Devoir de Philosophie

LE NATUREL EN LITTERATURE

Publié le 25/01/2019

Extrait du document

NATUREL. Le naturel est un concept clé de la littérature classique. Concept aujourd'hui ambigu, car il ne se fonde ni sur la spontanéité, ni sur l'immédia-teté, ni sur la valorisation de la sensation ou de l'expression « à l'état brut ». Le naturel classique se définit par rapport aux notions de bienséances, d'esprit, de génie, de goût, de raison, de sublime, de vraisemblance, et il est étroitement hé au problème de l'imitation : s'il relève de l'esthétique, il appartient donc tout autant au domaine social. Aussi le naturel classique ne s'inscrit-il pas dans une opposition entre nature et culture. Le naturel est bien plutôt la « seconde nature » qui résulte de la domination parfaite des règles, des conventions, des exercices d'un art et d'une société (« Il n'y a rien qu'on ne rende naturel », Pascal, Pensées, 94). Le naturel classique renvoie donc à une nature humanisée et, par excellence, à la nature humaine. Concept social et esthétique, le naturel a donc aussi un aspect moral. On comprend qu'il ait été élaboré à travers les débats sur le style qui convient à un honnête homme, qui est d'abord un chrétien. De saint Augustin (De doctrina christiana) à Saint-Cyran (Lettres chrétiennes et spirituelles), en passant par Érasme (Ecclesiastes) et Louis de Grenade (Rhetorica ecclesiastica), les techniques du discours doivent être totalement maîtrisées pour laisser libre passage à l'inspiration. Le « naturel chrétien » n'est pas autre chose que 1' « éloquence du cœur ». Certains (Dom Goulu, Lettres de Phyllarque à Ariste, 1627-28 ; J.-P. Camus, le Voyageur inconnu, 1630) crurent nécessaire de

 

chercher dans leur langue maternelle « naturelle » un recours contre les artifices de la rhétorique latine, et la Grammaire de Port-Royal elle-même participe en partie de cette conviction.

 

Or le véritable naturel ne repose pas sur l'ignorance des agréments superflus du style, mais sur leur sacrifice. Le naturel n'est pas un abandon, mais une conquête : à travers une langue et des règles stylistiques dominées, transparentes, sentiments et idées passent, sans déperdition. « La vraie éloquence se moque de l'éloquence » {Pensées, 4) et « quand on voit le style naturel, ajoute Pascal, on est tout étonné et ravi, car on s'attendait de voir un auteur, et on trouve un homme ». Mais un homme qui a conformé sa vie et son œuvre à un modèle idéal. Le naturel n'est donc le produit ni d'une vision « réaliste » ni des caprices d'une subjectivité. Stylisation avant d'être un style, le naturel suppose une double conformité : à une idée abstraite de la perfection et à un désir de communication universelle (P. Rapin, Boileau) — contradiction dont s'accommoda parfaitement le classicisme, mais que ne put supporter l'ère romantique de la « sincérité », qui tomba dans une autre aporie : espérer toucher autrui par une parole fondée sur les seules pulsions « naturelles » du moi.

Liens utiles