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sujet bac 1ere s

Publié le 28/12/2016

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Corpus :  Texte A : Pierre Corneille, Médée, acte I, scène 4, 1635.Texte B : Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, 1757.Texte C : Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre neuvième, chapitre 2, 1831. Texte D : Émile Zola, La Bête humaine, chapitre II, 1890.   Texte A : Pierre Corneille, Médée, acte I, scène 4, 1635. [Jason et Médée se sont aimés passionnément et de leur union sont nés deux enfants. Par amour pour lui, elle a commis les pires crimes. Mais à présent, Jason en aime une autre et veut chasser Médée...]                             MÉDÉE[…] Jason me répudie ! et qui l'aurait pu croire ? S'il a manqué d'amour, manque-t-il de mémoire ?Me peut-il bien quitter après tant de bienfaits ? M'ose-t-il bien quitter après tant de forfaits1 ? Sachant ce que je puis, ayant vu ce que j'ose, Croit-il que m'offenser ce soit si peu de chose ?Quoi ! mon père trahi, les éléments forcés, D'un frère dans la mer les membres dispersés2, Lui font-ils présumer mon audace épuisée ? Lui font-ils présumer qu'à mon tour méprisée, Ma rage contre lui n'ait par où s'assouvir3,Et que tout mon pouvoir se borne à le servir ? Tu t'abuses, Jason, je suis encor moi-même. Tout ce qu'en ta faveur fit mon amour extrême, Je le ferai par haine ; et je veux pour le moinsQu'un forfait nous sépare, ainsi qu'il nous a joints ; Que mon sanglant divorce4, en meurtres, en carnage, S'égale aux premiers jours de notre mariage, Et que notre union, que rompt ton changement, Trouve une fin pareille à son commencement. Déchirer par morceaux l'enfant aux yeux du père N'est que le moindre effet qui suivra ma colère ;Des crimes si légers furent mes coups d'essai : Il faut bien autrement montrer ce que je sai5 ; Il faut faire un chef-d’oeuvre, et qu'un dernier ouvrage Surpasse de bien loin ce faible apprentissage. 1. Forfaits : crimes énormes.2. D’un frère dans la mer les membres dispersés : Médée a égorgé, dépecé et jeté dans la mer les morceaux du cadavre de son frère.3. N’ait par où s’assouvir : ne trouve pas comment se rassasier.4. Divorce : séparation.5. Sai : orthographe utilisée pour la rime avec « essai ».   Texte B : Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, La Belle et la Bête, 1757. [Pour sauver son vieux père retenu prisonnier dans le château d'un être monstrueux, la Belle accepte de prendre sa place auprès de la Bête, qui le laisse partir.]   Lorsqu'il fut parti, la Belle s'assit dans la grande salle et se mit à pleurer aussi. Mais comme elle avait beaucoup de courage, elle se recommanda à Dieu et résolut de ne se point chagriner pour le peu de temps qu'elle avait à vivre car elle croyait fermement que la Bête la mangerait le soir. Elle résolut de se promener en attendant et de visiter ce beau château.   Elle ne pouvait s'empêcher d'en admirer la beauté. Mais elle fut bien surprise de trouver une porte sur laquelle il y avait écrit : Appartement de la Belle. Elle ouvrit cette porte avec précipitation et fut éblouie de la magnificence qui y régnait. Mais ce qui frappa le plus sa vue fut une grande bibliothèque, un clavecin et plusieurs livres de musique. « On ne veut pas que je m'ennuie », dit-elle, tout bas. Elle pensa ensuite : « Si je n'avais qu'un jour à demeurer ici, on ne m'aurait pas ainsi pourvue1.» Cette pensée ranima son courage. Elle ouvrit la bibliothèque et vit un livre où il y avait écrit en lettres d'or : Souhaitez, commandez : vous êtes ici la reine et la maîtresse. « Hélas ! dit-elle en soupirant, je ne souhaite rien que de voir mon pauvre père et de savoir ce qu'il fait à présent. » Elle avait dit cela en elle-même.   Quelle fut sa surprise, en jetant les yeux sur un grand miroir, d'y voir sa maison où son père arrivait avec un visage extrêmement triste ! Ses sœurs venaient au-devant de lui et, malgré les grimaces qu'elles faisaient pour paraître affligées, la joie qu'elles avaient de la perte de leur sœur paraissait sur leur visage. Un moment après, tout cela disparut, et la Belle ne put s'empêcher de penser que la Bête était bien complaisante2 et qu'elle n'avait rien à craindre.   À midi, elle trouva la table mise et, pendant son dîner, elle entendit un excellent concert, quoiqu'elle ne vît personne. Le soir, comme elle allait se mettre à table, elle entendit le bruit que faisait la Bête et ne put s'empêcher de frémir.   « La Belle, lui dit ce monstre, voulez-vous bien que je vous voie souper ?   — Vous êtes le maître, répondit la Belle en tremblant.   — Non, reprit la Bête, il n'y a ici de maîtresse que vous. Vous n'avez qu'à me dire de m'en aller si je vous ennuie ; je sortirai tout de suite. Dites-moi, n'est-ce pas que vous me trouvez bien laid ?   — Cela est vrai, dit la Belle, car je ne sais pas mentir ; mais je crois que vous êtes fort bon.   — Vous avez raison, dit le monstre. Mais outre que je suis laid, je n'ai point d'esprit : je sais bien que je ne suis qu'une Bête.   — On n'est pas bête, reprit la Belle, quand on croit n'avoir point d'esprit. Un sot n'a jamais su cela.   — Mangez donc, la Belle, dit le monstre, et tâchez de ne point vous ennuyer dans votre maison car tout ceci est à vous, et j'aurais du chagrin3 si vous n'étiez pas contente.   — Vous avez bien de la bonté, dit la Belle. Je vous assure que je suis contente de votre cœur. Quand j'y pense, vous ne me paraissez plus si laid.   — Oh ! dame, oui ! répondit la Bête. J'ai le cœur bon, mais je suis un monstre.   — Il y a bien des hommes qui sont plus monstres que vous, dit la Belle, et je vous aime mieux avec votre figure que ceux qui, avec la figure d'homme, cachent un cœur faux, corrompu, ingrat. […] » 1. Pourvue : le mot désigne ici toutes les richesses offertes par la Bête. 2. Complaisante : qui se montre aimable pour plaire à autrui. 3. Chagrin : souffrance morale profonde.   Texte C : Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Livre neuvième, chapitre 2, 1831. [Injustement accusée d'un meurtre qu'elle n'a pas commis, la jeune bohémienne (ici appelée « égyptienne ») Esmeralda est condamnée à mort. Elle est sauvée par Quasimodo, le monstrueux sonneur de cloches, qui l'enlève et la conduit dans son refuge, une tour de la cathédrale Notre-Dame de Paris.]  Tant que cette course avait duré, la jeune fille n’avait pu reprendre ses sens, à demi assoupie, à demi éveillée, ne sentant plus rien sinon qu’elle montait dans l’air, qu’elle y flottait, qu’elle y volait, que quelque chose l’enlevait au-dessus de la terre. De temps en temps, elle entendait le rire éclatant, la voix bruyante de Quasimodo à son oreille ; elle entrouvrait ses yeux ; alors au-dessous d’elle elle voyait confusément Paris marqueté de ses mille toits d’ardoises et de tuiles comme une mosaïque rouge et bleue, au-dessus de sa tête la face effrayante et joyeuse de Quasimodo. Alors sa paupière retombait ; elle croyait que tout était fini, qu’on l’avait exécutée pendant son évanouissement, et que le difforme esprit qui avait présidé à sa destinée l’avait reprise et l’emportait. Elle n’osait le regarder et se laissait aller.   Mais quand le sonneur de cloches échevelé et haletant l’eut déposée dans la cellule du refuge, quand elle sentit ses grosses mains détacher doucement la corde qui lui meurtrissait les bras, elle éprouva cette espèce de secousse qui réveille en sursaut les passagers d’un navire qui touche au milieu d’une nuit obscure. Ses pensées se réveillèrent aussi, et lui revinrent une à une. Elle vit qu’elle était dans Notre-Dame ; elle se souvint d’avoir été arrachée des mains du bourreau ; que Phœbus1 était vivant, que Phœbus ne l’aimait plus ; et ces deux idées, dont l’une répandait tant d’amertume sur l’autre, se présentant ensemble à la pauvre condamnée, elle se tourna vers Quasimodo qui se tenait debout devant elle, et qui lui faisait peur ; elle lui dit : — Pourquoi m’avez-vous sauvée ?   Il la regarda avec anxiété, comme cherchant à deviner ce qu’elle lui disait. Elle répéta sa question. Alors il lui jeta un coup d’œil profondément triste, et s’enfuit.  Elle resta étonnée.   Quelques moments après il revint, apportant un paquet qu’il jeta à ses pieds. C’étaient des vêtements que des femmes charitables avaient déposés pour elle au seuil de l’église. Alors elle abaissa ses yeux sur elle-même, se vit presque nue, et rougit. La vie revenait.  Quasimodo parut éprouver quelque chose de cette pudeur. Il voila son regard de sa large main, et s’éloigna encore une fois, mais à pas lents.   Elle se hâta de se vêtir. C’était une robe blanche avec un voile blanc. Un habit de novice de l’Hôtel-Dieu2.   Elle achevait à peine qu’elle vit revenir Quasimodo. Il portait un panier sous un bras et un matelas sous l’autre. Il y avait dans le panier une bouteille, du pain, et quelques provisions. Il posa le panier à terre, et dit : — Mangez. Il étendit le matelas sur la dalle, et dit : — Dormez. C’était son propre repas, c’était son propre lit que le sonneur de cloches avait été chercher.   L’égyptienne leva les yeux sur lui pour le remercier ; mais elle ne put articuler un mot. Le pauvre diable était vraiment horrible. Elle baissa la tête avec un tressaillement d’effroi. 1. Phœbus : capitaine de la garde attiré par la gitane Esmeralda mais sans réels sentiments pour elle. 2. Novice de l’Hôtel-Dieu : jeune religieuse.   Texte D : Émile Zola, La Bête humaine, chapitre II, 1890. [Lors d'une promenade nocturne, Jacques Lantier rencontre Flore, une jeune fille qu'il connaît depuis l'enfance. Une paire de ciseaux à la main, elle coupe et récupère de vieux morceaux de cordes. Une conversation se noue entre eux, lors de laquelle Flore avoue à Jacques son amour. Alors qu'ils s'étreignent, Jacques, possédé par une soudaine envie de tuer, saisit la paire de ciseaux... mais avant de commettre son crime, il retrouve ses esprits et s'enfuit, horrifié.]  Mon Dieu ! il était donc revenu, ce mal abominable dont il se croyait guéri ? Voilà qu’il avait voulu la tuer, cette fille ! Tuer une femme, tuer une femme ! cela sonnait à ses oreilles, du fond de sa jeunesse, avec la fièvre grandissante, affolante du désir. Comme les autres, sous l’éveil de la puberté, rêvent d’en posséder une, lui s’était enragé à l’idée d’en tuer une. Car il ne pouvait se mentir, il avait bien pris les ciseaux pour les lui planter dans la chair, dès qu’il l’avait vue, cette chair, cette gorge, chaude et blanche. Et ce n’était point parce qu’elle résistait, non ! c’était pour le plaisir, parce qu’il en avait une envie, une envie telle, que, s’il ne s’était pas cramponné aux herbes, il serait retourné là-bas, en galopant, pour l’égorger. Elle, mon Dieu ! cette Flore qu’il avait vue grandir, cette enfant sauvage dont il venait de se sentir aimé si profondément. Ses doigts tordus entrèrent dans la terre, ses sanglots lui déchirèrent la gorge, dans un râle d’effroyable désespoir.   Pourtant, il s’efforçait de se calmer, il aurait voulu comprendre. Qu’avait-il donc de différent, lorsqu’il se comparait aux autres ? Là-bas, à Plassans, dans sa jeunesse, souvent déjà il s’était questionné. Sa mère Gervaise, il est vrai, l’avait eu très jeune, à quinze ans et demi ; mais il n’arrivait que le second, elle entrait à peine dans sa quatorzième année, lorsqu’elle était accouchée du premier, Claude ; et aucun de ses deux frères, ni Claude, ni Étienne, né plus tard, ne semblait souffrir d’une mère si enfant et d’un père gamin comme elle, ce beau Lantier, dont le mauvais coeur devait coûter à Gervaise tant de larmes. Peut-être aussi ses frères avaient-ils chacun son mal, qu’ils n’avouaient pas, l’aîné surtout qui se dévorait à vouloir être peintre, si rageusement qu’on le disait à moitié fou de son génie. La famille n’était guère d’aplomb, beaucoup avaient une fêlure1. Lui, à certaines heures, la sentait bien, cette fêlure héréditaire ; non pas qu’il fût d’une santé mauvaise, car l’appréhension et la honte de ses crises l’avaient seules maigri autrefois ; mais c’étaient, dans son être, de subites pertes d’équilibre, comme des cassures, des trous par lesquels son moi lui échappait, au milieu d’une sorte de grande fumée qui déformait tout. Il ne s’appartenait plus, il obéissait à ses muscles, à la bête enragée. 1. Fêlure : déséquilibre psychologique ou moral.   I - Vous répondrez d'abord à la question suivante (4 points) : Dans quelle mesure ces personnages monstrueux restent-ils aussi des êtres humains ? II - Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des trois sujets suivants (16 points) : CommentaireVous commenterez l’extrait de La Belle et la Bête, de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (Texte B). Dissertation  Le personnage monstrueux, dans les œuvres littéraires et artistiques, est-il seulement un repoussoir, un objet de répulsion ?  Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les textes du corpus, les œuvres étudiées en classe, vos lectures et votre culture personnelles. Invention   Blessé par le regard épouvanté d’Esmeralda à la fin du texte, Quasimodo, qui s’était senti transporté et héroïque, est brusquement ramené à sa seule monstruosité physique.   Écrivez un monologue intérieur dans lequel, plein d’amertume, il se remémore cette scène et essaie de comprendre pourquoi, quoi qu’il fasse, il ne sera jamais qu’un monstre aux yeux des autres.

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