparaître que parmi les compétences fédérales, en dehors de la défense unique, de la politique étrangère unique, de la monnaie unique, cette dernière s'accompagnant, d'habitude, de la réglementation connexe de matières telles que la programmation économique ou la perception des impôts, on compte également les libertés fondamentales, les transports, les communications, etc. La proportion afférente est l'affaire de conditions historiques, politiques et économiques et ne relève pas de critères ni de recettes d'ordre général. Mais dans chaque cas, le partage des compétences doit garantir un minimum de « compétences réelles » aux Etats membres, sinon il ne s'agit d'un Etat fédéral que de nom. 2. Les compétences de l'Union à travers le prisme fédéral La lecture fonctionnelle des compétences de l'Union à travers le prisme fédéral impose d'examiner les dispositions du Traité concernant la citoyenneté de l'Union, la politique étrangère et de sécurité commune, ainsi que la politique monétaire. a) La citoyenneté de l'Union La nature spécifique de la Communauté a permis la création de situations juridiques constituant des manifestations de la notion de citoyen européen. L'emploi dans la fonction publique, l'exercice 10 de droits syndicaux, le droit de libre circulation et résidence, ainsi que la protection des droits fondamentaux par la jurisprudence de la Cour de justice sont, à n'en pas douter, les prémices de la construction institutionnelle d'une citoyenneté européenne. À vrai dire, l'exercice de ces droits est soumis à des conditions qui vont à l'encontre de leur perspective fédérale. En conséquence, toute référence, dans le cadre de l'ordre juridique communautaire, à la notion de droits fondamentaux ou de « citoyens du marché», expression partiellement novatrice mais totalement contradictoire dans les termes, ne peut que provoquer une confusion sémantique, avec le risque de voir ensuite dévier l'évolution institutionnelle correcte de la matière. Comme on l'a souligné par ailleurs, la mise en oeuvre des droits que garantit l'ordre juridique communautaire exclusivement et seulement vis-àvis d'un autre pouvoir étatique a pour résultat « qu'ils ne peuvent plus représenter un lien unitaire entre les ressortissants de tous les Etats membres ou constituer le fondement d'un "peuple communautaire" issu des citoyens de la Communauté, qui pourrait devenir le vecteur d'une Constitution communautaire conçue comme fédérale ». Ce point de vue replace le problème sur une base de départ correcte ; son approche globale laisse transparaître le rôle capital que joue aussi dans le présent cadre la constitution du pouvoir communautaire selon la technique fédérale. Le Traité de Maastricht semble aller dans le bon sens. Sans résoudre le problème, il renforce consciemment sa dimension symbolique, qu'il appuie toutefois sur une juste évaluation de la situation juridique qui régit l'ensemble de la thématique. En effet, selon l'article 8 du Traité CE, « est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un Etat membre ». En d'autres termes, la notion de citoyenneté de l'Union exprime la volonté des Etats membres de renforcer la protection des droits et intérêts de leurs ressortissants par le réseau de libertés et de droits que produit l'ordre juridique communautaire. Mais dans la mesure où ces droits cessent de s'identifier exclusivement au Marché commun et acquièrent manifestement une dimension politique, l'expression « citoyen de l'Union », en dépassant les limites étroites de celle de « citoyen du Marché commun », commence à faire entendre son contenu traditionnel, qui semble être en harmonie avec la nouvelle entité, « d'inspiration politico-juridique », que constitue l'Union européenne. Cette insertion harmonieuse s'exprime de manière révélatrice dans le droit de vote et d'éligibilité du citoyen de l'Union, qui réside dans un Etat membre dont il n'est pas ressortissant, « aux élections municipales dans l'Etat membre où il réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat ». La reconnaissance de ce droit aux ressortissants des autres Etats membres constitue le premier accroc important dans le tissu politique, jusque-là imperméable, des Etats membres. De surcroît, s'il est combiné au droit de vote et d'éligibilité du même ressortissant aux élections du Parlement européen, en tant que représentant des intérêts et des citoyens de nationalité étrangère, la notion de citoyen de l'Union cesse d'avoir une dimension simplement symbolique, et exprime en termes juridiques tangibles la physionomie nouvelle du citoyen européen sur la base duquel commence à se construire la notion de « peuple européen ». Il échoit au corps électoral européen, de composition originale, dont la participation à la constitution du pouvoir de l'Union s'épuise au cas d'un seul organe, d'une portée limitée sur la construction politique européenne, une mission originale : l'élaboration du devenir politique dans les affaires locales qui, institutionnellement et économiquement, relèvent cependant, en principe, de la compétence nationale. Toutefois, sans sous-estimer l'importance de l'existence de ce corps électoral original, aussi bien comme point de départ de la constitution politique d'un peuple européen que comme catalyseur de la gestation positive de schémas nouveaux d'organisation locale dans la société européenne en formation, il reste la donnée incontestable que la citoyenneté de l'Union ne suffit pas à composer la notion de « peuple européen » au sens classique. Le bien-fondé de ce discours est d'ailleurs confirmé par le texte du Traité lui-même, qui rapporte expressément que celui-ci « marque une nouvelle étape dans le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe » et « a pour mission d'organiser de façon cohérente et solidaireles relations entre les États membres et en tre leurs peuples ». 11 L'interrelation entre peuple et pouvoir implique aussi, de manière indétachable, le troisième élément de l'Etat, en ce sens que l'existence d'une citoyenneté fédérale entraîne la reconnaissance d'un sol fédéral. Cette relation, transposée dans le cadre du Traité de Maastricht, semble être indirectement confirmée par la lettre des dispositions qui régissent la citoyenneté de l'Union. En effet, selon l'article 8 A, paragraphe 1, du Traité sur l'Union européenne, « tout citoyen de l'union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres ». En d'autres termes, dans la mesure où la « citoyenneté » de l'Union suppose la nationalité des Etats membres, il revient également à ces derniers de protéger territorialement les droits qui en émanent, surtout en ce qui co ncerne leur lésion par d'autres Etats. b) La politique étrangère et de sécurité commune de l'Union Le transfert à l'Union des compétences qui composent la notion de souveraineté étrangère constitue la condition nécessaire et suffisante pour la caractériser comme Etat fédéral. La question de savoir dans quelle mesure le Traité sur l'Union européenne contient des dispositions par lesquelles se forment un ius belli, un ius legationis et un ius tractatum est donc d'une importance capitale ; y répondre suppose une évaluation systématique de l'ensemble du réseau réglementaire y afférent. Les dispositions liées à la politique étrangère et de sécurité commune sont contenues dans le titre V (art. J à J 11) du Traité. Elles visent à l'établissement d'un cadre capable de permettre à l'Union d'« affirmer son identité sur la scène internationale, notamment par la mise en oeuvre d'une politique étrangère et de sécurité commune, y compris la définition à terme d'une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune ». L'accomplissement de cet objectif « dans les conditions et selon les rythmes prévus dans le Traité, dans le respect du principe de subsidiarité », renvoie au titre V, dont le contenu est en grande partie prescrit par le mode de constitution de l'objectif en question. Néanmoins, l'importance de cette constatation est ailleurs. L'institution, selon ces modalités, d'une politique étrangère et de sécurité commune relativise le caractère absolu que revêt habituellement cette politique dans le cadre des systèmes fédéraux ; le résultat en est que tout examen comparatif comporte des difficultés sérieuses pour la définir, conséquences de la nature évolutive de la construction communautaire. Un examen prima faciae des dispositions qui instaurent et précisent le contenu de la politique étrangère et de sécurité commune atteste une nouvelle fois la nécessité de proposer des critères d'évaluation d'une politique commune à travers le prisme du partage des compétences qu'elle contient et réalise. Ainsi la précision du contenu de la politique étrangère et de sécurité commune par le biais de son champ illimité d'application et de sa délimitation progressive, apporte-t-elle une aide minime à la définition de la notion de « politique commune » du point de vue du partage des compétences auquel elle procède éventuellement. La définition de la notion de « politique commune » dans le cadre de l'ordre juridique communautaire est malaisée. Les divergences que l'on observe en ce qui concerne la force réglementaire des règles qui la composent, les pouvoirs des organes appelés à l'appliquer, le degré d'intégration que contiennent les procédures de prise de décisions, ainsi que la dynamique évolutive qu'exige son accomplissement, n'excluent toutefois pas l'indication de certaines caractéristiques révélatrices de son existence. En effet, r obligation des organes communautaires d'élaborer une approche complète d'entreprise et de gestion d'une activité sur la base de règles communes, de nature exclusive et obligatoire, atteste l'existence d'une politique commune, dont l'application future, progressive et évolutive, ne suffit pas à la faire disparaître. Le concours de ces conditions a pour résultat que la politique commune, en tant que commune, comprend un partage impératif des compétences mais, en tant que politique, octroie aux organes communautaires un pouvoir discrétionnaire qui, en 12 aucun cas, n'équivaut à un pouvoir de refus de l'établir. L'évaluation, menée à travers ce prisme, de la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union permet de faire les remarques ci-dessous. Bien que le contenu de la notion semble indéfini, dans la mesure où il couvre tous les domaines susceptibles d'en relever, la première délimitation matérielle qui devrait être faite concerne la défense. En exacte correspondance avec l'objectif général susmentionné de l'Union, l'article J4, paragraphe 1, dispose : « La politique étrangère et de sécurité commune inclut l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union européenne, y compris la définition à terme d'une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune ». Le deuxième paragraphe du même article précise comme suit cette disposition générale : « L'Union demande à l'Union de l'Europe occidentale (UEO), qui fait partie intégrante du développement de l'Union européenne, d'élaborer et de mettre en oeuvre les décisions et les actions de l'Union qui ont des implications dans le domaine de la défense. Le Conseil, en accord avec les institutions de l'UEO, adopte les modalités pratiques nécessaires. » Indépendamment des réserves que provoque l'immixtion de l'UEO - organisation par excellence interétatique dans le processus spécifique d'unification européen, il est incontestable que toute contribution de l'UEO à l'élaboration de règles matérielles communes en matière de défense est étouffée dans l'oeuf par la force du paragraphe 4 de l'article J4, selon lequel : « La politique de l'Union au sens du présent article n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains Etats membres, elle respecte les obligations découlant pour certains Etats membres du Traité de l'Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre. » Cette disposition signifie dès le départ l'échec de toute tentative de fonder une politique de défense commune, même si des conjonctures politiques favorables devaient permettre la levée des obstacles qu'implique sa forme conditionnelle et institutionnellement non orthodoxe. En effet, le franchissement de ces obstacles rencontre ses limites dans la réglementation du paragraphe 4, dont la révision constitue une condition sine qua non de l'élaboration d'une politique de défense commune de l'Union. Cette situation exprime le manque total, en l'occurrence, de ius belli, qui reste du ressort absolu des États membres. La définition de la notion de politique étrangère et de sécurité commune dans des domaines autres que la défense modifie la problématique quant au genre des compétences qu'elle entraîne éventuellement. L'inexistence de règles matérielles définissant la forme de cette politique renvoie nécessairement l'ensemble du problème au mode d'élaboration de celles-ci et notamment à la nature des moyens permettant de les produire. Conformément à l'article J 1, paragraphe 3, « l'Union poursuit ces objectifs : - en instaurant une coopération systématique entre les Etats membres pour la conduite de leur politique, conformément à l'article J 2; - en mettant graduellement en oeuvre, conformément à l'article J 3, des actions communes dans les domaines où les États membres ont des intérêts importants en commun ». La poursuite des objectifs de cette politique commune par la coopération systématique entre les Etats membres fait l'objet de la réglementation de l'article J 2. Le premier paragraphe de cet article définit comme suit la coopération des Etats : « Les Etats membres s'informent mutuellement et se concertent au sein du Conseil sur toute question de politique étrangère et de sécurité présentant un intérêt général, en vue d'assurer que leur influence combinée s'exerce de la manière la plus efficace par la convergence de leurs actions. » Cette formulation compliquée et descriptive s'offre à des approches interprétatives variées, qui toutes cependant, si elles sont évaluées en termes de force obligatoire, peuvent aboutir à une constatation commune : la gestion des affaires de politique étrangère et de sécurité présentant un intérêt général continue à relever de la compétence des Etats 13 membres. Bien entendu, les Etats membres ont le devoir de s'informer mutuellement et de se concerter, devoir dont la mise en oeuvre permet de développer une action coordonnée et convergente. Mais l'élaboration de cette dernière n'est qu'éventuelle, et son hypothétique concrétisation en actes est privée de tout caractère obligatoire. En effet, selon l'article J 2, paragraphe 2, « chaque fois qu'il l'estime nécessaire, le Conseil définit une position commune. Les Etats membres veillent à la conformité de leurs politiques nationales avec les positions communes ». Ainsi le pouvoir discrétionnaire absolu du Conseil, à peine dissimulé, combiné au terme « veillent », suffisamment imprécis et anodin pour effacer toute idée d'obligation, suffit à saper d'avance toute tentative de limitation de la compétence nationale en matière de politique étrangère et de sécurité présentant un intérêt général. Et tandis que les Etats membres demeurent les maîtres inconstestés de la compétence en ces matières, son exercice, lorsqu'existent des positions communes, semble soumis à une obligation plus sûre au vu de la disposition de l'article J 2, paragraphe 3, alinéa 1, selon laquelle « les Etats membres coordonnent leur action au sein des organisations internationales et lors des conférences internationales. Ils défendent dans ces enceintes les positions communes ». Néanmoins, cet état de choses n'a rien à voir avec le partage des compétences requis en l'occurrence, fût-ce sous une forme émoussée, partage qui suppose une politique commune exprimée par des règles matérielles communes d'application uniforme. L'établissement d'une politique étrangère et de sécurité commune semble donc se limiter aux domaines dans lesquels les Etats membres ont des intérêts communs importants, où le Traité, innovateur en la matière, instaure les actions communes d'application graduelle. Cependant, même dans le présent cadre, font défaut les règles matérielles communes, dont l'amorce d'élaboration suppose, logiquement et conceptuellement, la définition des matières qui, parce qu'elles concernent des intérêts communs importants des Etats membres, peuvent faire l'objet d'actions communes. L'absence de cette définition, quoique compréhensible, dans la mesure où elle a été dictée par la nécessité « de faciliter l'élaboration progressive des domaines de l'action commune », est susceptible de provoquer les premières difficultés juridiques. Et du point de vue du partage des compétences, elle accroît l'importance des autres critères d'existence d'une politique commune. Selon l'article J 3, paragraphe 4, « les actions communes engagent les Etats membres dans leurs prises de position et dans la conduite de leur action ». Bien sûr, le même article, en vertu du paragraphe 7, semble permettre des dérogations : « En cas de difficultés majeures pour appliquer une action commune, un Etat membre saisit le Conseil, qui en délibère et recherche les solutions appropriées. Celles-ci ne peuvent aller à l'encontre des objectifs de l'action ni nuire à son efficacité. » Toutefois, bien que cette disposition laisse ouverte l'éventualité d'une mise en œuvre de l'action commune de manière nationale, elle revêt, si l'on considère les limites et conditions qui amènent à l'invoquer, un caractère exceptionnel, ce qui a pour résultat de transposer l'ensemble de la problématique sur le mode d'institution des règles communes de la politique étrangère et de sécurité commune. Selon l'article J 3, paragraphe 1, « le Conseil décide, sur la base d'orientations générales du Conseil européen, qu'une question fera l'objet d'une action commune ». Le Conseil décide à l'unanimité, sauf s'il s'agit de questions procédurales ou de problèmes pour la solution desquels a été décidé à l'unanimité le recours à la majorité qualifiée. « Lorsque le Conseil arrête le principe d'une action commune, il en fixe la portée précise, les objectifs généraux et particuliers que s'assigne l'Union dans la poursuite de cette action, ainsi que les moyens, procédures, conditions et, si nécessaire, la durée applicables à sa mise en oeuvre. » Ces dispositions permettent de faire les remarques suivantes. Tout d'abord, il convient de souligner que le mode de scrutin adopté pour la prise de décision par un organe ne constitue pas un critère décisif d'existence ou de non-existence d'une compétence. La même chose vaut aussi en ce qui concerne l'absence de contrôle judiciaire, justifiée par le caractère politique par excellence « des actions mises en oeuvre au cours de l'exercice de la politique étrangère ou de sécurité commune, qui ne sont pas soumises, en règle générale, au 14 contrôle judiciaire». Au contraire, l'établissement progressif de la politique étrangère et de sécurité commune revêt une importance particulière, dans la mesure où les actions communes qui la matérialiseront par degrés ne sauraient être élaborées qu'une fois que, aussi bien au niveau du Conseil européen qu'à celui du Conseil, se sera dégagée une unanimité. Or, si l'on considère la gravité des actions obligatoires communes concernant les domaines dans lesquels les Etats membres ont des intérêts importants, fussent-ils communs, les approches différentes, opposées et contradictoires sont inévitables, d'autant plus que les longues histoires des Etats nations qui forment la Communauté européenne ont forgé des constantes asymétriques, voire inconciliables, d'estimer et de gérer les phénomènes internationaux. Ainsi, sans exclure l'instauration d'actions communes constituant parallèlement des réaménagements ponctuels des compétences, le mode évolutif et incertain de leur constitution ne nous permet-il pas de considérer la politique étrangère et de sécurité commune de l'Union comme une politique commune au sens où elle comporte un partage impératif des compétences ni en aucune façon bien sûr, comme une politique convenant à Etat fédéral. c) La politique économique et monétaire de la Communauté Parmi les objectifs de l'Union figure la promotion d'un progrès économique et social équilibré et durable, « notamment par la création d'un espace sans frontières intérieures, par le renforcement de la cohésion économique et sociale et par l'établissement d'une union économique et monétaire comportant, à terme, une monnaie unique, conformément aux dispositions du présent Traité ». L'accomplissement de cet objectif est entièrement confié à la Communauté européenne qui, pour cette raison, a été considérée par ailleurs comme fondement essentiel de l'Union européenne. Les actions destinées à permettre l'établissement de l'union économique et monétaire sont rapportées dans le nouvel article 3 A du Traité sur la Communauté européenne, où l'action destinée à créer une politique économique est distinguée de celle qui vise à la définition et à la conduite d'une politique monétaire et d'une politique de change uniques. Cette distinction n'est pas simplement formelle, mais reflète toute une stratégie qui, au-delà de son importance matérielle, influe directement et définitivement sur la nature juridique de la Communauté et, par extension, de l'Union. La politique économique « se fonde sur l'étroite coordination des politiques économiques des Etats membres, sur le marché intérieur et sur la définition d'objectifs communs, et est conduite conformément au respect du principe d'une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Le réseau d'obligations qui en découle se résume dans l'obligation des Etats membres de « conduire leurs politiques économiques en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté » ou, autrement dit, de « considérer leurs politiques économiques comme une question d'intérêt commun et de les coordonner au sein du Conseil ». Or, la généralité excessive de cette obligation ne se trouve spécifiée que dans deux domaines, qui semblent exercer une influence décisive sur l'établissement de la politique monétaire : celui du créditet celui des finances publiques. Pour les autres matières, la coordination s'effectue sur la base des recommandations du Conseil, où sont exposées « les grandes orientations des politiques économiques des Etats membres et de la Communauté ». En conséquence, les dispositions du Traité concernant la politique économique semblent comprendre trois sortes d'obligations, d'étendue et de force diverses : l'obligation générale de coordination dans le cadre des « grandes orientations » du Conseil(71), qui prend la forme d'une recommandation dépourvue de toute force juridique ; l'obligation spéciale d'éviter les déficits publics excessifs, dont le contrôle plus étroit s'exerce soit préventivement, soit de manière répressive ; enfin, l'obligation concrète de non-financement monétaire des déficits publics et de non-accès privilégié au secteur du crédit, dont le caractère juridiquement clair et entier peut fonder 15 des droits de recours, en vertu des articles 169 et 170 du Traité CE. Au vu de cette situation, la notion d'« étroite coordination » des politiques économiques ne semble pas comporter de transfert de compétences en ce qui concerne la conduite de la politique économique au niveau communautaire. Les obligations générales qui procèdent de la nécessité d'assurer une « coordination plus étroite des politiques économiques et une convergence soutenue des performances économiques des Etats membres» ne suffisent pas à mener à l'instauration de règles communes de mise en oeuvre de la politique économique. D'ailleurs, même en cas de prise de mesures de sanction relatives au déficit public excessif, le Conseil vise à persuader l'Etat membre indiscipliné à faire des efforts d'adaptation. Bien entendu, l'obligation politique de se conformer aux « orientations générales » du Conseil, aussi bien que l'obligation juridique qui en résulte d'élaborer un planning précis de réduction du déficit excessif, crée les conditions d'une limitation de la mise en oeuvre des politiques économiques nationales. Les Etats membres sont tenus de mener leurs politiques économiques de manière à promouvoir la convergence des performances économiques et à maintenir leur déficit dans des limites fixées à l'avance. Cette attitude influe de manière indirecte sur l'aspect de la politique économique générale, qui doit prendre en compte les nouvelles constantes communautaires, et, de manière directe, sur le recours à des mesures économiques concrètes allant tout droit à l'encontre de ces constantes. Dans le premier cas, il s'agit d'une limitation de l'exercice des compétences nationales, et, dans le second, d'une suppression de la compétence nationale dans la prise de mesures économiques concrètes. Ce dernier cas s'exprime de manière directe et catégorique dans les actes qui permettaient de financer les déficits publics ou de puiser des capitaux d'emprunt sur le marché des capitaux. Or, cette compétence, jusqu'à présent « nationale », disparaît, sans pour autant être transférée aux organes communautaires qui disposent d'attributions correspondantes. Cependant, sous réserve de ces implications sur la conduite de la politique économique des Etats membres, les compétences liées à la politique économique restent aux Etats membres, dont le pouvoir discrétionnaire demeure intact. Néanmoins, ce qui n'a pas été réalisé, du point de vue du transfert des compétences, par l'union économique, est entrepris par l'intermédiaire des dispositions du Traité qui régissent l'union monétaire. Dès la délimitation de l'action afférente, la différence est nette : « cette action comporte la fixation irrévocable des taux de change conduisant à l'instauration d'une monnaie unique, l'Ecu, ainsi que la définition et la conduite d'une politique monétaire et d'une politique de change ». La décision d'entamer la troisième et dernière étape de l'établissement graduel de l'union monétaire confirme son caractère irrévocable, alors que le réaménagement des compétences qu'elle entraîne est radical, novateur et d'une importance décisive pour la physionomie finale de la Communauté. En effet, la définition et la mise en œuvre de la politique monétaire de la Communauté sont confiées par le Traité à des organes communautaires indépendants nouvellement créés. C'est ainsi que le Système européen de banques centrales (SEBC), composé de la Banque centrale européenne (BCE) et des banques centrales nationales, a pour attribution fondamentale « de définir et mettre en œuvre la politique monétaire de la Communauté ». Parallèlement, le droit exclusif d'émettre des billets de banque dans la Communauté appartient à la BCE qui, pas davantage que les banques centrales nationales, « ne peut solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme». L'affectation de la souveraineté monétaire étrangère de la Communauté au Conseil organe de nature moins technique et plus politique, ne constitue pas un motif de révision, même partielle, de la constatation ci-dessus. Le transfert à la Communauté du pouvoir monétaire ou, plus analytiquement, de la politique financière, de la politique du crédit et de la politique des taux, constitue un fait incontestable. Au terme de cette analyse, on est amené à constater que l'Union européenne dispose de 16 compétences de type fédéral dans le domaine monétaire, tandis que la politique économique, la politique étrangère et la sécurité relèvent de la compétence des États membres. B. - Sur le plan des pouvoirs A l'instar de la méthode adoptée à propos des compétences, l'évaluation de l'Union du point de vue des pouvoirs suppose la définition des caractéristiques communes qui équivalent à l'existence d'un Etat organisé sur le mode fédéral. 1. Le partage des pouvoirs dans un Etat fédéral L'agencement organique des Etats fédéraux cherche à combiner harmonieusement les trois principes fondamentaux du phénomène fédéral aux principes traditionnels de légitimation et d'exercice de tout pouvoir, à savoir sa constitution démocratique et séparée. S'efforçant d'assurer l'unité dans la diversité, la construction du système organique fédéral a acquis peu à peu les caractéristiques suivantes : : Le Parlement fédéral constitue l'organe fédéral par excellence. Sa composition double, Chambre haute et Chambre basse, vise à garantir la complexion originale innée de la fédération : équilibre entre les exigences centrales et régionales. L'absence de schémas permettant d'atteindre à cet équilibre fondamental amène à la réémergence de l'Etat simple. C'est pourquoi la façon dont est organisé et fonctionne le Parlement fédéral revêt une importance particulière. La nécessité de protéger les Etats fédérés impose la participation égale de leurs représentants à l'élaboration et à l'exercice de l'ensemble des pouvoirs fédéraux. En cas contraire, l'autonomie si désirée et par extension l'existence même de ces Etats en tant qu'entités étatiques distinctes sont soumises aux caprices des organes centraux qui, sous prétexte d'une gestion plus efficace des affaires non seulement générales mais aussi locales, peuvent conduire, hors de tout contrôle, à la suppression... de ces dernières. Par conséquent, le mode de constitution et de fonctionnement de la Chambre haute, en tant que garant et expression authentique des intérêts étatiques particuliers, fait l'objet de recherches continuelles qui, naturellement, s'étendent également à la conception de la place mutuelle des deux corps dans le système politique général. La combinaison du principe de représentation égale, dicté par l'égalité existentielle des Etats fédérés, et de celui de représentation proportionnelle, qui garantit la participation à part égale des citoyens à la définition de la notion d'intérêt fédéral général, s'est immédiatement identifiée à la forme sui generis de la fédération. Cependant, il n'est pas exclu que le principe de la représentation égale, appliqué de manière absolue par le système américain, soit en partie contrebalancé par celui de la représentation proportionnelle, en fonction de l'importance de la population étatique, comme cela se produit dans le modèle fédéral allemand. Cela a des rapports étroits, en conséquence du moins, avec la question du mode de choix du représentant des Etats membres, dont l'élection, selon le système américain, ou la désignation gouvernementale, comme en Allemagne, influent de manière définitive sur la défense ou non des entités fédérées, au détriment ou au profit de leurs citoyens, entendus séparément, là où c'est possible. Pour ce qui est des pouvoirs dont disposent les deux détenteurs du double pouvoir de légitimation, l'exigence fondamentale de l'égalité de partage se trouve fréquemment modérée par la nécessité d'assurer un fonctionnement efficace des organes législatifs fédéraux. C'est en fonction du pouvoir dont disposent les Etats membres fédérés et de la résistance qu'ils opposent au moment de 17 l'instauration des Constitutions fédérales que se dessinent les rapports de force dans le mode de constitution du pouvoir législatif. Quoi qu'il en soit, la primauté de la Chambre haute (USA) ou de la Chambre basse (Allemagne) ne doit en aucun cas permettre la supériorité totale de l'un des deux corps, principe qui conduit souvent à des procédures longues et opaques, qui s'accompagnent de compromis nombreux et déloyaux. Le gouvernement fédéral, sans présenter d'originalité particulière, suit d'habitude l'un des modèles possibles des systèmes démocratiques de gouvernement. Aux Etats-Unis est en vigueur le système présidentiel dans lequel le président, malgré l'approbation de ses ministres par le Sénat, concentre entre ses mains la totalité des pouvoirs gouvernementaux, qui s'exercent en son nom et sous son entière responsabilité. Elu par le peuple, il exerce ses pouvoirs tout au long de son mandat sous le contrôle étroit des autres organes fédéraux, dont le contrôle politique ne comporte aucune possibilité de renversement. En Allemagne, c'est le système parlementaire classique qui est en vigueur, en ce sens que la formation du gouvernement implique la confiance « déclarée » de la Chambre, avec toutes les conséquences accessoires que cela implique. La nécessité d'un gouvernement central fort, exprimant de manière unitaire et représentative l'ensemble des citoyens de la fédération et des Etats fédérés, va de pair avec les formes connues de gouvernement démocratique, sous réserve de constantes améliorations de détail à l'intérieur du système, dont la constitution historique ne semble pas être remise en cause par les nouveaux besoins socioéconomiques. Enfin, pour ce qui est des Cours constitutionnelles fédérales, il convient de souligner que leur mission première consiste à garantir le partage des compétences et des pouvoirs entre l'Etat fédéral et les Etats fédérés réalisé par la Constitution fédérale. Par conséquent, leur tâche est de résoudre les litiges touchant au vote de lois inconstitutionnelles par le Parlement fédéral ou les Parlements fédér és. Les trois organes susvisés, Parlement fédéral, gouvernement et Cour constitutionnelle, avec les pouvoirs dont ils disposent, composent le cadre organique nécessaire du système fédéral tel qu'il s'est développé au cours du temps et qu'il continue à régner dans nombre de pays du monde actuel. 2. Les pouvoirs de l'Union à travers le prisme fédéral La recherche des éléments d'un ordonnancement organique répondant à celui des Etats fédéraux fut toujours un point de référence essentiel dans tout décryptage systématique de la nature du phénomène communautaire. Mais la constitution organique originale de la Communauté offrait fort peu de points d'appui à une identification de celle-ci aux constructions fédérales pures, ce qui avait pour résultat de remplacer la séparation tripartite traditionnelle des pouvoirs par des séparations de caractère international entre organes d'action et organes de contrôle. Bien que les modifications répétées de la Constitution communautaire aient réussi à faire émerger à la surface la question, au départ négligée, de la forme démocratique de la Communauté, les forces politiques contradictoires qui les soutenaient menèrent souvent à des compromis fort peu compatibles avec les principes d'un Etat fédéral, et surtout d'un système politique original certes, mais viable. Néanmoins, les principes historiquement éprouvés de la séparation des pouvoirs et de leur constitution démocratique gagnèrent peu à peu du terrain, ajoutant à l'ensemble du réseau organique communautaire, outre une hypertechnicité inévitable, une forme qui ne coupait pas total ement les ponts avec une approche fédérale. Le transfert de la souveraineté monétaire à la Communauté révise radicalement les données de la vision et de l'évaluation du schéma organique qu'elle doit adopter. Cette souveraineté communautaire exige des structures permettant désormais sa légitimation communautaire, par nature incompatible avec la présence d'un Conseil représentant institutionnel des intérêts des Etats 18 dans la Communauté. L'influence décisive de l'union monétaire sur l'ensemble des activités économiques de la Communauté généralise la présente problématique, qui traverse la totalité de la construction communautaire. Au contraire, la gestion nationale, en principe, même après le Traité de Maastricht, des compétences liées à la souveraineté étrangère, sous sa forme classique, suppose, si elle n'exige pas, la superstructure organique intergouvernementale du Traité en question. En effet, il convient d'observer que le « cadre institutionnel unique » dont dispose l'Union n'est réellement unique que « in so far as the intergovernemental pillars do not have institutions of their own ». L'exception de la Cour de justice, la participation réduite de la Commission et du Parlement européen, ainsi que le rôle dominant du Conseil, composent un ensemble institutionnel qui non seulement va en un sens totalement anti fédéral, mais est aussi fort peu compatible avec la notion de « cadre institutionnel u nique ». La limitation de la problématique à l'aspect communautaire de l'Union constitue à n'en pas douter une première atteinte portée à la tentative éventuelle de qualifier son ordonnancement organique comme étant de forme fédérale. Mais la dimension de légitimation que revêt le problème est de nature à faire sous-estimer toute tentative de solution idéologique ; en revanche, elle rend plus impérative la lecture positive et surtout statique des facteurs qui le créent. Le Traité de Maastricht n'innove pas de manière essentielle dans la réforme de l'organigramme communautaire : * Pour ce qui est de la Cour de justice, sa nature fédérale est renforcée par le pouvoir d'imposer des sanctions pécuniaire , à l'instar des Cours suprêmes anglo-saxonnes. Parallèlement, sa possibilité de s'immiscer dans le contrôle du principe de subsidiarité est limitée, d'une part, par son incapacité innée à contrôler une activité politique par excellence, et d'autre part, par le caractère anti-fédéral que revêt une telle attitude. À vrai dire, la Cour de justice ne doit pas saper elle-même, par l'adoption de tendances purement centralisatrices, sa nature en principe fédérale. Sinon, les réserves des Etats membres à l'égard d'un renforcement supplémentaire de ses compétences, qui lui permettrait, par exemple, de contrôler la législation nationale de manière directe et abrogatoire, non seulement se trouvent fondées, mais dictent, en cas de transformation de l'Union en Etat fédéral, sa complète réorganisation. Quoi qu'il en soit, on peut considérer que l'étape actuelle de l'évolution du phénomène communautaire s'accorde au mode de constitution de la Cour de justice, dont la juridiction matériellement fédérale, qui est l'un des purs éléments supranationaux de la Communauté, s'étend aussi au contrôle des actes de la Banque centrale européenne. * Pour ce qui est du Conseil, il convient de souligner la nouvelle réglementation qui lui permet d'être composé d'un représentant de chaque Etat membre au niveau ministériel, qui, sans être obligatoirement membre du Conseil des ministres, est habilité à engager le gouvernement de l'Etat membre qu'il représente. Cette réglementation instaure la possibilité de participation aux séances du Conseil de personnes représentant des entités fédérées ou régionales aux compétences desquelles sont soumises les questions débattues. Elle constitue une innovation dans le sens fédéral, d'origine belge essentiellement, qui, à tout point de vue, doit être approuvée. La noninsertion, par ailleurs, du Conseil européen dans la liste des organes communautaires ne semble pas désactiver son influence intergouvernementale certaine, d'autant plus qu'il est déclaré organe de base de l'Union, dans la mesure où il donne à cette dernière « les impulsions nécessaires à son dével oppement et en définit les orientations politiques générales ». * Pour ce qui est de la Commission, l'approbation de son président et de ses membres, qui ont été nommés d'un commun accord par les Etats membres, par le Parlement en vue de leur désignation définitive, d'un commun accord, par les Etats membres de nouveau, constitue une tentative 19 d'imiter les mécanismes des régimes parlementaires qui, bien qu'elle renforce la nature démocratique et politique de la Commission, ne suffit nullement à faire d'elle une sorte de gouvernement européen, dans la mesure où elle ne possède pas la totalité du pouvoir exécutif et où le pouvoir qu'elle exerce n'est pas légitimé par le peuple européen, mais par les peuples des États m embres. * Pour ce qui est du Parlement européen, on pense communément que ses compétences ont été substantiellement renforcées, en particulier par la reconnaissance des pouvoirs de codécision ou par sa possibilité de demander à la Commission de soumettre des propositions d'actes communautaires. Quelque positif que soit cependant le renforcement des pouvoirs du Parlement européen, il reste impuissant à modifier sa nature, qui continue à être marquée par le fait que, même avec le nouveau Traité, « le Parlement européen est composé des représentants des peuples des Etats réunis dans la Communauté ». Cette situation est vécue par l'ensemble des organes communautaires qui, de la sorte, ne peuvent s'élever au niveau d'organes d'un Etat fédéral […] IV. - L'Union européenne en tant que confédération L'impossibilité de qualifier l'Union d'organisation internationale nous amène nécessairement à la forme la plus fragile d'union d'Etats qui puisse exister, la confédération. Les caractéristiques de la confédération, qui est toujours créée par un traité international, sont les suivantes. La construction institutionnelle de la confédération est très peu développée. Elle agit d'habitude par l'intermédiaire d'un organe composé des représentants des gouvernements des Etats membres. Le mode de prise des décisions traduit tout à fait l'égalité des Etats, dont chacun détient un droit de veto. Par ailleurs, même les décisions prises à l'unanimité peuvent ne pas être exécutées, s'il a été convenu d'une approbation ultérieure, de forme gouvernementale ou parlementaire. L'exécution elle-même des décisions appartient aussi aux Etats membres, qui les exécutent en leur nom ou au nom des autres membres. En d'autres termes, la confédération ne dispose ni d'une administration unique, ni d'un organe exécutif unique, ni du pouvoir propre d'imposer les décisions qui sont prises, malgré tout, en son nom. La physionomie de la confédération ressortit davantage de la méthode de gestion des compétences. Les Etats membres ne peuvent décider séparément, sauf s'ils ont procédé à une telle réserve. Mais l'impuissance à adopter une décision commune s'accompagne de la capacité statutaire de prendre des décisions individuelles. Le cas se présente généralement à la suite d'une délibération préalable obligatoire. Le problème de la nature de l'organe confédéral qui semble aussi concentrer la qualité de gouvernement confédéral et celle d'organe législatif confédéral est du même ordre. Pour ce qui est des compétences de la confédération, au sens de leur gestion commune, elles comprennent surtout celles qui sont liées aux relations internationales. Ce sont presque toujours les dangers extérieurs qui ont été la cause de la constitution des confédérations ; c'est pourquoi la plupart ont été des unions militaro-défensives, que leur caractère durable distingue des simples alliances. Mais le point fondamental, dans le domaine des compétences, c'est que la création de confédérations laisse intacte la souveraineté étrangère des Etats membres, qui continuent à apparaître sur la scène internationale. Le ius belli, le ius legationis et le ius tractatum relèvent de leur compétence exclusive, et seuls quelques aspects de leur exercice sont soumis à des procédures communes, dont le contrôle souverain toutefois, du fait de la volonté, ne serait ce que d'un seul Et at membre, peut provoquer la paralysie. 20 L'organisation du Traité de Maastricht, en ce qui concerne la politique étrangère et de sécurité commune, paraît ressembler à la constitution d'une confédération. La position souveraine du Conseil, liée à la mission auxiliaire de la Commission et du Parlement européen, accroît le rôle déjà important des Etats membres qui, en vertu d'une disposition expresse, définissent et mettent en oeuvre de concert la politique étrangère et de sécurité commune. Par ailleurs, l'absence de toute personnalité juridique de l'Union garantit pleinement leur souveraineté étrangère, dont ils ont décidé de mettre certains aspects en gestion commune, en consacrant cependant totalement leur égale participation et action. En effet, l'ampleur des objectifs de la politique en question laisse quasi intact le pouvoir discrétionnaire des représentants des Etats membres au Conseil, pouvoir qu'ils peuvent utiliser pour la promotion de leurs intérêts nationaux, dont la conception égoïste ne va pas toujours de pair avec l'intérêt général de l'Union. Parallèlement, l'inexistence de règles de droit matérielles, combinée à l'exigence d'unanimité, sauvegarde entièrement la souveraineté nationale des États membres. L'identité confédérale apparaît également de manière tout à fait nette dans l'exécution des décisions communes ou dans le mode d'action des Etats lorsque celles-ci font défaut. Dans le premier cas, l'article J 3, paragraphe 7, est clair : « En cas de difficultés majeures pour appliquer une action commune, un Etat membre saisit le Conseil, qui en délibère et recherche les solutions appropriées. Celles-ci ne peuvent aller à l'encontre des objectifs de l'action ni nuire à son efficacité. » En dépit de toutes les conditions qui l'accompagnent, la disposition sous-entend clairement le mode national d'exécution des décisions communes, dont l'absence conduit à l'instauration, comme seule exécution, de celle qu'assument les Etats membres. Ainsi, selon le paragraphe 6 de cet article, « en cas de nécessité impérieuse liée à l'évolution de la situation et à défaut d'une décision du Conseil, les Etats membres peuvent(-ils) prendre d'urgence les mesures qui s'imposent, en tenant compte des objectifs généraux de l'action commune. L'Etat membre qui prend de telles mesures en inform e immédiatement le Conseil ». L'examen comparatif mené ci-dessus permet d'aboutir à la conclusion incontestable que l'Union européenne, à l'exception de son pilier communautaire, est de type confédéral. La gravité des questions qui font l'objet de la réglementation et la suspicion réciproque, non totalement injustifiée, des Etats membres n'a pas permis l'instauration d'une forme avancée de coopération. L'érection d'un organe purement intergouvernemental en organe législatif et exécutif, dont les décisions obéissent uniquement à des critères politiques, totalement indépendants de visions judiciaires ou plus généralement communautaires, traduit l'immaturité des Etats membres devant la gestion de leur souveraineté étrangère dans des schémas supranationaux. Doc 4. SCELLE (G.), Cours de droit international public, 1946, p. 256 (extrait). […] Les traits juridiques essentiels du fédéralisme Sans vouloir faire ici la théorie constitutionnelle du fédéralisme qui varie d'ailleurs avec chacune des modalités de l'association, il est cependant un certain nombre de traits caractéristiques du fédéralisme institutionnel qui doivent être soulignés parce qu'ils ont des répercussions internationales. Parmi ces traits, nous noterons la « participation institutionnelle » et « l'autonomie gouvernementale ». a) Loi de participation ou de collaboration Nous savons que le fédéralisme implique l'apparition d'un ordre juridique superposé à ceux des 21 collectivités préexistantes pour répondre à des phénomènes de solidarité communs. Pour la mise en œuvre de l'ordre juridique de superposition, une ou plusieurs institutions publiques communes, ou « organes fédéraux » sont institués : corps législatif fédéral ; juridictions fédérales ; services publics fédéraux et, notamment, services publics de relation, tels que la diplomatie, les consulats, les transports, etc. ; services publics de défense extérieure (armée, etc.) ou d'exécution interne (police, etc.). Or, il n'y a vraiment fédéralisme que si les collectivités associées participent par leurs représentants à la constitution de ces organes fédéraux et à l'élaboration de leurs décisions. À défaut de cette participation – par exemple si les organes fédéraux ne sont l'émanation que d'un seul des États ou collectivités associés – il y aurait « droit de subordination » et non « droit de collaboration » et c'est la collaboration qui est la caractéristique du Droit fédéral, qui distingue le fédéralisme de la vassalité, de la tutelle, de la colonisation. Cela ne signifie pas que cette participation doive être égale ou identique, quels que puissent être l'importance ou le volume des collectivités (États) fédérées. Réintroduire ici le dogme de l'égalité absolue des États parce qu'États, c'est retomber dans l'erreur de l'égalité fonctionnelle, qui est en correspondance directe avec l'idée de souveraineté et incompatible avec toute organisation effective (2). b) Loi d'autonomie La seconde caractéristique, c'est l'autonomie garantie des collectivités associées. Cette « décentralisation gouvernementale » est essentielle, sans quoi les collectivités perdraient leur caractère étatique et l'organisation fédérale ne tarderait pas à évoluer vers l'État unitaire. Le fédéralisme suppose non pas une fusion, mais une association de collectivités distinctes conservant chacune sa législation, son système juridictionnel, administratif, sanctionnateur, pour tout ce qui correspond à leurs domaines respectifs de solidarité particulière. Tant qu'il ne se dégage pas un besoin d'unification correspondant à un intérêt commun, les collectivités composantes restent individualisées. La compétence fédérale ne s'applique qu'à la gestion des affaires d'intérêt commun, notion d'ailleurs évolutive. C'est la raison fondamentale pour laquelle les collectivités politiques fédéralisées continuent à être considérées comme des États, même dans le cas où leurs gouvernements ont abdiqué toute compétence internationale. 1. C'est ce que les auteurs qualifient souvent de « participation à la formation de la volonté fédérale ». Il n'y a pas plus de volonté fédérale que de volonté étatique, mais seulement, au sein des organes institutionnels, formation de majorités conditionnant la validité juridique des décisions. 2. Jamais une collectivité de valeur 1000 ne consentira à être mise sur le même pied qu'une collectivité de valeur ou de volume 10, à laisser prendre des décisions majoritaires par une majorité de 5 X 10 contre1000. X 1. La constitution normale des organes fédéraux (et c'est aussi l'équité), doit donc partir du principe de la proportionnalité. Sans doute peut-il y avoir des difficultés pratiques considérables à établir la base de cette proportionnalité : le volume n'est pas tout (notamment le chiffre de la population), d'autres facteurs doivent entrer en ligne de compte : richesse, industrialisation, culture, etc. Comme dans toute « société » il y a lieu de tenir compte des « apports ». C'est une question de dosage et d'équité, non d'arithmétique. Répétons-le, la solution – difficile – exige, au moment de la conclusion du Pacte fédéral ou de ses modifications, un esprit de volonté d'accord et de bonne volonté en vue de réaliser un équilibre par des sacrifices mutuels, équilibre qui d'ailleurs, sera sujet à révisions. 22

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