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FÉLIBRIGE (résumé & analyse)

Publié le 05/12/2018

Extrait du document

FÉLIBRIGE. « Il fut écrit au ciel qu’un dimanche fleuri, le 21 mai 1854, en pleine primevère de la vie et de l’an, sept poètes devaient se rencontrer au castel de Font-Ségugne : Paul Giéra, un esprit railleur qui signait Glaup (par anagramme de Paul G.); Roumanille, un propagandiste qui, sans en avoir l’air, attisait incessamment le feu sacré autour de lui; Aubanel, que Roumanille avait conquis à notre langue et qui, au soleil d'amour, ouvrait en ce moment le frais corail de sa Grenade; Mathieu, ennuagé dans les visions de la Provence redevenue, comme jadis, chevaleresque et amoureuse; Brunet, avec sa face de Christ de Galilée, rêvant son utopie de Paradis terrestre; le paysan Tavan, qui, ployé sur la houe, chantonnait au soleil comme le grillon sur la glèbe; et Frédéric, tout prêt à jeter au mistral, comme les pâtres des montagnes, le cri de race pour héler, et tout prêt à planter le gonfalon sur le Ventoux... »
 
C’est ainsi que Mistral, dans le douzième chapitre des Mémoires et récits, fait débuter la narration des « événements » qui marquèrent la naissance du félibrige, à Font-Ségugne (Châteauneuf-de-Gadagne), près d’Avignon, le 21 mai 1854. Les choses se sont-elles passées comme il l’écrit? Le mot « félibre » se réfère-t-il bien au vers final d’un vieux récitatif provençal, populaire et religieux, où il désigne les « sept docteurs de la loi » avec lesquels le Christ s’entretient? Le champ sémantique formel (félibrige, félibresse, félibréjade...) fut-il immédiatement créé comme l'affirme Mistral? Les sept poètes cités étaient-ils bien présents, ce jour-là, à Font-Ségugne? En fait, il apparaît clairement aujourd’hui, notamment après les travaux convaincants de René Dumas, que Mistral a réécrit l'histoire en adaptant les circonstances anecdotiques qui ont vu naître le mouvement à la grandeur de sa destinée. N’est-ce pas ainsi qu’au Moyen Age on écrivait les Enfances des héros épiques après avoir mesuré la grandeur de leurs exploits d’adultes...
 
Quoi qu’il en soit, le félibrige est né et s’est développé pendant la seconde moitié du xixe siècle, en prenant une place considérable dans les lettres européennes et en marquant de son influence les grandes littératures en même temps que les renaissances dialectales gallo-romanes. Il survit aujourd’hui, avec moins d’éclat, dans des fêtes et des célébrations, dans des productions littéraires qui connaissent un succès d'estime limité dans l’espace.
 
Mais le félibrige, ses historiens l’ont dit, était un aboutissement autant qu’un début.
 
Les origines de la renaissance félibréenne
 
L’intérêt pour l’histoire nationale, le mythe de la création collective et l’observation passionnée de la spontanéité du langage populaire sont autant d’éléments qui, remèdes au mal du siècle, constituèrent les fondements romantiques des renaissances dialectales.
 
Sous l’impulsion de Diez, en Allemagne, et de Ray-nouard, en France — qui n'étaient pas les premiers, mais qui furent les plus écoutés —, l'Europe des savants « romanistes » redécouvre les troubadours. Leur langue, croit-on alors, constitue une étape intermédiaire de développement entre le latin et le français. Cette « découverte » suffit pour qu’un Claude Fauriel affirme bientôt que leur littérature est aussi la source indigène des lettres françaises, tant recherchée par les pourfendeurs de l’Antiquité. Le raisonnement conduit alors naturellement à la recherche frénétique de toutes les résurgences modernes de la vénérable langue ancestrale, et c’est dans les patois qu’on la retrouve.
 
Toute production dialectale — et de préférence « ouvrière », parce qu’elle est alors, apparemment, sans apprêt — se voit alors saluée, quelle que soit, le plus souvent, sa faiblesse, voire sa médiocrité, comme un
 
chef-d’œuvre. L’apparence de spontanéité créatrice se substitue désormais à tout autre critère de valeur : « J’étais étonné et touché de ce que je lisais. C’était naïf, c’était gracieux, c’était senti, c’était la palpitation tranquille du cœur devenue harmonie dans l'oreille... » (Lamartine, préface de Geneviève, histoire d'une servante, 1850, ouvrage consacré à la poétesse Reine Garde, 1802-1851).

« («Almanach provençal»), fera beaucoup pour l'unité d'action des premiers temps, mais c'est surtout la per­ sonnalité irradiante et lucide de Mistral qui donnera au félibrige sa cohérence, son développement et son audience internationale.

Pendant les soixante années qui séparent la création �u félibrige de la mort du poète, il est partout présent.

Ecrivain, tout d'abord, il est le premier à utiliser pour atteindre son but l'« influx de la divine poésie», mais c'est lui aussi qui donnera à la lexicographie provençale son premier monument (Lou Tresor d6u Felibrige, 1886), lui qui, au fil de ses discours (Discours e dicho), de ses chroniques (Prose d'almanach, Nouvelle Prose d'almanach, Dernière Prose d'almanach) et de ses let­ tres (pour la plupart perdues ou égarées, mais évaluées avec une quasi-certitude à plus de soixante mille), indi­ quera Je chemin parcouru ou à parcourir par le félibrige.

Les préfaces (une cinquantaine de textes) qu'il écrivit pour présenter les œuvres de ses confrères sont, à cet égard, d'un intérêt tout particulier.

On y voit Mistral « construire » une littérature en assignant à chacun sa place dans le concert des lettres provençales, soucieux d'y voir représenter tous les genres et toutes les « régions » sinon tous les villages.

Si sa poésie manque de flamme, Roumanille, l'aîné, sera Je premier parmi les conteurs; Aubanel sera le lyri­ que amoureux et maudit.

Lorsqu'il manquera au félibrige une voix féminine, Mistral trouvera l'aide de Louis Rou­ mieux pour« créer » la poétesse Antoinette de Beaucaire à partir des balbutiements littéraires de la jeune Antoi­ nette Rivière.

Lorsqu'il s'agira de prouver que la langue provençale peut même devenir le langage poétique d'un étranger, il fera s'envoler dans le ciel avignonnais les Papillons bleus du « félibre » irlandais William C.

Bona­ parte-Wyse, en saisissant l'occasion pour évoquer Richard Cœur de Lion, qui s'exprima en occitan médié­ val, et sans manquer de fixer 1' intérêt « romantique » du nouveau poète, qui s'étonne «de rencontrer en France un idiome littéraire autre que celui de Paris, et d'avoir découvert une littérature s'inspirant non des Grecs, ni des Romains, ni des Français, ni des Anglais, ni des Germains ...

mais naturellement et seulement du cru ...

» (Mistral, préface de Li Parpaioun blu).

Dans la préface de la Farandoulo di Poutoun (1882), recueil du félibre Anselme Mathieu -beaucoup aidé par Mistral, lui aussi, semble-t-il -, le grand poète s'adonne aux joies de la géographie poétique en faisant apparaître, dans les limites du comtat Venaissin, une extraordinaire densité littéraire.

Son but est clair : les conquêtes de la renaissance félibréenne pourront aller « des Alpes aux Pyrénées >>, mais Je modèle linguistique se trouvera entre Rhône et Durance, là où les lettres sont depuis toujours les plus vivantes.

N'est-ce pas l'œuvre de Dante qui permit au toscan de devenir l'italien? Développement et rayonnement du félibrige Si le succès du félibrige -de Mistral et d'Aubanel surtout -fut immense et ne tarda pas à franchir toutes les frontières, il détermina aussi, dans presque tout le domaine gallo-roman, des velléités plus ou moins heu­ reuses de renaissance dialectale organisée.

Ainsi n'est-ce pas par hasard que se fonde à Liège, en 1856, une Société de littérature wallonne.

Mais c'est évidemment dans le domaine occitan que l'influence se fait la plus forte.

Toute production litté­ raire se réfère désormais au félibrige, même quand il s'agit de s'y opposer pour des raisons politiques ou lin­ guistiques (orthographiques surtout!).

Des noyaux de vie littéraire se développent non seulement à Marseille (Auguste Marin, Valère Bernard) et à Avignon (Marius André, Joseph d' Arbaud), mais aussi autour de Montpel­ lier (Auguste Fourès), en Auvergne (Arsène Verme­ nouze), en Limousin (Joseph Roux), en Gascogne (Michel Camélat) et en Béarn (Philadelphe de Gerde).

L'évolution interne du félibrige rnistralien reste assez mal connue.

Son histoire est faite de succès et de décep­ tions, d'ententes et de conflits; on le sait, mais on conti­ nue à ignorer le fond des choses, dans la mesure où de très importantes correspondances (celles de Mistral, d'Aubanel...) restent occultées pour des raisons très diverses.

Si nous laissons pour ce qu'il est le problème stérili­ sant du choix entre la graphie mistralienne, compromis entre un système phonétique et un calque du système français, et la graphie étymologique occitane codifiée plus tard par Louis Alibert et souvent utilisée aujour­ d'hui, le problème fondamental réside, dès Je départ, dans la manière dont le félibrige conçoit sa relation avec la France du Nord.

Certains écrits sont clairs : meurtris par le souvenir toujours vivant du massacre des Albi­ geois, les écrivains (Mistral, Félix Gras, Auguste Fou­ rès ...

) regrettent le temps de l'unité occitane, et il faut extrapoler la littérature et l'histoire si l'on veut nier­ Maurras, par exemple, n'a pas hésité à le faire -le caractère fédéraliste et pan-occitaniste de la pensée mistralienne au moins jusqu'en 1870.

Deux ans plus tôt, au moment même où des relations privilégiées viennent de se nouer entre les félibres et les poètes catalans, un ancien ami de Mistral, Eugène Garein - qui se trouvait sans doute à Font-Ségugne le 21 mai 1854, quoi qu'en disent les Mémoires e.t récits -, l'ac­ cuse même de séparatisme.

Sans doute y avait-il là une exagération certaine, mais la fin du siècle allait bien montrer que l'on n'écrit pas impunémernt, que les textes engagent ceux qui leur ont donné le jour.

Mistral fut l'un des premiers à le comprendre, mais ce fut pour opérer un sensible retrait, nourri sans doute par le conflit franco-prussien de 1870.

La suite est tributaire de ce premier débat : générale­ ment désengagés sur le plan politique -au moins dans leur action littéraire -, les félibres admettent que les idiomes dans lesquels ils s'expriment sont des dialectes, appartenant sans doute à une même famille, mais assez différents les uns des autres pour que 1' on ne puisse pas les réduire à une langue commune.

S'ils défendent cependant la vie du dialecte (production littéraire, ensei­ gnement : «le provençal à l'école» ...

), c'est dans le dessein de sauver la culture régionale dans la diversité de ses manifestations, pour la superposer à la culture française mais sans vouloir se substituer à elle.

Dans le camp opposé, nous trouvons aujourd'hui le mouvement occitan (on peut le faire remonter à l'ex­ trême fin du XIX e siècle avec les œuvres de Prosper Estieu et d'Antonin Perbosc), qui affirme l'unité occitane sur la base d'une langue unifiée commune dont il réclame la reconnaissance officielle.

La production littéraire de ce mouvement ne s'accompagne que rarement d'une traduc­ tion française.

L'intégrer à ce chapitre ou à ce diction­ naire serait lui faire affront.

Signalons cependant l'exis­ tence de quelques ouvrages d'une qualité remarquable.

Signalons aussi parce que, écrite en français, elle illustre le mieux les oppositions félibrige/mouvement occitan et Occitanie/France, l'œuvre d'essayiste de Robert Lafont, lequel s'étonnera sans doute de se trouver ici en pareille compagnie.

C'est pourtant bien par référence au félibrige qu'il écrit, en 1954, son essai intitulé Mistral ou l' Illu­ sion.

Là, avec une lucidité et une intelligence reconnues par chacun, il dissèque sans concession les paradoxes de la renaissance félibréenne et voue aux oubliettes une critique littéraire qui, appliquée à Mistral, avait jusque-là. »

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