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Napoléon Ier et la littérature

Publié le 25/01/2019

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Napoléon Ier, empereur des Français (Ajaccio 1769-Sainte-Hélène 1821). Napoléon appartient deux fois, de manière inégale, à l'histoire littéraire : d'abord comme écrivain, comme figure mythique ensuite. Chateaubriand {Mémoires d'outre-tombe, III, I, 5) a fait le bilan de la « carrière littéraire », qu'il place entre 1784 et 1793. Bonaparte lisait les historiens (Hérodote, Strabon, Diodore de Sicile), les philosophes, les économistes (Mably, Smith), annotait d'une plume rageuse les Discours de Rousseau. Il écrivait des lettres à l'abbé Raynal, adressait aux ministres des mémoires sur l'organisation de la Corse ou « sur la manière de disposer les pièces de canon pour le jet des bombes ».

 

En 1842, on découvrit un carton contenant 38 cahiers, écrits de 1786 à 1793, et destiné à son oncle le cardinal Fesch : il rassemblait, entre autres, une ébauche de journal intime [Époques de ma vie}, un « petit roman anglais » [le Comte d'Essex), une nouvelle orientale [le Masque prophète), un dialogue sur l'amour. Plus connu est le Souper de Beaucaire, évocation d'une conversation qui aurait eu lieu le 29 juillet 1793 entre deux négociants marseillais, un Nîmois, un fabricant de Montpellier et Bonaparte, qui défendait la politique de la Convention : cet opuscule attira alors l'attention des représentants du peuple en mission dans le Midi et fut édité aux frais de l'État en août 1793.

 

Mais le véritable Napoléon de la littérature est celui que contribua à façonner le Mémorial de Sainte-Hélène (1823), que lira avec passion, au lieu de travailler dans la scierie paternelle, le jeune Julien Sorel. Le mythe ne s'est cependant pas installé d'emblée. Ainsi, le Journal d'Henri Beyle n'évoque jamais un quelconque sentiment d'exceptionnel et de grandiose. Au fil des événements et des campagnes, la vie continue dans la France impériale, simplement plus sérieuse, plus grave, plus hypocrite aussi que dans l'ancienne société, et en tout cas toujours dominée par les intérêts les plus bourgeois. La France, précise Beyle, est « restée » monarchique : entendons, elle ne l'est pas « redevenue » avec le sacre. De même, Mme de Staël et Chateaubriand repèrent dans la société nouvelle des pouvoirs, des intérêts, une nouvelle brutalité qui auraient bien besoin d'un nouveau Molière ou d'un nouveau La Bruyère. Vécu de l'intérieur, l'Empire n'est pas légendaire. Et tout s'aggravera dans les dernières années, avec la conscription, le renforcement de la police, etc. Il convient d'ajouter que l'Empire est le règne du conformisme et de l'académisme, que les Idéologues sont suspectés. L'Empereur lit sept fois Werther et connaît Ossian par cœur. Mais son gouvernement est absolument sans poésie : les grands écrivains (Chateaubriand, Mme de Staël, Constant) sont dans l'opposition.

 

Le changement sera lent à venir. 1814 est accueilli comme une délivrance et Beyle, lui-même, cherche alors les faveurs des souverains légitimes. La France, après tout, continue. 1815 ne parvient, par contre, à effacer ni le miracle du retour, ni le vol de l'Aigle de clocher en clocher, ni le drame de Ney et de La Bédoyère, fusillés par fidélité au grand homme, ni la catastrophe de Waterloo, dans sa grandeur sombre. La mort du captif prométhéen, sur son rocher de Sainte-Hélène, va déclencher la propagation foudroyante du mythe. Béranger a commencé. Tout le monde s'y met de Manzoni [le Cinq Mai) à Grillpar-zer [Ode à Napoléon). Les publications de Mémoires se multiplient. Les saint-simoniens voient en Napoléon le premier organisateur. En 1830, on envisage de proposer la couronne au duc de Reichs-tadt et les reculades de la monarchie du « juste milieu » devant l'Europe raniment les grands souvenirs. Hugo, dans ses deux Odes à la Colonne ( 1827), a déjà sonné la charge. Balzac, en 1832, dans son Médecin de campagne, insère son fameux « Napoléon du peuple ». Napoléon est partout, utilisé contre les platitudes de la paix et de la prospérité. Louis-Philippe et les siens essaient à leur tour de capter le flux à leur profit (retour des cendres en 1840). Mais les vieux maréchaux sont devenus des courtisans et des profiteurs que Stendhal exécute (secrètement) en 1837 dans Lucien Leu-wen. Toute une partie de l'intelligentsia certes a résisté : Michelet et Lamartine (cf. le « Bonaparte » des Nouvelles Méditations) ne « marcheront » jamais ; Vallès accusera durement Béranger d'avoir préparé le chemin du neveu ; Pierre Larousse [Grand Dictionnaire universel, II), opposant la figure du général républicain au tyran impérial, notera que Bonaparte est « mort au château de Saint-Cloud, près de Paris, le 18 brumaire an VIII de la République française, une et indivisible ». Mais on croyait dans « le seul roi dont le peuple ait gardé la mémoire ». Grâce à l'image de l'Empire, la France se retrouvait un père, une légitimité (ainsi pour Marius dans les Misérables; l'Empire est retrouvé en même temps que le père ; voir également l'ouverture de la Confession d'un enfant du siècle, de Musset). Il est toutefois caractéristique que ce qui devait durer, en littérature, ce qui devait survivre aux polémiques et offensives politiques, ce sont les grandes imges de défaite et de destin : le Waterloo de Stendhal dans la Chartreuse de Parme, celui de Hugo dans les Misérables, la retraite de Russie et de Waterloo encore dans les Châtiments. Le « surhomme » romantique qu'évoquèrent Pouchkine et le Raskolnikov de Dostoïevski (« À cet homme, après sa mort, on élève des idoles ; c'est donc que tout lui est permis... ») devient chez Tolstoï (Guerre et Paix}, un antihéros, « instrument insignifiant de l'histoire », ou encore avec Léon Bloy (l'Âme de Napoléon] un instrument entre les mains de Dieu. Aragon (la Semaine Sainte) devait relire « l'empire de la bourgeoisie » à la lumière des historiens modernes ; et Queneau, avec la visite manquée de Zazie au tombeau des Invalides et le célèbre « Napoléon, mon cul », ne donne sans doute pas le dernier mot de l'affaire, mais il témoigne d'un certain « classement » du mythe impérial, malgré les résurgences sporadiques des images d'Épinal dramatiques que sont l'Aiglon de Rostand et Madame Sans-Gêne de Sardou.

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