Devoir de Philosophie

GOLIARDS (les) : Fiche de lecture

Publié le 13/12/2018

Extrait du document

lecture
GOLIARDS (les) [xiie-xiiie siècle]. On désigne sous ce nom des poètes médiévaux qui ont composé en latin une poésie strophique chantée. Cette poésie célèbre l’amour, le jeu et le vin, et fait volontiers la critique de la cour romaine. Il ne s’agit en aucune façon d’une école poétique cohérente, et la poésie goliardique est très tôt répandue à travers tout l’Occident latin; elle émane vraisemblablement de jeunes clercs, fraîchement émoulus des écoles cathédrales, puis de la faculté des arts : aussi pratique-t-elle la parodie biblique ou liturgique, émaillée de nombreuses références humanistes aux classiques de la latinité.
 
La lyrique des goliards est surtout connue par les Carmina burana : ce recueil célèbre (qui contient aussi des pièces pieuses) provient de l’abbaye de Benediktbeu-ren, en Bavière, et son origine allemande est confirmée par le fait que plus d’une chanson sacrifie au bilinguisme latino-germanique (mais il s’y rencontre plusieurs textes où interviennent quelques énonciations dans un ancien français dont la graphie implique une prononciation germanisante). Il ne faut pas négliger cependant d’autres corpus : manuscrits catalans, qui nous révèlent l’attachante personnalité de l’« Amoureux anonyme de Ripoll »; manuscrit de Florence; manuscrit de Châlons-sur-Marne (précieux l'un et l'autre à cause de leurs annotations musicales d’œuvres dont la mélodie est particulièrement élaborée); chansonnier de Cambridge surtout, le plus ancien. C’est ce manuscrit qui contient le Jam dulcis anima venito du XIe siècle : son auteur y relate en termes ovidiens comment il a, parmi les fleurs et les vins succulents, contraint son arnica, demi-consentante, au don suprême. L’aire du goliardisme est beaucoup plus vaste dans l’espace et le temps qu’on ne le croit d’ordinaire : il s’agit d’un fait européen et d’un phénomène beaucoup plus durable qu’une simple vogue littéraire.
 
Qui sont les goliards? La plupart de leurs poèmes sont anonymes. Quelques auteurs sont (un peu) connus, tel le mystérieux « Archipoète », qui devint le protégé de Rainold von Dassel, archevêque de Cologne vers 1160. On a retenu le nom de Hugues Primat, clerc d’Orléans, et l’on sait que Gautier de Châtillon, né vers 1135, fut « écolâtre » à Lille, puis qu’il fit partie de la chancellerie d’Henri II d’Angleterre, et qu’il se rendit en Italie, pour étudier le droit canon à Bologne : il y eut maille à partir avec la curie de Rome, dont il dénonce volontiers la corruption. Il mourut lépreux, et sa maladie fut à l’origine de son émouvant congé (Dum Gualterus egrotaret). Ses œuvres figurent dans un manuscrit de Saint-Omer et contiennent aussi des hymnes, des miracles de saint Nicolas et d’autres textes édifiants. L'une de ses satires contre Rome (Propter Sion non tacebo) mêle au latin des bribes d’italien et de français, rapportant « en direct » le langage des courtisans romains. On attribue parfois aussi à Gautier la rédaction du Moralium dogma, qui est un florilège humaniste. Toujours est-il que la trajectoire de ce personnage est assez exemplaire : une jeunesse dissipée, suivie par une vie plus austère — combien de goliards se sont rangés pour faire carrière dans l’Église! Tel fut aussi, en un sens, le destin du philosophe Pierre Abélard, qui sacrifia, dans sa jeunesse, à l’inspiration goliardique. Le jeune clerc qui chante l’amour et le vin sait bien qu’au bout du compte il lui faudra revenir aux choses sérieuses : sertis intendere, pour reprendre la formulation même qui figure dans le refrain d’un des plus beaux poèmes du corpus, entièrement voué à la formulation obsessionnelle du Carpe diem...
 
Les formes de la poésie goliardique
 
La poésie des goliards se présente sous des avatars très divers. Sa langue mêle habilement les références à Horace, à Ovide, à Virgile et les citations bibliques ou

lecture

« liturgiques déformées ou utilisées dans un contexte pro­ fane.

C'est ainsi que, dans le Carmen de Rosa, une stro­ phe s'ouvre sur un Pange lingua qui invite à la célébra­ tion de la femme aimée.

Ce poème commence par une formule paulinienne (Si lo q ua r angel ic is linguis et huma ­ nis) détournée de son sens initial (l'éloge de la charité) au profit d'un hommage amoureux devenu profanateur (la beauté de l'arnica est posée comme indicible).

Le même poème salue la Rose dans des termes qui fleurent la dévotion mariale (Ave formosissima) pour s'achever dans l'apologie d'une sorte de viol, puisque l'œuvre se clôt sur le chant triomphal de l'amant parvenu par la force à ses fins.

Ou encore -que 1' on pense à la célèbre «confession >> de l' Archipoète, il est vrai suivie d'une palinodie qui exprime le retour à 1' ordre moral -, le goliard prend le contrepied de l'enseignement évangéli­ que avec une extraordinaire volonté de défi : Via lata gradior more juventutis; lmplicor et vitiis immemor virtutis; Voluptatis avidus magis quam salutis, Mortuus in >, J'espace privilégié de ses loisirs, voués aussi au vin et à la séduction facile.

Le poète est un buveur impénitent et un « dragueur >> avoué, qui se justifie en démontrant la puissance d'Amour jusque sur les dieux et en passant en revue toutes les catégories sociales qui sacrifient à Bacchus (cf.

ln tabema quando sumus).

C'est faire avec une fausse ingénuité l'apologie de la luxuria et de la gula, de la luxure et de la gourman­ dise, et réhabiliter le charnel au nom d'un épicurisme hérité d'Horace, qui saisit la jouissance immédiate avec d'autant plus de ferveur que Je poète est incertain de son proche avenir.

La fragilité des biens d'ici-bas, thème omniprésent des sermons invitant au co ntem ptu s mundi, au mépris du monde qui précède et accompagne la péni­ tence, est à son tour subvertie au profit d'un hédonisme à fleur de peau qui est celui, tout spontané, du juvenis, du jeune homme peu pressé de venir à résipiscence.

La poésie goliardique est, au sein du milieu clérical, l'expression d'une classe d'âge, comme la poésie dite courtoise est 1' expression des jeunes chevaliers.

Elle affiche.

l'immoralisme du clerc urbain avant qu'il soit pourvu d'un office et consente à se ranger.

De cet immo­ ralisme, le fabliau [voir FABLIAU) nous donne par ailleurs maint exemple (cf.

1' histoire de « Gombert et les deux clercs >> de Jean Bodel) :dans le fabliau, le clerc bache/er est un personnage actif �t déluré, tandis que le prêtre est au contraire ridiculisé.

Eternelle opposition du marginal et de J'homme en place! Mais le goliard s'autorise de sa marginalité pour dire ce que les autres taisent.

A cet égard, il cultive une licence salutaire, celle-là même qui se déchaîne dans ces festivités libératrices que sont la fête des fous ou le carnaval (autres manifestations urbai­ nes où fleurit la parodie liturgique).

D'où, d'ailleurs, les limites de cette contestation, qui s'inscrit souvent dans des topai : ainsi de la satire contre la, vénalité romaine, qui ne déplaisait point aux prélats des Eglises nationales; cette satire se fonde sur des jeux de mots éculés (sur Roma et sur rode re, « ronger » ...

) et ne met jamais vérita­ blement en cause 1' autorité romaine, puisqu'elle ne vise, la plupart du temps, que la curie et l'entourage pontifical.

Mais le fait que cette critique porte surtout su.r l'argent nous semble un nouvel indice corroborant l'appartenance urbaine de cette poétique : c'est en ville, et non dans les châteaux et les abbayes, que J'on a appris, au xu• et au xnre siècle, à calculer Je prix des choses et à substituer le commerce à J'échange et le contrat au don.

Les go liards ont beau chanter la nature et s'inspirer des rondes de mai : ils s'éloignent peu des faubourgs, et leur mépris du vilain n'est pas celui du seigneur qui s'enorgueillit de sa naissance et de son sang, mais celui du citadin pour le « croquant >> qui vit dans son trou.

Sa fierté, le goliard ne la doit pas à son lignage, mais à son savoir.

D'origine souvent plébéienne, il ne connaît pas le raffinement des cours.

Son érotique, nous l'avons vu, n'est point fondée. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles